Les Ailes du désir @Théâtre 13 / Seine, le 29 Janvier 2019


Le Théâtre 13 / Seine accueille la compagnie Oui Aujourd'hui sous la direction de la metteure en scène Marie Ballet qui s'empare du film de Wim Wenders Les Ailes du désir.

Si le film prend pour décor la ville de Berlin et ses terrains vagues, le plateau de théâtre est plutôt désert. L'habillage de celui-ci se fait surtout par le joli jeu de lumière conçu par Lucie Joliot. Cette dernière joue sur les contrastes, les sources de lumières - on relèvera parmi les nombreux moments de poésie l'instant où les livres disposés à même le sol et leurs petites liseuses sont éparpillés - et les recentrages sur les personnages. Evidemment, on retrouve un trapèze pour l'univers circassien et une tour métallique dans laquelle les comédiens vont et viennent pour prendre de la hauteur. 

C'est l'interprétation qui prime ici. Camille Voitellier joue l'adorable Marion, exécute ses figures au trapèze avec élégance et séduit par sa douceur. Le comédien-musicien Stéphane Léchit se dédouble pour tantôt être le clown tantôt camper le rocker un peu perché. Christophe Laparra touche par la justesse de son jeu, la délicatesse de son personnage. Le duo qu'il forme avec Paul Nguyen fonctionne à merveille. En presque deux heures, la compagnie transporte les spectateurs dans un espace hors du temps tout en douceur. 

Les deux frères et les lions @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 13 Janvier 2019


Le spectacle est né d'une commande en 2012 de la scène nationale de Cherbourg au metteur en scène Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. La création doit porter sur le droit normand (Coutume de Normandie) qui a la particularité d'être toujours en vigueur sur deux îles Anglo-Normandes : Jersey et Guernesey. Après s'être rendu sur place le metteur en scène s'est rapproché de l'universitaire Sophie Poirey, experte du droit normand. Il découvre l'incroyable ascension des jumeaux milliardaires Barclay. 
Ces derniers sont propriétaires de l'île de Brecqhou où s'applique le fameux droit normand qui leur interdit de transmettre leur fortune à leurs filles respectives. Cette histoire invraisemblable a suscité l'intérêt d'Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre qui décide de la mettre en scène. La pièce a rencontré un franc succès à Cherbourg, au festival OFF d'Avignon et l'équipe (re)pose aujourd'hui ses bagages au Théâtre de Poche-Montparnasse. 

Malheureusement, elle est aujourd'hui menacée : les frères Barclay - jusque là très discrets - réclament l'interdiction de la pièce, la fin de la commercialisation du texte et des dommages et intérêt à hauteur d'une centaine de milliers d'euros car elle porterait atteinte à leur vie privée. Le 13 mai prochain, le verdict tombera au tribunal de Caen. En attendant, il faut savourer le fait qu'elle soit encore présentée. 

Les deux frères campés par Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre et Lisa Pajon (en alternance avec Romain Berger) accueillent les spectateurs en chanson dans leurs jogging bleu Adidas. Scones et thé sont disposés sur une table à l'entrée de la salle, pas de doute : la scène se déroule en Grande Bretagne.

Les deux comédiens nous font face assis sur leurs fauteuils. Dans une synchronie et symétrie parfaite, ils savourent le thé et reviennent sur leur épopée. Sous nos yeux, au-delà de l'histoire de ces jumeaux c'est l'histoire dynamique et fascinante du capitalisme qui est déroulée. Drôle et malin, le duo joue avec le public et le séduit par sa complémentarité et surtout, sa complicité.

De gamins des rues à géants fortunés, l'ascension sociale des jumeaux Barclay (jamais ouvertement nommés) ne pouvait qu'inspirer la sphère créative. Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre a su s'en emparer de façon efficace sans longueur et répond intelligemment au cahier des charges de la scène nationale de Cherbourg.

Il ne reste plus qu'à espérer que le verdict ira dans le sens de la compagnie Théâtre Irruptionnel et que la pièce vivra sur les planches et dans les librairies !














King Lear remix @Théâtre de Belleville, le 10 Janvier 2019


© Claire Acquart
Le plateau s'ouvre dans une espèce de cabaret avec en fond sonore le refrain de la chanson de Doris Day It's been a long time. Sophie Cusset et Danièle Hugues sont vêtues de robes dorées et chantent en playback. Lear - campé par Gilles Ostrowksy - fait irruption dans la pièce, s'installe à table. Il peine à articuler, comme s'il avait trop consommé certaines substances.

Antoine Lemaire a réécrit le classique en y poussant davantage la dimension comique. Encore que "pousser" soit ici un verbe bien léger. Du classique, il ne restera que le fond et les personnages. Lear n'est plus un roi vieillissant mais un roi qui n'en peut plus de gouverner, qui voudrait être aimé pour ce qu'il est humainement plus que pour ce qu'il représente. Un burn-out du puissant. A l'heure des réseaux sociaux numériques, il abdiquera face caméra en direct. Et voilà qu'il va tenter de déléguer le pouvoir à ses filles. Façon télé-crochet, elles défilent chacune leur tour pour prouver l'amour qu'elles portent à leur père. Aucune ne semble le satisfaire, il se contente de leur distribuer des petits bouts de royaume.

C'est dans une mise en scène complètement déjantée que la compagnie Octavo embarque les spectateurs. Ca braille, ça crache, ça se bat jusqu'au sang ; c'est un joyeux bordel qui se déroule sous nos yeux. A seulement quatre sur scène, ils parviennent à retourner le plateau et le mettre en miettes. Gilles Ostrowsky habite un Lear roi du carnage, Sophie Cusset qui co-signe la mise en scène s'investit dans quatre rôles parmi lesquels le duo Régane/Goneril, Danièle Hugues prend les airs de  la douce mais non moins captivante Cordélia et le jeune Robin Causse porte sur ses épaules les rôles masculins. Son interprétation du pauvre fait mouche.




Solaris @Théâtre de Belleville, le 08 Janvier 2019


© Avril Dunoyer

Après Tarkovski et Soderbergh sur les écrans, Prin/Truffert sur les planches du Théâtre de Belleville !

La science fiction au théâtre c'est possible. Rémi Prin et Thibault Truffert le démontrent avec leur adaptation très réussie de Solaris. Il est ici essentiellement question d'humanité, de sentiments qui dépasse la question scientifique réduite à un élément contextualisant.   

Là où le cinéma fait appel aux effets spéciaux technologiques toujours plus poussés, la scénographie astucieuse de Benjamin Gabrié et de Suzanne Barbaud complétée par le jeu de lumières de leur metteur en scène Rémi Prin parviennent à créer sur un espace relativement réduit une atmosphère rétro à la Star Trek : jeu de capsules modulables, panneaux en plexiglas mobiles et jeu de fumée sont les ingrédients suffisants à l'équipe. Le résultat est saisissant et offre une vision labyrinthique de la station comme une métaphore de l'esprit du personnage central ; Kris Kelvin. 

© Avril Dunoyer
Huis-clos spatial, Solaris embarque les spectateurs dans une station spatiale où les souvenirs (re)prennent vie. C'est dans cet étrange univers qu'évolue le trio de scientifiques Kris Kelvin - joué par Thibault Truffert -, Docteur Snaut - Quentin Voinot - et Docteur Sartorius - Gabriel Laborde -. Kris Kelvin est un psychologue. Il est envoyé en mission sur la station suite à des observations troublantes. A peine arrivé sur la station, le praticien découvre que son professeur et contact sur place - Gibarian - s'est donné la mort. Très vite, le reste de l'équipage lui explique les phénomènes observés : des "visiteurs" hantent la station. Kris Kelvin sera à son tour hanté par la présence de sa femme, Harey - Louise Emma Morel - disparue il y a plusieurs années. 

La compagnie le Tambour des Limbes créée une ambiance sombre où la tension est palpable à mesure que les personnages se laissent atteindre psychiquement. Thibault Truffert porte en lui un Kris Kelvin désemparé, confronté à son inconscient qu'il ne parvient pas à dompter. Ses comparses Quentin Voinot et Gabriel Laborde transportent les spectateurs dans leurs paranoïas grandissantes. Louise-Emma Morel livre une Harey troublante, comme double : sensible, consciente d'un côté et destructrice de l'autre. Comme si deux Harey coexistaient dans la station.




Bienvenue en Corée du Nord @Théâtre de Belleville, le 06 Janvier 2019



© Alban Van Wassenhove
Dix jours en Corée du Nord. En bons touristes qui suivaient de près les indications du régime. C'est ce séjour qui se veut être l'élément déclencheur de ce spectacle. Ce dernier rapporte la rencontre de la fantaisie des clowns avec la fermeté du régime coréen. Ce n'est pas un simple carnet de voyage avec des anecdotes sur la vie quotidienne du peuple coréen, c'est aussi un récit des émotions ressenties sur place. 

Et la palette est saisissante. La fine équipe se sent manifestement changée. Ils seraient plus proches, l'esprit de communauté a pris le dessus en se scrutant un peu quand même. Il ne faudrait quand même pas qu'un faux pas vienne saccager l'esprit de groupe établi. Danse des missiles bancale, numéro de gymnastique rythmique étrange, chants de propagande subliminaux - le chanteur (d)Joe Dassin aurait été un grand défenseur de la Corée du Nord avec sa chanson culte L'été indien - autant de moments insolites au service du rire. Tout en étant également révélateurs de leurs fragilités et de leurs peurs qu'ils essaient de camoufler. Tentative qui commence par le fait de recommencer l'entrée en matière par soucis de fiabilité.

Bienvenue en Corée du Nord est un spectacle étrange. Etrange, dans la mesure où il suscite une curiosité ; au-delà de ce que les images que diffusent le monde occidental, qu'en est-il vraiment ? Quelques anecdotes bien senties sont livrées : le décalage horaire entre les deux Corées, le calendrier qui démarre en 1912... mais encore ? Marie-Laure Baudain, Alexandre Chatelin, Laura Deforge et Adelaïde Langlois s'activent dans tous les coins, ne laissent place à aucun excès déplacé - la scène du "baiser baveux" est sans doute l'acte "blasphématoire" unique du spectacle -.Véritable enchaînement de fantaisies, de drôleries en tous genres, la compagnie de la Cité signe un spectacle qui ne peut susciter que la curiosité.