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Interview Stéphane Guillon


Entre deux représentations du spectacle La société des loisirs, l’humoriste me retrouve dans le hall du Petit Théâtre de Paris. Pour réaliser mon interview nous nous dirigeons vers un endroit tranquille ; le restaurant Les Comédiens. Vêtu d’une veste en cuir et de sa célèbre casquette, Stéphane Guillon est Monsieur Tout le monde. Nous entrons dans le restaurant, il est connu du lieu, nous nous asseyons à une table éloignée de l’entrée. Il commande un Coca-Cola et nous démarrons notre discussion. 

                                                                  ♫ Jacques Dutronc - L'Opportuniste ♪


·         Bonsoir Monsieur Guillon…

Bonsoir !

·         J’ai appris que ça a mis cinq ans pour trouver le théâtre qui abritera le spectacle. Quels étaient les motifs de refus ?

De cette pièce-là ? (La société des loisirs) J’suis pas capable de vous répondre parce que c’est pas moi qui m’en suis occupé. C’est Philippe Caroit qui a découvert la pièce au Québec et qu’il a adapté pour ici. Et qui après a du trouver un théâtre. Je sais qu’il a eu du mal. J’pense que c’est le texte qui a du refroidir certains théâtres.

·         Cette pièce bouleverse un peu les « codes » du bonheur en couple mais aussi du bonheur de manière générale. Pensez-vous que la vision du bonheur en couple est amenée à changer pour les prochaines générations ?

Je pense que c’est déjà fait. Dans le sens où, je ne sais pas jusqu’où finalement… Le progrès, à tout va, a rendu l’Homme heureux. Je pense qu’y a, à un moment donné, un excès de progrès le rend malheureux.

·         Qu’est-ce qui vous a le plus plu dans votre personnage ?

Peut-être ça. Le fait qu’on pense que… Il a une image de beauf, de personnage superficiel et finalement… En tous cas, moi j’en ai fait quelqu’un de plus complexe et de plus désespéré.

·         Qu’est-ce qui vous a fait accepter le rôle ? C’est ce personnage-là…

Oui ‘fin c’est un ensemble de choses, c’est à la fois le texte, le théâtre, Stéphane Hillel qui est à la fois le directeur de ce théâtre où j’y ai joué moi aussi mon spectacle et le fait que j’avais envie de travailler avec lui. Et c’est un très bon metteur en scène. Aussi que j’ai eu envie de travailler avec Cristiana Reali. Y avait pas mal de choses qui ont fait que ça me plaisait bien quoi.

·         Souhaiteriez-vous poursuivre au théâtre, puisque vous avez joué dans Inconnu à cette adresse, La société des loisirs et bien sûr vos one-man shows, dans un autre registre ?

J’aimerai bien essayer un classique. Un vrai classique alors ça pourrait être un Molière ou … Oui j’aimerai bien revenir je dirai pas à mes premiers amours mais presque puisque moi j’ai une formation de théâtre très classique parce que j’en ai fait beaucoup hein. Et ça, j’crois que c’est quelque chose qui m’plairait bien. (…) Je raisonne en termes de rôle, qui m’attirerait.

·         Comment s’est passé le tournage de votre film Les Âmes de papier (sortie le 25 Décembre) ?

Ca s’est plutôt bien passé. Parce que l’équipe était extrêmement sympathique. Des Belges. Grosse partie Belge. Mais j’dis ça parce que… Ils sont extrêmement détendus, extrêmement sympathiques… J’pense que le cinéma ici peut souffrir d’un système de classes. Les vedettes d’un côté… En tous cas moi sur les films que j’ai fait c’était plus… Les rapports entre les gens étaient plus segmentés que là où… C’est des gens plus joyeux qui se prennent pas la tête. Ils sont assez simples et assez directs dans leurs rapports aux autres… Moi j’aime beaucoup les Belges, j’aime beaucoup la Belgique… Bruxelles… Là où on a tourné. Donc je pense que cette ambiance-là a fortement contribué à la bonne ambiance du film.

·         Vous vous êtes amusé à jouer avec Pierre Richard ?

Oui totalement parce que… Il fait partie de mes pères spirituels quoi… Je trouve qu’il a un vrai sens du comique. Le comique c’est du rythme. Pierre Richard, il sait exactement ce qu’il faut faire dans un écran, dans un cadre pour provoquer le rire chez le spectateur. C’était le cas y a trente ans, quand il tournait dans ses plus grands succès dans les années 80. Aujourd’hui vous montrez les films à quelqu’un qui ne l’a pas connu, ces années 80. A un enfant  par exemple, il va rire aux mêmes endroits et de façon aussi puissante.

·         Vous aimeriez rejouer avec Pierre Richard ?

Oui mais c’est en projet…

·         Vous pourriez m’en dire un peu plus ? Ou pas du tout ?

Non parce que j’en sais moi-même pas beaucoup plus. Je sais qu’il y a des gens qui sont en train d’y travailler, qui sont en train de réfléchir autour d’une idée pour nous deux… Parce qu’ils ont été très séduits par ce rapport qu’on a eu. Ils ont envie de le développer plus. Mais j’en sais pas plus.


·         Est-ce que la réalisation vous tenterait ?

Non…

·         Plutôt le jeu…

Oui. Parce que la réalisation c’est quelque chose qui m’échappe, je crois. J’fais déjà beaucoup de choses ; la radio, du spectacle, du théâtre, du one-man show, de la télé, de la presse… Non non…  A chacun son métier !

·         Souhaiteriez-vous revenir à la télé comme vous faisiez pour Ardisson ?

A priori non. ‘fin faut jamais dire « Fontaine je ne boirai jamais de ton eau » mais… A priori je l’ai beaucoup fait. J’ai pris beaucoup de plaisir à le faire et j’suis arrivé à un moment d’ma vie où j'ai envie de faire d’autres choses…

·         Que pensez-vous de votre remplaçant à Salut Les Terriens (Gaspard Proust, qui lui a d’ailleurs donné la réplique pour Inconnu à cette adresse) ?

Je pense qu’il est bien. Il est très bien. J’ai pas à noter mes camarades mais je crois qu’il a su imposer son style. Ce qui était pas évident parce que je pense que j’avais fortement imprimé le mien. C’est toujours difficile d’arriver après quelqu’un qui a imprimé un style. Parce que dans un premier temps vous allez souffrir beaucoup de la comparaison. De façon juste et parfois injuste. 

Gaspard, il a su trouver son credo, imposer son style, son rythme, qui est différent du mien. Il a pas de fiches, il y a pas d’applaudissements à chaque fois, il est pas en brèves, il est en texte. Et je crois que ça plait puisque ça fait deux ans qu’il y est. Et la télévision n’est pas un milieu de tendres. 

Si
Gaspard n’avait pas trouvé son public, ils l’auraient pas reconduit une année de plus. Il a un style, pour conclure sur Proust, il a son propre style à lui, il a une véritable écriture. Et moi j’suis sensible à l’écriture de la même façon j’aime Desproges, j’aime François Rollin, j’aime les humoristes qui ont une écriture, qui ont un style, qui ont une musique…Voilà pour moi les grands humoristes ont une musique !

·         Parlant musique, est-ce que vous auriez une chanson à proposer pour la lecture de l’interview ?

Euh… J’sais pas mettez L’Opportuniste de Jacques Dutronc

·         Merci beaucoup !

Bah merci à vous ! 





Je souhaite dédier cette interview à Renaud Santa Maria.



Abd Al Malik rencontre Camus « L’art et la révolte » @Théâtre du Châtelet, le 16 Décembre 2013


A l'occasion du centenaire du philosophe Albert Camus et après une tournée en province, le spectacle Abd Al Malik rencontre Camus « L’art et la révolte se pose à Paris pour une date unique.   

Une voix off. Celle de Camus qui lit quelques extraits de L’Envers et L’Endroit. Lever de rideau.
Le slammeur part à la rencontre de l’écrivain-philosophe Albert Camus. Il s’inspire de sa première œuvre L’Envers et L’Endroit d’où naissent des textes poétiques autour de thématiques qui réunissent les deux hommes ; la pauvreté, le travail et la complexité de l’existence mais aussi de l’enfance. Le slammeur exécute son art accompagné d’un pupitre. Il est accompagné d’un danseur talentueux, d’un groupe puis pour finir d’un orchestre dont le pianiste Gérard Jouannest fait partie. Il sera accompagné également le temps d’un morceau de Juliette Greco.

Abd Al Malik raconte son enfance, ses blessures mais aussi sa colère. Les arts se réunissent sur la scène : la vidéo, la danse et la musique. 
Il revisite son titre phare Gibraltar qui fait taper des mains le public séduit et envoûté par l'univers dans lequel il est transporté. Le spectacle s’achève sur la lecture d’une lettre que le chanteur aurait aimé adresser à Albert Camus. Le portrait de ce dernier apparaît sur le rideau en noir et blanc.Le slammeur termine le spectacle sur la célèbre citation « l’art et la révolte ne mourront qu’avec le dernier des hommes ».
 
Le public est debout, très heureux, applaudit l’artiste. 



Le spectacle dans son intégralité est visible ICI

Perplexe @Théâtre du Rond-Point, le 05 Décembre 2013


Perplexe est une pièce totalement déjantée. Du début à la fin c’est l’absurde au plus haut point.
La pièce de l’allemand Marius Von Mayenburg est revisitée par Frédéric Bélier-Garcia et interprétée par un quatuor de choc : Valérie Bonneton, Samir Guesmi, Christophe Paou et Agnès Pontier.
Le décor proposé rappelle d’ores et déjà le cliché de la comédie de boulevard ; un canapé, un aquarium, une véranda. Eva (Valérie Bonneton) et Robert (Samir Guesmi) reviennent de vacances, ils retrouvent leur domicile et leurs habitudes de couple en commençant par une dispute sur les factures d’électricités impayées. Et là, surprise ! Leur couple d’amis Sébastian (Christophe Paou) et Judith (Agnès Pontier) responsables  de leur appartement pendant leur absence sont encore là ! Ils y ont pris leurs aises. Soudainement tout bascule. Le décor, les personnages, tout est chamboulé ! Chacun des personnages remet en cause sa propre identité. Au passage ils s’interrogent sur leurs propres existences (la théorie de Darwin, l’allégorie de la caverne…).
Toute la pièce tendra à la destruction progressive du décor qui créée l’illusion théâtrale, remise en question elle aussi.
Les dialogues sont interprétés de manière naturelle. Tellement naturelle que ce qu’il y a de plus tragique fait rire le public. On félicitera donc le quatuor de comédiens pour cette pièce qui ne vous laissera pas perplexes.
Frédéric Bélier-Garcia le dit lui-même et c’est une excellente manière de résumer : 
« C’est une comédie absurde, ou plutôt une pièce sur l’absurdité de l’identité et du théâtre même». 

Les Damnés de la Terre @TARMAC, le 04 Décembre 2013


« L’Homme doit revendiquer et affirmer son humanité illimitée » 

Les premières secondes vous feront très certainement frissonner. Les six silhouettes alignées dans l’obscurité derrière des grilles ne peuvent pas vous laisser indifférents.
L’ouvrage de Frantz Fanon, véritable cri de guerre contre toutes les formes de colonialisme prend vie. Jacques Allaire s’empare des écrits et met en scène la rage humaine.
La pensée de l’auteur a été interprétée au plus juste.
Sur une création sonore terrifiante, les comédiens évoluent dans un espace chaud. Tantôt hospice, prison ou tout simplement enfer terrestre, ils montrent un engagement certain. L’ouverture et l’éclaircissement sont progressifs. Métaphore d’un état d’esprit ?
Ils sont quatre hommes et deux femmes, peints en noir, à se rouler dans la terre ou se laver dans l’eau, ils n’hésitent pas à jouer des masques.
Allaire livre ainsi une mise en scène poignante, tout comme le texte original amène à réfléchir sur ce sentiment horrible qu’est le racisme. 






Note: J'écris cet article en apprenant que Nelson Mandela s'est éteint. S'il a disparu, son combat restera gravé dans nos mémoires et nos cœurs

Trois sœurs @Théâtre Studio (Alfortville), le 28 Novembre 2013


Christian Benedetti est toujours dans son cycle Tchekhovien. Après La Mouette en 2011 et L’Oncle Vania en 2012, le metteur en scène propose Trois sœurs. L’aventure commence au pas de course. Et la course est loin d’être au ralenti !
La scénographie n’est pas bien compliquée : une grande table, pas moins de douze chaises, un piano et quand on change de salle, deux lits, deux paravents. Cette simplicité de mise en scène donne un ton contemporain à la pièce.  La course étant vive, elle fait écho à notre angoisse du temps qui s’écoule si rapidement. Pourtant il arrive que le temps soit suspendu en l’espace de quelques secondes par l’intermédiaire d’arrêts sur image.
Les personnages n’ont pas de psychologie mais des caractères et des structures mentales si l’on respecte les mots du metteur en scène. Ces structures mentales qui permettent de créer des espoirs pour les voir aussitôt se détruire. L’impuissance des sœurs face à la situation est remarquable.
La progression dramatique est ponctuée par quelques moments comiques où le rire reste amer.
La scène finale est bouleversante. Les trois sœurs alignées nous regardent, nous traversent presque d’un seul regard. 




Dramuscules @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 27 Novembre 2013


Dramuscules c’est la contraction de drames et minuscules. C’est également le titre du recueil de scénettes du dramaturge autrichien disparu Thomas Bernhard.
Catherine Hiegel relève le défi de la mise en scène en prenant le duo féminin Catherine Salviat et Judith Magre pour personnages centraux. Les deux actrices interprètent ces êtres humains aux réactions les plus primaires. Dire que ce sont des êtres humains reste relativement correct.
Dans une scénographie constituée de deux mobiles tantôt murs, confessionnaux ou encore fenêtre, notre duo d’actrices jouent les petites gens. Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. Salviat et Magre livrent donc ici des rôles de femmes d’une cruauté si singulière, l’image d’une Autriche rongée par son passé nazi.
Entre deux scénettes, Catherine Salviat ouvre un petit carnet de citations racistes. Un peu de devinettes avec le public « Qui a dit ‘Hitler n’a peut-être pas assez tué de roms.’ ? ».
On en rit mais c’est un rire très amer. Ou alors on se tait ou on condamne les propos.
Dramuscules  est une pièce où il faut maîtriser le second degré et où l’on trouve un fond d'une vérité attristante. Le jeu des deux actrices est formidable. 


Interview Renaud Santa Maria


Suite à mon petit retour de lectrice de La mort est une nuit sans lune, le 17 Septembre dernier je me suis lancée dans une interview de son auteur ; Renaud Santa Maria.
C’est lui qui a choisi le lieu ; Chez Loulou, son « QG », un bar-restaurant typiquement new-yorkais sur le boulevard  Saint-Germain-des-Prés. Par cette journée automnale,  nous nous sommes retrouvés en terrasse, chocolats chauds comme collations. Renaud Santa Maria est un homme humble, pragmatique mais de lui se dégage la véritable allure du poète. 



La quatrième de couverture est un extrait du roman, comment est-ce que tu le résumerais ?

 Euh…Le roman je le résumerai peut-être d’une formule un peu triviale mais qui en tout me parle : comment avoir le regard du romantisme du XIXème siècle aujourd’hui ? C’est-à-dire avec tous les questionnements typiques au XIXème qui sont: quel est le rapport à la vie ? A la société ? Et l’individu : comment peut-il se retrouver épanoui en vivant avec les autres ? Et puis les vrais questionnements qui furent l’apanage des préraphaélistes ou des symbolistes. C’était finalement ce rapport au sens de la vie, à la quête, à l’absolu. Cela induit forcément des questionnements un peu plus existentiels comme la mort, l’amour, les permutés : mythe ou réalité, rêveries, songes ou leurs miroirs. Je crois que mon personnage principal,Augustin, dans le roman, si tu veux,il est imprégné de tout ça. Alors évidemment,après,on va comprendre à la fin du livre ce qui a créée cette fêlure, ce qui a créée qu’inévitablement il s’est peut-être posé des questions, enfant, beaucoup plus jeune que d’autres. Il est entré dans le monde des adultes bien malgré lui. Cette solitude-là, elle ne vient pas d’un trait d’esprit parce qu’il y a évidemment de vraies causes. Mais il n’empêche que du coup tout son itinéraire sera celui de quelqu’un qui va toujours se sentir un peu étranger au monde. Pas simplement à ses congénères, pas simplement à la société en elle-même. Il va même peut-être se sentir étranger à lui-même. D’ailleurs son rapport avec Raphaël, sans trop vouloir révéler l’intrigue, qui est son double. Finalement est-ce que c’est son double ou est-ce qu’Augustin se sent étranger à lui-même ? Et la seule lumière palpable qu’il va entrevoir dans cette obscurité à un moment donné, ça va être la possibilité d’enfin ressentir quelque chose à deux lors d’une rencontre amoureuse. Je crois que le questionnement essentiel de ce livre c’est de se dire ; est-ce que l’amour sauve de tout ? C’est-à-dire aussi de nos errances, de ce mal-être vis-à-vis de la vie, de ce côté toujours un peu en retrait des autres. Est-ce que le rapport à l’amour, à l’autre, peut  nous réconcilier avec le monde ? Alors, Augustin pense que oui, probablement...Mais est-ce que la rupture va lui donner cette réponse qui va faire qu’il se sente quand même guéri, malgré la rupture, de ce  mal-être qui lui colle à la peau ? Ou est-ce que l’amour est un leurre de plus ? Voilà, tout le questionnement va être là. Et évidemment aussi ce qui est très important - parce que les gens me parlent souvent de cette rupture, de cette rencontre amoureuse, de cette passion qu’il peut y avoir avec Clara – c’est également cette très très belle déclaration d’amour à une autre  personne. Car même lorsque le personnage principal vacille au point que l’on pourrait s’imaginer qu’un jour il finisse au bout d’une corde et bien, pourtant, il ne le fait pas grâce  à ce rapport fusionnel qu’il a avec  sa mère. Donc l’amour quelque part il le connait déjà, c’est ce qui lui sauve la vie. Maintenant il faut aussi qu’il construise sa vie d’homme, et ça ne peut naturellement pas être qu’au travers de sa mère. Voilà si je devais résumer ça serait ça : c’est peut-être un homme d’une autre époque mais on comprendra pourquoi il a un traumatisme qui l’a conduit à être différent des autres, si étrangement désespéré, et qui va retrouver ou trouver tout simplement une lueur d’espoir dans ses ténèbres en rencontrant l’amour. Mais est-ce que l’amour est un leurre de plus, un malentendu ou quelque chose qui vraiment va le guérir ? Voilà. (sourire). Pardonne-moi pour cette réponse très longue.

Non, non mais vaut mieux et je me rappelle de ta réponse sur le Saint Graal, la quête du Graal…

  La quête du Graal bien sûr ! Cette quête d’absolu !

Comment tu définirais ton style d’écriture ?

 J’vais être très honnête, je sais que dans ce roman et dans mon autre livre Le Cœur en berne - et même d’ailleurs dans la quinzaine de nouvelles écrites pour la revue Bordel – et bien oui, on ne va pas s’mentir : au départ on est quand même très imprégnés par  ses propres lectures. Celles-là même qui t’ont touché, qui t’ont donné un autre rapport à la littérature. C’est-à-dire, en ce qui me concerne, les écrivains qui m’ont ému et qui m’ont donné l’amour et l’envie de vouloir écrire. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Moi peut-être que je suis bien tombé, je suis tombé sur les bons auteurs, enfin  j’en sais rien mais à l’âge de 12 ans, la grande claque ça a été Arthur Rimbaud.


Ca a été une claque incroyable. J’ai 41 ans donc trente ans plus tard, je ne m’en suis toujours pas remis, j’suis toujours un peu abasourdi, j’dois avoir une oreille encore sous acouphène et les yeux qui s’égarent mais vraiment : OUI. Notamment cet aspect démiurge, prométhéen, même ce côté un peu Sisyphe qu’a Rimbaud à l’égard de la poésie. Et à l’égard de la littérature de manière générale, car c’est vraiment quelqu’un qui va donner presque en sacrifice son être tout entier afin d’essayer d’atteindre ce qu’il va appeler lui - au sens de  condition suprême du poète - le fait  d’être « voyant ». Armé de son légendaire « dérèglements de tous les sens », sa quête invite à l’alchimie, à l’ésotérisme, à ce combat de tous les sens pour pouvoir parvenir enfin au  regard du savoir qui seul peut décrypter tous les secrets de l’existence. Et là seulement on peut se proclamer poète.
Alors évidemment c’était une entreprise perdue d’avance et je crois qu’il le savait d’ailleurs. Il abandonne la littérature au moment où, très jeune, tu vois, le désenchantement a pris le dessus. Et je trouve qu’un siècle plus tard, là où il a abandonné, personne n’a osé prendre la suite ou en tous cas n’y est pas parvenu. Et c’est peine perdue. Bon voilà. Il y a son rapport à une esthétique singulière et exclusivement rimbaldienne. 


Quand je lis chez
Arthur Rimbaud cette terminologie « La liberté libre », je me suis dit ce garçon est un génie absolu. C’est vrai que moi aussi j’ai eu un parcours un peu solitaire. Ca se ressent dans le roman et c’est ce qui a fait certainement que je me suis trouvé aussi une connivence avec Arthur. Il est dans un tel élan de pureté parfois - qui est tellement inaccessible au quotidien - que j’me souviens avoir été très touché par ça parce que j’avais l’impression de le vivre moi-même.
Il y avait le monde qu’on nous présentait et puis il y avait le monde que l’on rêvait. Et moi, le monde que je rêvais ne ressemblait pas du tout au monde qu’on me proposait. 


Ce qui m’a conduit à aussi beaucoup de solitude, parfois. C’est ce que je raconte dans le livre. Enfant, je préférais être enfermé dans ma chambre à jouer, pouvoir refaire le monde, bâtir un monde à ma sauce plutôt que de  jouer avec mes camarades dans la rue au ballon. Voilà …Mais bon, il faut bien se confronter à ce monde-là et je crois que le seul moyen de s’y conformer c’est d’y amener quelque chose qui ne nous mette pas totalement en marge tout en  nous conférant toujours une originalité propre. Rester tout de même à notre place sans être totalement différent des autres mais  sans pour autant penser comme son voisin ... Et  je crois que là pour le coup, ça passe pour moi par la littérature, pour d’autres par la musique, pour d’autres le théâtre et ça c’est indispensable.

 En dehors de Rimbaud, tu as bien d’autres influences …

Oui, bien sûr.

Par la suite, c’est  le courant romantique qui m’a subjugué parce que j’me suis vraiment retrouvé dans cette vision à la fois charnelle et désemparée  à l’égard de la vie. Chateaubriand surtout, son rapport à la nature, la grandeur dépassant toutes les lois humaines. Cette intelligence de la nature qui nous submerge et sans qui, dans le même temps, nous serions peu de choses. Ce rapport au contact sensitif seul où on se tait et où on ne fait que ressentir, essayant d’exprimer les sensations qui nous habitent ou en tous cas : en tentant d’y trouver une véritable cohérence, une intelligence, une vérité.

Quand tu te retrouves esseulé dans une forêt, sous des châtaigniers millénaires avec le vent qui te fouette le visage, avec la mèche qui te caresse les yeux clos, tu as un autre regard sur le monde. Et puis souvent souvent souvent, ce monde tu vas le comprendre, tu vas revenir vers lui - ou en tout cas vers la société-  par un lien qui souvent va être l’être aimé. Et j’ai  finalement l’impression que c’est ce que j’ai aimé dans le romantisme. Ce qui ne fait pas de moi un ermite total, c’est ce « trait d’union », justement, ce rapport d’amour qui me lie avec quelqu’un d’autre.
Et c’est cette personne-là qui va me sociabiliser. Sinon je pense qu’on peut vivre complètement muet toute notre vie, ce n’est vraiment pas grave.
(Silence, Renaud boit un peu de son chocolat) 

Alors il y a Chateaubriand évidemment.


Adolescent, il y a toujours eu également cette désinvolture que j’aimais beaucoup chez ce génie en cynisme lorsque je lisais Cioran. Cioran qui est éminemment pessimiste, mais pas seulement. Il fut bien trop intelligent pour n’être que cela …Sinon, j’aimais beaucoup la poésie philosophique ou la philosophie poétique – évidemment - de Nietzsche.


Chez les contemporains français ça a vraiment été les Hussards. Vraiment tout le mouvement : Michel Déon, Antoine BlondinRoger Nimier.


J’aime certains livres de Sartre qui m’ont vraiment beaucoup marqué. La Nausée est un des livres que j’ai le plus lu, le plus de fois et euh… Sartre ce n’est pas rien non plus,  Le Mur, les nouvelles surtout L’enfance d’un chef  qui m’a énormément marqué parce que je me suis retrouvé aussi beaucoup. Et pourtant il ne fait pas a priori partie de ma lignée littéraire, Sartre. Je n’apprécie pas l’homme, ni le personnage mais j’aime vraiment son écriture. Ca peut paraitre paradoxal mais c’est ainsi.


En ce qui concerne les auteurs étrangers, je reste admiratif de l’œuvre magistrale  d’auteurs comme : Zweig, Hesse et Jünger. Ils restent pour moi comme des modèles.

As-tu souffert du syndrome de la feuille blanche ?

Alors là je vais te répondre très facilement : Jamais ! 

Parce qu’aimant énormément l’oisiveté, étant un garçon qui ne s’ennuie jamais même dans un hall de gare perdu au fin fond de la province en attendant six heures le prochain train du matin parce que j’ai raté le dernier du soir. Je suis quelqu’un qui ne s’ennuie jamais. Donc ça a au moins le mérite de te dire que le jour où je prends la feuille c’est que j’ai déjà une envie démesurée d’écrire. Etant très oisif, et n’étant pas un besogneux de la littérature, si je n’ai pas envie d’écrire je ne m’astreins pas à me dire « tous les matins je me lève à 6h pour écrire de 7h à 10h avant d’aller au travail parce que les vrais  écrivains font ça ». Bon. Ce sont des travailleurs. Moi, je ne suis pas un travailleur.

  Tu l’as déjà dit mais on va reprendre la question, dans quel univers littéraire tu t’épanouis le plus ?

Incontestablement la poésie.


En fait ce qui est très marrant c’est que dans Le Cœur en berne, mon premier livre j’ai grâce à mon éditeur Stéphane Million mais aussi Jérôme Attal, qui est un très grand écrivain, que j’aime beaucoup qui est aussi édité par Stéphane Million et Louis Lanher qui aussi est édité par Stéphane Million et Au diable Vauvert, ressorti mes poèmes. Ces trois camarades-là m’ont mis le couteau sous la gorge en disant : tes poésies, que eux avaient lu un peu clandestinement parce que je ne les sortais pas de chez moi, faut que tu les publies. Et c’est vrai que j’ai eu du mal à le faire, mais grâce à eux je l’ai fait. Mais la poésie c’est vraiment mon premier amour et après j’ai eu mon déclencheur : Michel Déon et son livre Les gens de la nuit. Que j’ai lu pourtant à 23 ans hein. C’est vraiment avec Les gens de la nuit de Michel Déon que je me suis dit là j’vais écrire un roman.
Ce qui ne m’empêchait pas d’adorer lire des romans etc. Je reviens toujours à Chateaubriand.
Pour moi, Chateaubriand, comme Stendhal sont très importants, Chopin aussi mais je crois que c’est un musicien (rires). 

Mais Huysmans et aussi Camus, on ne va pas se mentir, j’aimais beaucoup Camus que j’aime toujours beaucoup. Il y aurait tant de personnes à citer ! Mais vraiment le départ c’était la poésie, c’est vraiment Rimbaud, ça a été énormément Nerval, c’était aussi Isidore Ducasse c’est-à-dire Lautréamont, puis Verlaine

  Citer Rimbaud sans citer Verlaine c’est pas normal (sourire)…

Oui ça je suis d’accord mais j’aime beaucoup
Verlaine, mais c’est justement parce que Rimbaud et Verlaine ont été tellement - si je puis me permettre - « associés » l’un à l’autre que pour le coup je vois vraiment une différence parce qu’elle est affichée. J’ai cent mille fois la préférence pour Rimbaud plutôt que Verlaine. Très très clairement.

Dans les remerciements tu cites Robert Smith, ROVER, PJ Harvey, Mi and L’Au c’est un peu la bande son idéale pour lire le roman ?

Complètement. Alors là tu… Complètement. Oui parce que…  Pour moi les deux plus grands arts ce sont  la littérature et la musique. J’serai même peut-être tenté de te le dire, c’est pas qu’j’suis tenté de t’le dire c’est que je le pense ; la musique est le plus grand des arts pour moi. Parce que c’est celui que tu reçois les yeux fermés. Comme disait Chopin : « c’est la nourriture de l’âme ».
C’est-à-dire que tu peux ressentir tout ce qu’il y a de plus merveilleux dans le monde, fondamentalement, comme ce qu’il y a de plus triste aussi.


Et simplement en fermant les yeux. Tu reçois. C’est vraiment l’art gratuit. C’est cet art qui te pénètre comme si c’était quelque chose de naturel. Je considère la musique de la même manière que je considère le vent ou une tempête.

Mais vraiment, sincèrement. J’ai l’impression que c’est comme un des éléments de la nature.
Tu ne peux pas vivre sans et cela te pénètre avec une telle facilité. Qui peut te faire changer d’humeur, sans que tu fasses grand-chose, c’est ça qui est fort.


Alors que la littérature te demande quand même une démarche. Faut que t’ailles acheter le livre, faut qu’tu en aies entendu parler, ça peut être fatiguant. C’est autre chose. 

Maintenant c’est vrai que moi, j’ai beaucoup de mal à écrire sans musique. 

Parce que la musique me transporte, parce que je crois que j’ai cette sensibilité intérieure que j’essaie de cacher évidemment derrière un cynisme éhonté. Mais je crois que je suis quand même un peu sensible et  que donc la musique me transporte très vite. Du coup, ça  se ressent dans mes humeurs, dans mes émotions, lorsque je me mets à écrire. Ca me baigne, ça me facilite le travail.
Moi j’écris en marchant. Je marche, je marche, je marche avec des carnets, toujours avec de la musique, le même parcours dans Paris 5ème et 6ème qui est exactement le même cheminement d’ailleurs que je décris dans le livre. Je le fais au moins 3 ou 4 fois par semaine. Et j’écoute  toujours de la musique en même temps parce que cela  m’inspire.
Le fait de marcher participe aussi à faire en sorte que ton cerveau est toujours en éveil. T’es toujours aux aguets de ce qui se passe autour de toi. C’est normal tu es toujours plus attentif lorsque tu es au milieu de la rue avec des passants, des voitures etc... Donc du coup aussi sur les idées, ton cerveau fait en sorte que ton corps en mouvement fait fonctionner le cerveau encore mieux. Et emporté par une musique qui te plait, qui te transporte. Voilà c’est génial. J’écris sur des carnets et après j’arrive chez moi, je rédige en longueur. Quand je rédige en longueur en revanche, je le fais sans musique. C’est-à-dire que la partie la plus besogneuse, qu’est moins du ressort de l’inspiration, celle qui est plus travaillée, plus rigoureuse,  je le fais sans musique. Parce que là, pour le coup, ça me perturbe. Mais la musique est indispensable. Alors là effectivement avec ROVER j’ai écrit tout le roman. ROVER qui est un chanteur que j’ai découvert et qui sincèrement m’a transporté. Il y a cette chanson : Full Of Grace que j’ai dû écouter au moins quarante fois dans la même journée en boucle. 
Et la partie à New-York c’était avec PJ HARVEY et l’album  Let England shake.

Concernant les Cure, bon bah, ça c’est un indispensable. De temps en temps quand je suis en manque d’inspiration, que j’ai trop entendu les albums dont je viens de te parler, il n’y a qu’un seul groupe dont je ne me lasse jamais c’est les Cure.


Ce qui est génial avec eux c’est qu’ils ont eu autant d’époques très sombres que très pop. C’est-à-dire que quand je suis dans des passages où je suis un peu bloqué, dans les passages un peu heureux j’vais plutôt me passer The Love cats qui reflète une époque plutôt rigolote et sympathique du groupe. Et quand je me dis je ne suis pas assez loin dans la noirceur que je désire retranscrire,  que je trouve plus les mots,  je m’écoute plutôt Pornography et là, bizarrement, ça vient …
Ce n’est pas eux qui écrivent pour moi non plus. Cela m’ouvre simplement des portes.

La musique, en écrivant, me libère.

 Question cinéma ; si ton roman était adapté au cinéma, qui aimerais-tu voir dans le rôle d’Augustin…

(me coupant la parole) Gaspard Proust !

 
 Et Clara, pas Louise Bourgoin sinon c’est trop le duo (cf. L’amour dure trois ans) (rire)

Clara… Clara a fait beaucoup de théâtre, la vraie Clara… Elle a fait des courts-métrages c’est une très bonne actrice même si elle travaille plus là-dedans. C’est une très bonne comédienne donc j’aimerai bien que ça soit elle.

      Elle serait fidèle à son personnage…

Ouais. J’aimerai beaucoup qu’un long-métrage lui permette d’arrêter les courts-métrages et tout ça. Je serai très fier que ça soit elle. C’est important que tu le dises.

(petite note à Caroline, il a insisté, je ne peux guère retranscrire davantage son enthousiasme.)

 Qu’est-ce que tu as fait dès que tu as fini ton roman, tout bouclé, publié etc ?
       
       Dès que le roman a été fini… Quand je l’ai rendu à mon éditeur, c’était un dimanche soir, j’ai cru que j’allais mourir, parce que durant  trois semaines, je fumais trois paquets de clopes par jour, me nourrissant exclusivement de café tout en vivant 24/24 volets clos. Je me suis vraiment isolé du monde, perdant sept kilos en trois semaines.

      Donc ça a été très intense. C’est l’épreuve la plus dure que j’ai physiquement enduré de ma vie. C’est pour ça que le roman que je suis en train d’écrire, je l’écris sur plusieurs mois. Le nouveau est beaucoup plus détaché etc.
      
      Et puis en plus à l’époque, ma mère était malade, Palma. Qui est son vrai nom dans le roman.
     Quand le livre est sorti, trois semaines plus tard Elle décédait. Donc je Lui tenais la main, Elle avait un cancer et je voulais absolument qu’Elle lise ce livre. Il y avait une course contre la montre si tu veux. Et Maman c’est le dernier livre qu’Elle ait lu et je sais qu’Elle est partie avec le sourire et l’âme en paix parce qu’Elle en était fière de ce livre.
      Elle m’a dit « Moi, je pars je te dis au revoir, ce n’est pas si grave. On se retrouvera. En revanche, ce livre il est beau, il est pur, il te ressemble. Fais-le vivre.»  Cette phrase-là je ne l’oublierai jamais. Et donc il y avait ça aussi. 

Mais ce qui est sûr c’est que j’avais prévu de partir le lendemain matin avec Sébastien Thoen qui est un excellent ami, qui s’occupe du groupe Action Discrète (Canal +), et qui officie maintenant au Grand Journal (Canal +), un peu de pub et de promo ne font pas de mal …Que j’adore et que je remercie. Il m’avait dit : « le lundi matin, après avoir rendu ton manuscrit, je t’emmène au Cap Ferret, on part tous les deux ! » et il m’a pris la main le lendemain matin tôt quand on a pris le train, j’étais vraiment… si quelqu’un cherchait  à tourner un film sur les vampires il aurait fallu me prendre parce que j’étais vraiment palot, maigre et tout tremblotant encore. 
      
      Alors mon ami Sébastien a pris soin de moi et m’a fait vivre trois jours extraordinaires.
     J’ai pris le soleil, le rapport à la mer et pas simplement à la mère au sens maternel, le rapport à l’eau aussi, j’en avais besoin. Et puis Sébastien, c’est Action Discrète, c’est le trublion iconoclaste du Grand Journal c’est quelqu’un qui par sa joyeuseté et son énergie a pu me sortir de ces ténèbres-là. Même si la fin du roman est plutôt lumineuse par ailleurs, mais j’étais encore vraiment perturbé, j’avais vécu ça comme un accident de voiture c’est-à-dire que j’avais vraiment l’impression d’avoir ressenti les symptômes de dix-sept tonneaux sans ceinture, tu vois à l’intérieur de la bagnole ? J’me sentais cassé de partout et j’étais vraiment très fébrile.
      En trois jours, Sébastien m’a remis sur pieds. Et je ne l’en remercierai jamais assez.

            On le félicite alors !

Oh oui ! Je l’aime d’amour !

            Alors comment est-ce qu’est née la couverture ? Puisque que tu dessines mais est-ce que c’est toi qui l’a réalisée ou quelqu’un te l’a proposée ?

 Alors on a une chance incroyable avec cette maison d’édition Stéphane Million Editeur. C’est qu’on a quelqu’un qui travaille sur toutes nos couvertures et qui est je dirai tout simplement un génie ; (sourire) Erwan Denis ! 

Ce qui est incroyable chez lui c’est que non seulement il a un talent dingue et qu’il fait tout ce que tu veux. Mais c’est surtout qu’il lit ton livre et c’est quelqu’un qui comme mon éditeur, est très proche des auteurs. 

On le connait tous et il a le don de te cerner en une demi-heure.  Il a cette psychologie en plus d’être illustrateur. Oui : c’est un très fin psychologue donc il arrive tout de suite à sonder  ton âme (rire). Alors, quand il fait une proposition comme il l’avait fait pour Le Cœur en berne, ça fait tout de suite mouche ! Normalement, pour une proposition de couverture, tu fais retravailler trois quatre fois la personne en disant « ça j’aime pas, ça oui ». Si tu veux, lui, la couverture du Cœur en berne immédiatement j’ai dit « mon Dieu, mais comment a-t-il  fait ?!» et là ce qu’il avait réalisé, je n’ai pas pu lutter. 

Il avait même pris une photo pour la couverture que tout le monde prenait pour  une silhouette de Rimbaud et j’en suis très content. Mais c’est moi, il a repris une photo de moi et voilà. Quand tu vois ça, tu t’inclines.
      C’est ce que j’aime aussi beaucoup chez Stéphane Million c’est qu’il sait s’entourer de gens  non seulement intelligents mais également très doués. Si tu veux c’est un vrai plaisir de travailler dans cette maison d’édition.
      Moi, j’l’ai vu, j’vais pas te le cacher, on m’a envoyé la couverture, j’étais dans le train. Sur mon portable, j’ai regardé la couverture, je pensais que c’était trop beau pour moi, j’avais les larmes aux yeux mais des larmes de joie !

Tu m’as donc dévoilé un élément ; vas-tu écrire un nouveau roman ? Donc oui ?

          Je suis sur un autre roman…

     Tu peux m’en dire un peu plus ?

Oui ! C’est un roman qui est pour le coup… J’ai failli écrire une suite de La mort est une nuit sans lune et notamment au travers du décès de Maman et de tout ce que j’ai pu ressentir.
C’était deux ans très durs, vraiment très difficiles. Un an à tenir la main de ma mère et puis un an, l’après quoi. Le décès plus assumer la rupture avec Clara.
Bon ça a été dur, fallait tenir debout. Mais là je suis plus sur quelque chose – et même si je n’aime pas trop ce mot-là– de « trivial » tout du moins en apparence.
C’est l’histoire d’une bande d’ami(e)s  avec à sa tête une fille qui s’appelle Mathilde, qui est un des personnages principaux. Je ne veux pas en dire plus mais ce personnage de Mathilde est très important, comme une Lou -Andreas Salomé des temps modernes...
Le personnage principal s’appelle encore Augustin, ce qui est volontaire, j’aime conserver un lien avec mes autres écrits, car il y a un sens.

Evidemment il y aura toujours ces choses qui sont symptomatiques de ce que je suis moi-même donc il y aura des regards corrosifs, comme certains jugements noirs sur le monde, sur la vie. Mais cette fois-ci, j’ai vraiment opté pour une contrebalance plus loufoque et ironique. Je pense qu’on va beaucoup rire dans ce livre. 

On va beaucoup rire dans ce livre j’en suis même certain.

 On va être plus heureux alors !

 
Oui ! Parce que je le suis plus. Je suis guéri de tout ça et quand on arrive à faire le deuil de sa mère…

Surtout que j’étais presque fusionnel avec Elle. Je me sens presque invincible aujourd’hui (rires).
On dit que tout peut arriver, ça n’a plus d’importance. J’me sens vraiment plus fort qu’avant.

Je m’en suis sorti, je me sens plus fort et beaucoup plus heureux bizarrement alors que j’ai vécu les années les plus noires de ma vie. 

J’ai ce souci de me dire que si par hasard il existe quelque chose après et que ma mère me regarde je sais qu’Elle me voudrait heureux. Je désire plus que tout qu’Elle soit fière de moi même si je sais qu’Elle l’a toujours été et je veux lui montrer que :
«  oui, Maman, j’ai pris le relais et l’étendard, tout va bien, et tu n’as pas à avoir crainte de quoique ce soit quant au fait d’être partie prématurément »

Parce que c’est ce qui L’inquiétait. De partir aussi tôt, parce qu’Elle avait le sentiment de m’abandonner et là j’ai l’obligation de Lui montrer comme aux autres qu’Elle ne m’a pas abandonné parce qu’Elle m’avait déjà tout donné. Elle m’a déjà équipé d’une manière telle que je suis plus équipé que la moyenne. Donc, surtout : qu’Elle ne s’en fasse pas parce que je vais très bien grâce à Elle.

              Merci !





 Eh bien, écoute c’est plutôt moi qui te remercie.

                                    
                                        Renaud SANTA MARIA (photo de Jérémy MATGUR)



Petite note ; j’ai mis des « e » majuscules aux « Elle » qui concernent Palma, car malgré que je n’aie pas pu la rencontrer, j’ai énormément de respect pour cette femme qui me semble avoir été la perfection en matière maternelle selon Renaud. Ces quelques mots lui sont adressés : vous êtiez et resterez le premier amour de Renaud. Merci d’avoir fait ce qu’il est aujourd’hui ; un homme fort. 

Bonjour Maîtresse @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 26 Novembre 2013



En rang pour rentrer dans la salle de classe. La maîtresse insiste deux par deux. Et en silence ! Nous voilà dans la classe. Elle est ronde. La maîtresse nous rend nos cahiers. Nous ne sommes visiblement pas très bons.
Et on commence les leçons. De véritables leçons de vie. La maîtresse sort tout droit du roman de Flaubert Madame de Bovary. Cette femme si malheureuse qui rêve d’une autre vie, plus heureuse, plus mouvementée. A l’heure de la dictée, tragiquement elle prononce La mort d’Emma. Quelque soit la discipline, la souffrance est là. En cours de chant, elle nous apprend Il pleut sur Nantes de Barbara, en biologie le cœur qui rappelle que le sien est si souffrant.
L’institutrice perd progressivement sa maîtrise d’elle-même. « On efface tout et on recommence », mais ça ne semble pas si simple d’effacer les maux qui ne cessent de la traverser.
Chantal Bronner joue tantôt tendrement tantôt follement ce rôle d’une maîtresse profondément fragile. Son regard nous pénètre, elle est si seule, pouvons-nous la sauver ?