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Schatten (Eurydike sagt) @Théâtre national de la Colline, le 26 Janvier 2018


La metteuse en scène britannique Katie Mitchell présente deux spectacles à Paris en cette saison 2017/2018 ; La Maladie de la Mort aux Bouffes du Nord et Schatten (Eurydike sagt) au Théâtre national de la Colline.  

Schatten (Eurydike sagt) - traduit Ombre (Eurydice parle) - se présente comme une poursuite des travaux exploratoires de l'auteure autrichienne Elfriede Jelinek sur les mythes féminins. C'est donc presque naturellement que la femme de théâtre s'est emparée du texte. Le mythe d'Eurydice et d'Orphée est alors revisité aux couleurs des années 2010 et féministes chères à la britannique. 

 © Gianmarco Bresadola
C'est depuis sa cabine de verre que Cathleen Gawlich nous raconte, nous partage les pensées d'Eurydice - interprétée par Jule Böwe -. 
Orphée est une rock star - qui aurait la voix grave et profonde d'un certain Sivert Høyem - qui présente tous les travers d'un être que notre société décrit comme pervers narcissique : possessif, toxique, manipulateur... Dans son ombre tente d'exister Eurydice, elle veut écrire son livre, elle ne parviendra qu'à en poser les premiers mots : "Une douleur toute nouvelle. Mais une douleur quand même." 
C'est dans les coulisses d'un concert d'Orphée - joué par Renato Schuch - qu'elle trouvera la mort. Dans l'ombre. 
Comme le veut le mythe, un serpent viendra laisser son venin. Désespéré, Orphée va vouloir la récupérer, la retrouver comme il partirait à la quête d'une dose de cocaïne et tenter de la ressusciter. Une course à différents niveaux.

Au plus bas, la longue descente chez les morts, le Styx symbolisé par le niveau -99 d'un ascenseur, de longs, obscurs couloirs ou encore d'angoissants tunnels. Non sans mal, Eurydice refusera sa résurrection. L'ange de la mort - incarné par Maik Solbach - suit le couple, perdu lui-même. Au plus haut, chez les vivants. 

La mise en scène cinématographique rend le spectacle profond et puissant. La performance des comédiens réside dans leurs expressions faciales, leurs mouvements. Le plateau se fait studio où tout doit se jouer en une seule prise. De l'automobile centrale aux couloirs et à l'ascenseur, tout est paramétré pour qu'aucun faux mouvement ne vienne s'égarer et perturber le rythme de cette lente descente aux enfers.


(Spectacle en Allemand surtitré)

L'Autobus @Théâtre 13 / Seine, le 23 Janvier 2018



Créé en 2007 à Avignon au Théâtre du Chien qui fume, le spectacle L'Autobus et la Renn compagnie sous la direction de Laurence Renn Penel reprennent du service au Théâtre 13 / Seine à Paris. 

L’image contient peut-être : 7 personnesLa tragédie burlesque née sous la plume du bulgare Stanislav Stratiev est une métaphore du régime de son pays d'origine au cœur des années 1980. A bord d'un autobus branlant, neuf personnages se retrouvent victimes d'un chauffeur manipulateur. Invisible, il n'en est pas moins omniprésent.

Neuf personnalités pour une meilleure représentation de la société: le Raisonnable ou celui qui dicte la bonne conduite (Laurent Lévy), le Déraisonnable ou le rebelle individualiste (Gall Paillat), le Paysan ou la sagesse (Marc Ségala), le Couple petit bourgeois qui ne remet pas en question le système (Raphaël Almosni et Natacha Mircovich), l'Irresponsable  ou celui qui noie son désespoir dans l'Eau-de-vie (Christophe Sigognault), le Virtuose ou celui qui ne jouerait pas devant le petit peuple (Lionel Bécimol) et la Jeunesse ou l'incarnation de l'espoir (Solal Forte et Gabrielle Jéru).  

Le trajet ne sera pas de tout repos : entre les virages serrés, les coups de frein imprévisibles, les secousses, tout se ressent chez les spectateurs grâce à la scénographie de Thierry Grand : un imposant autobus métallique sur ressorts. Prisonniers de la machine(rie), les passagers tenteront de se révolter chacun à leur manière. 

L'une des scènes retiendra toute notre attention : le semblant de procès du Virtuose. Le Raisonnable se fait juge, il veut forcer le Virtuose à jouer du violoncelle au chauffeur pour que celui-ci prenne (enfin) la bonne direction. La scène se réalise toujours à bord de l'autobus et le jeu de lumière recentré sur les deux personnages donne l'impression d'un véritable tribunal avec son ambiance austère. 

L'ensemble des comédiens se coordonne et livre un jeu proche du clown et du mime pour servir au mieux toute l'absurdité du propos. Jubilation, humour et dénonciation sont les maîtres mots d'un texte en résonance avec une actualité préoccupante. 

Oussama, ce héros @Théâtre Monfort, le 22 Janvier 2018



Ce n'est pas la première fois que nous parlons du Collectif Cohue sur ce blog. En 2015, nous les avions vu à l'occasion du grandiose Visage de feu. On les retrouve trois ans après au même endroit pour une nouvelle création : Oussama, ce héros. Le collectif poursuit ainsi sa réflexion sur la violence de notre époque.Scindé en trois parties, Oussama,ce héros est un thriller qui monte graduellement en intensité. L'action se déroule en Angleterre post 11 septembre 2001. Impossible de ne pas repenser aux attentats de 2015. 

On suit la petite vie de Gary (Baptiste Legros), jeune un peu perdu qui assume pleinement sa différence de par ses pensées quelque peu marginales. En hissant Oussama Ben Laden au rang de héros lors d'un exposé, il était loin de comprendre ce qui pourrait en découler. 

Le plateau n'est pas spécialement chargé. Tout en sobriété, on imagine parfaitement une première partie dans une quartier populaire, les échanges tendus de Francis (Julien Girard) et Louise (Sophie Lebrun) dans une cuisine, pas bien grande où les meubles ne sont pas tous au même niveau. De l'autre côté du plateau, on se retrouve dans le garage d'un voisin - Mark - perturbé, totalement dérangé (Stéphane Fauvel admirable) et obsédé par une jeune et naïve habitante du quartier - Mandy -(Charlotte Ravinet). Ils se livrent à un jeu intime voire obscène. Tous ces personnages ont un point commun : la fragilité. Nous, spectateurs nous sommes simples passants. 

Et lentement on glisse dans l'obscur, les spectateurs deviennent témoin. 
Gary est accusé par ses voisins d'être l'ennemi du collectif qu'ils représentent. Il était là au mauvais endroit, au mauvais moment. Il n'aurait jamais du traîner par ici. Voilà que l'on se retrouve à nouveau dans le garage de Mark, Gary est attaché, sa bouche scotchée. Pas un mot, Gary, tu en as assez dit. Tu n'auras pas le choix. Eux, ils sont prêts à en découdre. Il possède une batte. Ils se la transmettent. Dans le puissant jeu de lumière de Romain Delavaux on subit les coups. On frémit. On appréhende le prochain passage. La création musicale de Nicolas Tritschler fait monter la tension. 

Et le meurtre est commis. Ils retrouvent leurs vies misérables, leurs habitudes sordides. Les spectateurs se font confidents. 

Martin Legros et son collectif parviennent une fois encore à nous transporter dans une ambiance pesante où nos travers de simples êtres humains sont mis en lumière, toute notre complexité. 


Lulu @Théâtre 71, le 14 Janvier 2018


Christophe Raynaud de Lage
Lulu la belle et envoûtante héroïne de Frank Wedekind se dévoile sous la mise en scène de Paul Desveaux. Créée au Petit-Quevilly en Normandie en novembre 2017, le spectacle de la compagnie de l'héliotrope a posé son imposant décor au théâtre 71 de Malakoff.
Dans un espace scénique présenté comme une piste de cirque, Paul Desveaux met en abyme la représentation.

S'enchaînant comme les numéros au cirque, les scènes dévoilent toutes les facettes de Lulu - que ses amants prennent plaisir à nommer autrement selon leurs envies -. Aimante, élégante, séductrice, provocatrice, victime, miséreuse mais toujours libre. Lulu charme en permanence.



Portée par une douce Anne Cressent, Lulu donne à être aimée, adorée non sans souffrance. Elle est l'incarnation de Madame Rêve d'un certain Bashung qui trouve sa place dans un moment suspendu dans le temps et l'espace : Cressent se transforme en interprète accompagné de l'acrobate Jonas Leclerc. Les deux artistes offrent un instant chargé de poésie.

Christopjhe Raynaud de Lage
Juste après l'entracte, l'univers circassien s'estompe pour laisser place à un environnement plus obscur, plus cinématographique à la  Kubrick. L'ambiance vire à celle d'un Eyes Wide Shut où les dix comédiens se fondent dans un bordel dans lequel se mêlent dix marionnettes (conçues par Einat Landais en étroite collaboration avec Bérangère Vantusso) identiques à Lulu. Une véritable forêt de corps humains submerge l'espace. Le drame se poursuit.

Ce texte de Wedekind n'est pas dénué de résonance avec l'actualité à l'heure du #balancetonporc. Il frappe ici en mélangeant les thèmes du pouvoir très vite rattrapé par celui de l'argent et du désir.

Les dix comédiens accompagnés des trois musiciens offrent une prestation scénique de qualité qui font oublier les un peu plus de trois heures annoncées. L'auteur voyait sa tragédie comme une "tragédie monstre", celle qui croise la fascination et l'angoisse finalement.