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Akila, le tissu d'Antigone @Théâtre - Cinéma de Choisy-le-Roi, le 30 Novembre 2022

© Caroline Ablain

Le mythe d'Antigone ne cesse d'attirer les curiosités et enthousiasmer les metteurs en scène. La dramaturge Marine Bachelot Nguyen fait partie de ceux-là. Inspirée par le personnage titre de Sophocle, elle renomme la protagoniste Akila et la propulse dans une France secouée par les attentats terroristes. 

Les spectateurs assistent à une minute de silence dans un lycée francilien suite à une attentat perpétré aux abords du Trocadéro. C'est à ce moment qu'Akila (Nikita Faulon) - dont le frère fait partie des auteurs de cette barbarie - provoque la stupeur en recouvrant ses cheveux d'un voile blanc. Elle suscite l'indignation, l'incompréhension de ses camarades et professeurs. Le proviseur ne perd pas de temps, la convoque et lui rappelle l'interdiction de porter le voile à l'école au nom de la sacro-sainte laïcité. La jeune fille ne se laisse pas impressionner et entre en résistance. Elle va jusqu'à se rendre à l'enterrement de son frère, s'opposant à l'avis de sa famille, toujours les cheveux couverts. 

Tout le spectacle met en avant toutes les questions qui peuvent être soulevées par la loi de 2004 - Les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. - qui, selon son auteur, s'inscrit dans le prolongement de la loi de 1905. Et c'est là que brille l'écriture de Marine Bachelot Nguyen. L'auteur ne s'enferme dans aucune école de pensée et met en lumière avec pertinence les paradoxes et ambiguïtés autour de ce texte de loi. Mais pas seulement, elle questionne les chemins qui mènent au terrorisme, elle met en perspective les éléments et invite le spectateur à se faire son idée. Elle glisse quelques allusions aux bavures policières et exclusions que notre société contemporaine entretient. 

Dans une écriture fine, rythmée et actuelle, Marine Bachelot Nguyen conduit sa troupe dans un tourbillon de questions on ne peut plus judicieuses. Si la pièce n'est pas écrite en priorité à destination d'un jeune public, elle fonctionne très bien pour capter et retenir son attention - on pense notamment au choeur qu'elle revisite avec brio sur fond de rap pensé par Raphaël Otchakowsky -. Elle s'entoure de comédiens talentueux issus d'horizons différents - Mouna Belghali, Hiba El Aflahi, Nikita Faulon, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Arnold Mensah et Raphaël Otchakowsky - qui nous embarque dans leur histoire sans impair. On salue également l'ingéniosité du dispositif scénique conçu à partir de trois modules mobiles dont le central qui joue sur la distance et différents rapports de force entre les personnages. 

Boudoir @Centre Pompidou, le 25 Novembre 2022

Boudoir : nom masculin. 
1. Petit salon élégant, qui était à l'usage exclusif des femmes (remonte à l'époque Régence) 
2. Petit biscuit allongé, saupoudré de sucre

Larousse
© Allan Thiebault

Dès l'instant où la programmation du Festival d'Automne a annoncé une nouvelle création de Steven Cohen, il m'aura à peine fallu quelques secondes pour repenser à Put your heart under your feet...and walk et son intensité. Ni une, ni deux, je prends ma place. Le souvenir de la dernière création du sud-africain est très fort, en plus d'entretenir le souvenir, je vais m'en créer un nouveau dans l'épaisseur de la nuit froide.

Séquencée en deux parties, la nouvelle performance s'intitule Boudoir. La première partie est une expérience cinématographique durant laquelle les spectateurs sont équipés individuellement d'un casque audio pour avoir la musique au plus près d'eux. Manque de chance, le mien ne fonctionnera pas, je vivrais les images puissantes qui s'animent sous mes yeux : Steven Cohen dans un atelier de taxidermiste, dans un cimetière juif où est enterrée sa mère, dans le camp de concentration Natzweiler-Struthof et jusqu'au plus dramatique ; un four crématoire. C'est dans ce dernier il effectuera quelques mouvements avant de s'immoler. "My taboos are not yours" (mes tabous ne sont pas les vôtres) disait-il dans sa précédente performance. C'est cette image qui restera déchirante. Tantôt des rouleaux de thorah que slogan "Arbeit macht frei" comme couronne, Steven Cohen n'a plus peur de rien. 

Pour la seconde partie, les spectateurs pénètrent dans le dit boudoir. Animaux naturalisés, thorah, étoiles de David, Menorah, portraits d'Hitler et autres curiosités peuplent l'espace. Le performer vient à leur rencontre en étant à nouveau perché sur d'improbables chaussures dont il a le secret de la conception. Cette fois-ci, les globes terrestres font office de plateformes. Plongés dans l'obscurité, les spectateurs le voient chercher l'équilibre. Sa coiffe phosphorescente vient éclairer le chemin. 

Il ne prononcera pas un mot, seuls des petits bruits s'échappent de sa bouche maquillée comme à l'accoutumée, son regard profond aux papillons strassés vous transperce et suffit à communiquer avec vous. C'est avec la même élégance et intensité que l'artiste nous chahute à nouveau dans un univers "macabronirique" qui lui est propre. 


Je dédie ce billet à la spectatrice qui s'est échappée bruyamment "Putain ! Mais quelle daube."


Prenez garde à son petit couteau @Monfort Théâtre, le 24 Novembre 2022


Lorenzaccio des années 2020 vu et corrigé par la Compagnie l'Heure avant l'aube. Si de Musset l'a pensé comme un drame, le collectif en a fait une satire bougrement mordante à mi-chemin entre la parodie des soap-operas et le théâtre de boulevard dans ce qu'il a de plus caricatural. Si le décor se voulait au cœur de la Renaissance, c'est au nom du parti du même nom qu'il faudra se référer. 

Le spectacle s'ouvre sur le jeune directeur de cabinet et lanceur d'alerte Laurent Laxçio - impeccable Matthieu Poulet - en marcel/caleçon, la corde au cou sur un bureau. Il veut en finir. Sa carrière au ministère de l'Economie le dépasse. Son suicide se verra interrompu par Alexandre Le Duc - campé par un Christophe Paou en grande forme -, le dit Ministre. Tous deux semblent sortis d'une soirée bien arrosée. Les voilà qui déblatèrent sur le dos de la conseillère communication Kris Marquise - incarnée par la chouette Céline Fuhrer - qui ne manquera pas de les rejoindre en trombe. Tout apprêté c'est Jean-Louis Cardinal - admirable Jean-Luc Vincent - qui rejoint la bande. 

Sans rentrer dans le burlesque de l'intégralité des scènes, on pense très fort au film Oranges sanguines sorti en 2021 qui mettait également en scène le duo Paou/Furher. A coups de répliques et gestuelles explosives, le collectif dynamite le Gouvernement et le monde politique plus largement  - toute ressemblance avec la réalité serait très très peu fortuite -. Manipulation, corruption, trahison, ambition tout y passe et vole irrévérencieusement en éclats, dénoncés avec brio. Si le traitement est franchement drôle, on grince des dents en mettant la réalité en arrière pensée. Le collectif signe un spectacle délicieusement décapant. 

Le Consentement @Espace Cardin - Théâtre de la Ville, le 21 Novembre 2022

© Christophe Raynaud de Lage

Tambour, rythme le combat de V. ! 

Sébastien Davis choisit Ludivine Sagnier pour donner corps aux mots du roman autobiographique de l'écrivaine Vanessa Springora qui avait fait sensation en 2020. Pour rythmer ses maux, elle sera accompagnée du musicien Pierre Belleville

C'est vêtue d'un jogging gris et d'un débardeur à la couleur saumon que Ludivine Sagnier accueille le public. En fond sonore, comme des pensées bourdonnantes, les questionnements de Springora envahissent les oreilles des spectateurs. Dans un décor fait d'un lit, une toison translucide et d'une table à laquelle viendra s'asseoir la comédienne, Ludivine Sagnier traverse tous les âges de la protagoniste. 

Tout y est distillé comme dans le récit originel. Toutes ses jeunes années jusqu'au moment de la rencontre avec celui qui fera l'objet de sa souffrance de jeune adulte et celles marquées par la toxicité de la relation s'installant, où sa fragilité est mise à rude épreuve. 

Dans des moments chorégraphiés, Ludivine Sagnier court, donne l'impression de se battre comme dans un combat de boxe où l'adversaire est invisible. L'actrice porte les mots le plus justement possible. Derrière la toison de fond de plateau, elle exprime la douleur profonde de V., c'est ici qu'elle y trouve la possibilité d'être plus transparente, qu'elle parvient à mettre les mots sur la souffrance. 

Les mots claquent, l'aveuglement de son entourage - que Ludivine Sagnier porte également au plateau - est foudroyant. Le spectacle percute dans une sobriété qui fait mouche. Exception sur une scène délicate dans laquelle la comédienne se livre à son prédateur dans une forme de rituel. Si le public imagine parfaitement l'action, la "sacralisation" illustrée peut embarrasser. Un spectacle qui rappelle la nécessité du témoignage pour construire et faire grandir le monde. 

Follow @Théâtre du Gouvernail, le 20 Novembre 2022

© Les Sentiments Alternés

Alors que le réseau social Twitter est dans la tourmente depuis le rachat et l'arrivée d'Elon Musk, la jeune compagnie des Sentiments Alternés s'inscrit dans un futur pas si loin de notre présent. Très inspiré du programme dystopique britannique Black Mirror qui imagine une existence marquée par le "crédit social". 

2030. Les réseaux sociaux sont plus que jamais omniprésents dans les vies. Le couple Jean et Dina sont dans les ultimes préparatifs du vernissage de l'exposition de Jean. Dina, influenceuse reconnue se charge d'attirer ses followers dans les murs du bar de leur amie Gabrielle. C'était sans compter sur l'irruption de son ex, Adèle. Le vernissage prend une toute autre tournure... 

Follow est un spectacle résolument contemporain tant dans son approche scénique que dans les thèmes abordés on ne peut plus ancrés dans l'époque. Bien rythmé et assuré dans un jeu qui est mesuré, le quatuor de comédiens parvient à manier humour et suspens tout du long. Malgré quelques petites fragilités dans la dramaturgie, on salue le travail d'écriture de la metteur en scène Charlotte Bottemanne et de son binôme David Reboah

Jouant avec les apparitions d'avatars masqués, le quatuor évolue dans un espace à mi-chemin entre le réel et ce qui pourrait s'apparenter à un metaverse. Une fois encore, la fiction n'est pas si éloignée de la réalité. Le tout dans un décor minimaliste composé d'un écran au décompte effrayant et des différentes structures faites de cubes en mousse pour reconstituer des pixels sur un QR code grandeur nature. 

Adulescents, ce spectacle est fait pour vous ! 

Isabelle @Monfort Théâtre, le 18 Novembre 2022

© Compagnie Oh ! Oui...

Les histoires de famille ont toutes leurs saveurs. Celle de Joachim Latarjet a été marquée par Isabelle, sa tante. Si Isabelle n'a pas de handicap moteur, elle souffre mentalement. Ca se manifeste par des crises répétées - dans une très aigüe, elle a manqué de fendre sa mère en deux avec une hache -, un décalage par rapport à ceux qui l'entoure. La famille n'a rien d'exceptionnel, elle est même ordinaire : un père - Christophe Paou - chirurgien à l'hôpital public, qui donne quelques cours à la fac de médecine, une mère - Françoise Gazio - au foyer pour le moins aimante de ses cinq enfants parmi lesquels Paul - Emmanuel Patte - qui leur rend visite tous les week-ends avec sa compagne -  Eleni Apostoulopoulou -. Tout ce petit monde a un intérêt marqué pour la musique : le paternel aurait pu se lancer dans une carrière de pianiste professionnel, la mère est une excellente violoniste et le jeune fils touche à tout, comme l'un de ses frères campé par le metteur en scène lui-même. 

Si la vie d'Isabelle  - Alexandra Fleischer - se limite à deux espaces : le centre pour handicapés et le domicile familial, la grande majorité des scènes se déroule auprès de ses proches. Seul le papier peint projeté laisse imaginer les différentes pièces dont la chambre d'Isabelle et les échappées mentales de cette dernière. 

On se laisse transporter dans ce spectacle qui mêle le théâtre joué et morceaux chantés. C'est d'ailleurs dans les moments chantés qu'Alexandra Fleischer incarne toute la folie douce d'Isabelle. Des espèces de bulles fantaisies dans lesquelles Isabelle semble trouver refuge. Ce qui fait toute la force du spectacle c'est sans doute la justesse du propos et la tendresse qu'a su donner Joachim Latarjet en révélant une partie de sa famille sans fard ni grands artifices. 


  


Racine carrée du verbe être @Théâtre national de la Colline, le 13 Novembre 2022

© Simon Gosselin

L'homme n'est-il pas une équation mathématique complexe aux innombrables inconnus ? Avec Racine carrée du verbe être, le dramaturge Wajdi Mouawad donne une piste fleuve qui pourrait s'apparenter à un théorème qui rappelle celui de Pythagore mais qui imbrique le calcul des probabilités. La racine - avant d'être carrée - ici c'est l'histoire personnelle de l'auteur qui tient en trois mots : Liban, guerre et exil. Pas moins de six heures de spectacle pour cinq chemins de vie ; chauffeur de taxi parisien, condamné à mort qui attend son exécution, plasticien homosexuel, neurochirurgien égoïste père de famille amateur de jeunes prostituées ou encore vendeur de jeans dont la boutique a subi l'explosion du 4 août 2020, Mouawad s'imagine des destinées variées avec chacune une trajectoire bien marquée. 

Le spectacle devient un gigantesque puzzle où les pièces s'imbriquent pendant une durée fictive d'une semaine. Chaque scène est parfaitement mesurée tant dans le temps que dans le propos animé par un fil rouge : l'horreur qui peut faire naître la beauté. L'interdépendance entre le bien et le mal. Non loin de là, la quête éternelle du  - pas nécessairement divin - pardon. 

Si la première partie peut être difficile à appréhender, la deuxième et la troisième tiennent en haleine notamment de par leurs rythmes mais pour le fond du propos plus ancré dans les thématiques fortes et on ne peut plus actuelles - en passant par quelques clins d'œil très personnels -. Philosophie et mathématiques deviennent très amis - après tout, bon nombre de philosophes sont passés par la science dure avant de basculer dans la science humaine dite molle... -. 

Matheux ou pas, il faut voir ce spectacle. S'il est possible de voir la fresque en plusieurs fois, on recommandera l'intégrale pour ne pas perdre le fil de cette fabuleuse aventure humaine. La démonstration mathématique fonctionne à merveille, aucune inégalité dans le jeu des comédiens : c'est mission accomplie pour le directeur de la Colline ! Textuellement, on salue le remarquable monologue de Wyo habité par Jérémie Galiana

Liebestod @Théâtre de l'Odéon, le 12 Novembre 2022

© Christophe Raynaud de Lage

Avignon 2021, l'espagnole Angélica Liddell faisait déjà sensation à l'Opéra Confluence. Quelques mois plus tard, elle investit l'Odéon. La grande salle de l'Odéon se transforme le temps de quelques soirs en ruedo ocre aux talenquères et burladero assortis. Dès les premières minutes, on assiste à une succession de deux tableaux muets - dont un avec un homme traîné par des chats - avant de voir le spectacle s'ouvrir sur un dernier tableau où l'artiste espagnole assise, se livre à ce qui pourrait s'apparenter à des ablutions sanguinolentes sur fond d'Asingara des soeurs Las Grecas tout en s'offrant de généreux verres de vin rouge.

Prêtresse ténébreuse, Angélica Liddell offre un jeu qui mêle l'amour, la mort et le sang. Violence et beauté métaphysique, cynisme et révolte, Liddell exprime sa douleur, sa colère dans une performance totale. Le temps d'une logorrhée, elle s'étend sur le rapport de son public à son travail et par extension à sa personne. Elle s'en prend aussi bien aux actrices qu'à ses spectateurs - qu 'elle estime être composé de "femmes et de pédés" -. Si la provocation fonctionne quelques minutes, elle peut agacer sur la longueur. Mais très vite c'est la poésie du jeune prodige Rimbaud, le pessimisme amer de Cioran et la pensée d'Artaud qui succèdent. 

En fond non loin d'ici, le torero Juan Belmonte rôde tel un esprit double de l'artiste. C'est d'ailleurs sa formule "L'odeur du sang ne me quitte pas des yeux" qui fera office de sous-titre du spectacle. Plus tard, la maîtresse de cette cérémonie obscure fera face à un taureau grandeur nature. Le rapport qu'ils entretiennent contient quelque chose de l'ordre du charnel. Le rite s'achève sur une danse heureuse en duo.

Liebestod est une création aux accents romantiques - spiritualité et mélancolie en fils rouge sang - poignante, bouleversante tant elle remue des mécanismes de la douleur intérieure. 

Combat de nègre et de chiens @Théâtre de la Bastille, le 08 Novembre 2022

© Gilles Le Mao

C'est sur un chantier en trifrontal qu'entrent les spectateurs. Un échafaudage placé derrière une certaine travée, un baraquement, une table au-dessus de laquelle un ventilo fait tourner ses pales, un arbre en fleurs et un tuyau peuplent le plateau ensablé du théâtre de la Bastille. Bernard-Marie Koltès lui-même disait qu'il "voit un peu le plateau du théâtre comme un lieu provisoire, que les personnages ne cessent d’envisager de quitter. C’est comme le lieu où se poserait le problème : ceci n’est pas la vraie vie, comment faire pour s’échapper d’ici." Et en effet, les allers-retours des personnages sont fréquents. Fuir ses responsabilités, fuir le pays... Dans Combat de nègre et de chiens, la fuite est la seule issue à la vie,  à tout. Le public fait office de gardiens, sentinelles immobiles.

Quelque part en Afrique de l'Ouest, Alboury (Denis Mpunga) s'introduit sur le campement des blancs pour réclamer le corps de son frère décédé sur le chantier géré par ses voisins. Horn (Pierre-Stefan Montagnier) lui assure qu'il fera le nécessaire pour lui remettre. Mais la vérité sur le prétendu accident est bien plus obscure, plus sordide. Horn doit maîtriser Cal (Thibault Perrenoud), le seul (ir)responsable de cette triste affaire. Ce duo complote, s'épuise au jeu, s'enivre en oubliant presque la douce Léone (Chloé Chevalier) qui a quitté la France pour Horn. Ce dernier envisage de se marier avec elle mais la néglige le temps de ses multiples confrontations, tentatives de négociation.

Le collectif Kobal’t s'empare de la pièce de Koltès avec brio dans une mise en scène habitée par une tension crescendo signée Mathieu Boisliveau. Le plateau devient cette zone de combat où les confrontations incomprises s'enchaînent sans faux pas. Le trio masculin porte toute la puissance de la langue koltèsienne pendant que Chloé Chevalier incarne avec une grande justesse la fragilité, la naïveté de Léone.


Et pourtant j'aimerais bien te comprendre @Maison de la Culture du Japon, le 05 Novembre 2022

© Kengo Kawatsura

A peine entrés dans la salle de spectacle, les spectateurs sont accueillis par deux femmes de maison aux cheveux tressés et dressés comme une antenne. Le plateau fait penser à un spectacle de boulevard, un salon au décorum banal comme il en existe tant de l'autre côté de l'archipel. 

Un couple discute d'un peu tout et beaucoup de rien, les échanges tournent en rond et manquent cruellement de profondeur. Lui lambine sur une espèce de fatboy, elle est assise à table. Vient le moment où elle se décide à vouloir annoncer qu'elle est enceinte. Le fond du "problème" c'est qu'elle n'arrive pas à s'en réjouir. Et toute la réflexion féministe se met en branle grâce à la présence d'une tierce personne, une amie de la jeune maman en devenir.

Les apparences sont faites pour être trompées. Et la metteuse en scène tokyoïte Yuri Yamada les fait voler en un coup d'œil. Elle en profite pour remettre en question la société japonaise et les lourdes injonctions qui pèsent sur la gente féminine - l'auteure rappelle que dans un rapport du Forum économique mondial sur les inégalités hommes-femmes de 2021, le Japon est 120ème sur 153 -. Les convictions fortes sont présentes tout en laissant la juste place à la contradiction. Et c'est en basculant avec pertinence dans le registre du fantastique que la magie opère. Et pourtant j'aimerai bien te comprendre laisse imaginer une simple quête d'empathie. La dramaturge pousse jusqu'à créer de toute pièce l'empathie et ce, avec intelligence et succès. La troupe formée par Minami Ohba, Masayuki Yamamoto, Mayu Sakuma, Konomi Otake et Sachiko Aoyama porte un spectacle très fin, brillant dans son questionnement et efficace. 


Fanatasmagoria @Centre Pompidou, le 03 Novembre 2022

© Martin Argyroglo

"Les fantômes n'ont pas grand-chose à voir avec les morts. Ils ont plutôt à voir avec ce qu'il y a de mort en nous. A voir avec le passé qui nous habite." faisait dire Olivier Assayas à son protagoniste René Vidal dans sa série Irma Vep.  

Bienvenue dans la fantasmagorie du XXIème siècle ! Sans pour autant entrer dans l'ère du "numérique contemporain" comme le metteur en scène Philippe Quesne le précisait au quotidien Le Monde. Nul besoin de guide, tout l'intérêt de cette pièce sans acteur consiste à se laisser porter par l'esthétique. Une dizaine de pianos en ruine habitent le plateau, deux sont même suspendus. Ils s'expriment tantôt en musique tantôt en questions poético-philosophiques. Ce sont des esprits aux allures de squelettes projetés qui viendront leur tenir compagnie en les survolant sans nécessairement jouer avec eux au sens premier. 

A l'aide d'effets minimalistes, Quesne invite les spectateurs à une ronde mélancolique qui envoûte dès les premières notes de Pierre Desprats dans ce cimetière bien particulier. Entre l'onirique et l'apocalyptique, Fantasmagoria du faiseur francilien est un spectacle très visuel à la durée presque frustrante de 55 minutes.