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Le Tartuffe ou l'hypocrite @Comédie Française, le 26 Mars 2022

© Jan Versweyveld

 Il nous avait séduit avec Les Damnés. Il nous a sacrément déçus coup sur coup avec La ménagerie de verre  et Age of Rage. Maintenant qu'il renoue les liens avec la Comédie Française, le metteur en scène belge Ivo Van Hove réussit à raviver la flamme à l'heure des 400 ans de la naissance du dramaturge qui signait Tartuffe. La liaison entretenue avec le metteur en scène du plat pays peut reprendre, en toute connaissance de cause. C'était moins une... 

Entre chandeliers et torches, c'est dans la pénombre et le brouillard que le spectacle s'ouvre. Dans la profondeur du plateau, la machinerie est apparente pour le plus grand bonheur des spectateurs les plus curieux. Au devant de la scène, un revêtement blanc façon tatami où avant de se confronter autant que s'étreindre les protagonistes procèdent à des saluts - révérences à l'instar des judokas.  L'intérieur bourgeois se devine aux accessoires parsemés. Panneaux miroirs et écran aux textes caustiques projetés en gros caractères suffiront. Les corps sont sublimés dans les costumes actuels.

Dans le rôle titre du magnifique ange noir, le metteur en scène a fait le choix du sociétaire Christophe Montenez. On retrouve la même perversité bizarre et dérangeante qui nous avait transcendés dans Les Damnés, on est admiratif de sa maîtrise du phrasé en alexandrins. C'est Denis Podalydès qui campera le rôle d'Orgon, parfait soumis, aveuglément passionné, sous l'emprise de son nouvel ami voire maître d'un nouveau genre. C'est une troublante et provoquante, enjôleuse Elmire que livre Marina Hands. Loïc Corbery convainc dans son jeu de Cléante. Le jeune Julien Frison déploie une belle composition pour Damis. Dominique Blanc signe une impeccable interprétation de Dorine, vaillante. Plus discrète dans la pièce, mais non moins remarquable, Claude Mathieu en Madame Pernelle. Tout ce petit monde livre un ensemble où l'érotisme noir est la direction à prendre. C'est un Tartuffe sombre mais efficace qui s'offre à nous, où l'on renoue avec un travail qui ne peut laisser de marbre.


Un énorme merci à mon héros du jour Jacques Chéa



Le baiser comme une première chute @Théâtre Romain Rolland, le 25 Mars 2022

© Simon Gosselin

La metteuse en scène Anne Barbot signe ici Le baiser comme une première chute, une libre adaptation de L'Assommoir du naturaliste Emile Zola. Le plateau est un appartement modeste minimaliste : chaises, table, lit de fortune posé sur des cagettes. Le spectacle s'ouvre sur un monologue de Gervaise - Anne Barbot elle-même -, assise sur une chaise de bois côté cour. Apprêtée, elle attend sagement, patiemment, presque docilement son mari, Lantier avec qui elle a eu un fils, Etienne. Elle finit par se lancer dans une diatribe contre la lâcheté des hommes à laquelle le public est libre de rétorquer. La voix d'un spectateur s'élève, progressivement on comprend qu'il s'agit du comédien Benoît Dallongeville. C'est Coupeau. Ses interruptions, ses réponses rassurantes deviennent des tentatives de séduction non vaines puisqu'elles aboutiront à la naissance du couple.   

Le couple vit des premiers jours heureux. Très vite, un deuxième enfant s'invite dans le foyer, Nana - Minouche Nihn Briot -. Mais tout aussi vite la relation s'effrite. Coupeau est victime d'un accident grave au travail qui le contraint à l'inactivité, l'entraînant dans une mauvaise pente : la pauvreté, l'alcoolisme. Et Gervaise qui était jusqu'ici très forte, s'effondre lentement avec lui. La chute est vertigineuse. 

De la même façon que la magie peut opérer, place à une descente aux enfers parfaitement mesurée qui fonctionne à merveille, le plateau s'obscurcit à mesure que les personnages se perdent. Les comédiens sont étincelants et embarquent avec eux les spectateurs parfaitement impuissants face à ce tsunami émotionnel. 




   

 

 

Ceux qui vont mieux @Monfort Théâtre, le 24 Mars 2022

 
© Jérôme Teurtrie

Deuxième excursion au Festival (Des)Illusions du Monfort le temps d'une bal(l)ade poético-punk avec Sébastien Barrier pour son spectacle intitulé sobrement Ceux qui vont mieux. Nous voilà entraînés dans sa folie douce obsessionnelle pour les british Sleaford Mods. Outre le duo britannique, l'homme de théâtre s'entoure du souvenir de son père, du poète breton Georges Perros et d'Yves Tano, un curé d'origine ivoirienne officiant à Morlaix qui aura tenté de commettre le péché ultime du haut d'un viaduc. 

Dans la grande salle, pupitres, ordinateur, pad à sons, poutres peuplent le plateau. Au-dessus de la tête du comédien, un avant-bras mécanique - quasi robotique - emprunté à une statue du Christ. Tout au fond, un grand écran sur lequel seront projetées en alternance des images filmées du chat de l'homme de théâtre, de ses promenades loufoques et des extraits télévisés avec ses héros - qu'il préfèrera hisser encore plus haut, au rang de saints - Sleaford Mods. Il tisse ainsi un récit en vrac marqué par la mélancolie, la fragilité du quotidien - les sons du pad sont parfois des paroles touchantes de son propre père sorties de leur contexte - et la poésie brute, un spectacle en équilibre sans filet de sécurité pour peut-être mieux savourer les vertiges de l'existence.  






Le ciel de Nantes @Théâtre de l'Odéon, le 16 mars 2022

 
© Jean-Louis Fernandez

Après ses inoubliables Idoles, le cinéaste Christophe Honoré convoque à nouveau les disparus - à l'exception de sa mère - à l'Odéon - la proximité avec le Panthéon n'est que pur hasard renouvelé -  mais cette fois-ci, ses plus proches du côté maternel nantais :  ses oncles, ses tantes, sa grand-mère et son grand-père. Tout ce petit monde se retrouve dans une salle de cinéma dans laquelle il était encore possible de fumer, à l'ancienne, comme à l'époque où ils étaient encore là. Il - se faisant interpréter par le jeune Youssouf Abi-Ayad - les a réuni là pour leur parler du film qu'il voulait faire sur eux mais qui ne sortira - probablement - pas. Le tournage du film aura finalement lieu sous nos yeux sur les planches. 

Les souvenirs, les traumatismes, les amours, les névroses, tout y passe. Avec la même tendresse, le même humour parfois mordant, la légèreté grave, Honoré écrit une pièce qui tente de reconstruire une partie de son histoire mais qui se voit mêlée à la version de chacun des protagonistes, un grain de sel non négligeable - qui, par certains moments, peut s'avérer mal dosé -. Mais chaque fois, les chorégraphies pensées par la fidèle Marlène Saldana sont des poèmes aériens - mention particulière au moment flamenco sur les fauteuils -. 

© Jean-Louis Fernandez
Toute la famille est haute en couleurs : sa grand-mère explosive campée par une Marlène Saldana en pleine forme, son grand-père Puig caractériel transporté par le corps d'Harrison Arévalo, Stéphane Roger se retrouve en l'oncle Roger dépassé par un racisme exacerbé, hanté par la guerre d'Algérie, le léger tonton Jacques prend l'allure de Jean-Charles Clichet et la douce et discrète tante Claudie suicidée fait poser les premiers pas de Chiara Mastroiani sur les planches qui livre un jeu sincère. La mère Marie-Do Honoré est jouée par le frère du réalisateur ; Julien Honoré - qui offre une belle et juste interprétation du magnifique Les yeux au ciel tiré du film de son aîné Les chansons d'amour - . Et comme toujours de la musique à tous les étages teintées de nostalgie des années 1970 : Sheila, Joe Dassin, Julio Iglésias... Quelques images filmées en temps réel se mêlent à des rushs où se succèdent les comparses issus du cinéma, l'autre famille du réalisateur : Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste, Marina Foïs, Ludivine Sagnier ou encore Anaïs Demoustier font leurs apparitions furtives. 

Christophe Honoré signe un spectacle mélo touchant sur fond de retrouvailles avec ses origines - on pense parfois au Retour à Reims du sociologue/philosophe Didier Eribon -, honnête avec quelques pardonnables longueurs. 



Merci au héros du jour : Léo








Dernier amour @Monfort Théâtre, le 13 Mars 2022


Attention objet théâtral fortement décalé ! Inscrit dans la programmation du festival (Des)Illusions du théâtre Monfort, Dernier amour est un spectacle de la jeune compagnie Je t'embrasse bien

Dernier amour est une création originale collective d'Hugues Jourdain et de ses camarades du conservatoire Charlie Fabert et Salomé Diénis-Meulien (et aussi la voix de Roxanne Roux). Le trio - presque quatuor - décide de livrer son dernier spectacle à l'humanité après avoir chacun essuyé un chagrin d'amour. Embarquement direct pour l'absurdie. Pas de décor imposant dans la cabane du théâtre du 15ème arrondissement parisien. 

Le groupe recréée un vaisseau spatial dans lequel il livre un spectacle on ne peut plus drôlement pathétique. Les jeunes comédiens parviennent à créer un univers complètement perché - du fait de son envolée dans l'espace ? -. One woman show navrant, mort par "balle perdue" - plus proche de Marion Cotillard dans Batman en version interminable qu'une Sarah Bernhardt -, striptease décalé, équations loufoques projetées, DJ gonflable, intervention surprise du physicien-philosophe Etienne Klein, monologue de spoils... La bande apporte son lot de fantaisies pendant un peu plus d'une heure. Sans queue mais a minima une tête pensante, des sourires à la sortie avec surtout une question : "Qu'est-ce que c'était ce spectacle ?"  Spécial ou spatial... A vous de voir.



Le petit terroriste @Théâtre Montansier, le 10 Mars 2022


Celles et ceux qui me connaissent plus personnellement savent que ce spectacle est très important à mes yeux. Je ne rentrerai pas ici dans le détail de toute l'histoire mais au plaisir de vous la raconter, à l'occasion. 

Le petit terroriste - avant d'être un spectacle - est un roman autobiographique de l'écrivain journaliste poète syrien - et depuis peu français - Omar Youssef Souleimane paru en 2018 aux éditions Flammarion. Dans ce récit, il raconte son enfance près de Damas, son adolescence en Arabie Saoudite toutes deux marquées par une éducation salafiste "normale". Entre humour et gravité, Souleimane relate tout ce qui l'a conduit à devenir un dissident et choisir la voie de l'exil. 

On le dit et on le dira toujours : le seul en scène n'a rien d'évident. Ajoutons l'ingrédient le plus difficile à manier : le caractère autobiographique. La mise en scène proposée par Hervé van der Meulen est minimaliste, elle consiste à jouer avec les anecdotes contées par Elie Youssef qui incarne Omar, elles-mêmes dans le respect du ton de son auteur. Elles s'accompagnent de projections d'images. Tantôt des plans fixes, tantôt des vidéos. Le spectacle accomplit une mission didactique essentielle sur le sujet hautement sensible que celui de la radicalisation. Si la langue romanesque transformée s'avère parfois complexe en bouche, Elie Youssef parvient à se mettre dans la peau de l'adolescent. 

Après une série de représentations à destination de lycéens, les deux représentations publiques ont elles aussi été suivies de débats durant lesquels Omar Youssef Souleimane se livre au jeu des questions/réponses, le comédien Elie Youssef écoute d'une oreille et participe au besoin.