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Daddy @Théâtre de l'Odéon, le 23 Mai 2023

Après _jeanne_dark_, objet théâtral inédit qui se déroulait simultanément en salle et sur Instagram, Marion Siéfert choisit l'univers du jeu vidéo pour Daddy. La pièce qui explore la question de l'emprise qu'elle soit interpersonnelle ou bien entre un système et les individus.

© Matthieu Bareyre

Le spectacle s'ouvre sur un - immense - écran de jeu. Les comédiens ne sont pas sur le plateau, seules leurs voix sont audibles, ils jouent ensemble dans un univers complètement futuriste. Mara, 13 ans, l'héroïne centrale, perd brutalement sa connexion internet, elle s'est faite "daronner" comme ils disent. Ses parents lui demandent ainsi qu'à ses sœurs de faire un effort de sociabilisation, un ami de la famille est de passage pour un apéro. Entre des parents quasiment absents - la mère est infirmière en réanimation et le père, vigile sollicité à toute heure - et des sœurs en pleine adolescence, Mara se réfugie dans les jeux vidéos et se rêve actrice. 

Son partenaire de jeu, Julien, 27 ans, lui propose un échange en visio sur la plateforme Discord. Pour la première fois, les deux jeunes gens se voient. Julien a les traits d'un beau gosse, jeune entrepreneur, qui voit en Mara un potentiel énorme. Il l'invite à le rejoindre dans son jeu "Daddy" où tout est possible, sans limite. Elle pourra montrer son talent à tous. Julien sera son "Daddy" virtuel, un mentor et bien plus... Il lui offre des robes, perruques et autres accessoires pour qu'elle offre le meilleur d'elle-même à sa "fan base". Et le piège de l'emprise s'installe...  La magie noire du virtuel exhibée dans la magie du théâtre. 

Le spectacle s'étend sur 3h30 - avec quelques moments longuets ; la neige qui tombe et les moments chantés/dansés -. Il offre un gros mélange des genres qui peut déstabiliser. La metteure en scène fait le choix de multiplier les références empruntées essentiellement à la pop culture mais aussi plus anciennes tant dans l'univers musical que cinématographique. C'est déroutant à souhait.Daddy c'est la descente dans les enfers de la toile. Le duo de jeunes comédiens Lila Houel et Louis Peres est particulièrement convaincant.


La vie est une fête @Bouffes du Nord, le 20 Mai 2023

Les Chiens de Navarre n'ont rien perdu de leur mordant. Aussi irrévérencieux, insolents qu'au dernier souvenir sur les écrans (Oranges sanguines), c'est non sans plaisir qu'on les retrouve pour un grand barnum pour célébrer la vie dans ce qu'elle a de plus cynique. 

© Philippe Lebruman

Les spectateurs prennent tranquillement place dans les gradins des Bouffes du Nord transformées en Assemblée Nationale éphémère. Les comédiens-députés s'invectivent dans tous les sens. Le débat porte sur la réforme des retraites (tiens donc...), âge légal de départ souhaité à... 72 ans ! Arguments démentiels et références improbables se croisent, noms d'oiseaux proférés dans tous les sens. Comment ne pas penser aux derniers débats de nos chers élus ? 

Le rideau rouge s'ouvre sur l'élu RN envoyé dans un hôpital psychiatrique qui tombe en ruine. A peine arrivé, il balance toutes les pires horreurs lors de son entretien d'accueil. La jeune infirmière qui le reçoit finira par lui tirer une balle en pleine tête. S'enchaînent des saynètes symptomatiques de notre époque, à la rencontre de patients aux profils variés : une jeune femme passée par la case tentative de suicide après la disparition du chanteur Christophe, une quarantenaire désespérée de ne pas rencontrer l'homme de sa vie, un schizophrène en rencontre avec un homme politique visiblement en campagne qui le répètera à tout va que rien ne le dérange jusque dans le plus graveleux, un pré-retraité remercié par ses supérieurs jeunes startuppers qui circulent en hoverboard et qui s'expriment qu'avec des anglicismes managériaux...  A l'image de la violence de notre société contemporaine, les joyeux comparses n'ont pas pu s'empêcher d'imaginer une scène de violence entre CRS et gilets jaunes. CRS en sous-effectif se retrouvent éborgnés ou perdent leurs mains voire... leurs têtes. 

Toute la force des Chiens de Navarre c'est de n'avoir aucune limite avec l'humour, toujours plus outrancier, d'acérer toujours plus la plume et de faire grincer les dents. Pendant presque deux heures, le collectif fait voler en éclats l'époque, s'offre un gros délire marqué par des moments d'improvisation. C'est parfois sale mais c'est follement ravageur.