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La guerre des salamandres @Maison des Métallos, le 23 Octobre 2018


C'est à la Maison des Métallos que la joyeuse bande des Tréteaux de France s'est installée pour y jouer le conte visionnaire sombre et loufoque La guerre des salamandres du tchèque Karel Capek

© Jean-Christophe Bardot
Les spectateurs se trouvent embarqués dans une fiction politique noire à la manière d'un George Orwell mêlée à la poésie d'un Charlie Chaplin. Le fond de l'histoire est simple : les catastrophes causées par la cupidité de l'homme. Entre critique sévère des dérives du  capitalisme et dénonciation de la destruction progressive de la planète Terre, La guerre des salamandres s'inscrit dans le registre de l'épopée fantastique. 

Tout commence avec le récit d'un capitaine qui découvre des salamandres. Ces créatures sont, en apparence, très proches des humains.  De façon fascinante, les salamandres ne feront aucune apparition sur les planches - ou très brièvement et pas nettement - laissant l'imaginaire opérer. Ces dernières débusquent des perles qui suscitent immédiatement l'intérêt de l'homme. Aussitôt, le capitaine décide de tirer profit des perles et par extension, des créatures. Elles se retrouvent surexploitées par une multinationale, cotées en bourse... L'enfer ne fait que commencer aussi bien pour elles que pour l'humanité.

Dans une scénographie très ingénieuse - signée Samuel Poncet - et proche du théâtre d'objets, les sept comédiens interprètent avec une énergie débordante pas moins d'une cinquantaine de personnages et entraînent avec eux les spectateurs dans un univers presque cinématographique. Si au début le rire de bon cœur est de mise, celui-ci se fait de plus en plus grinçant à mesure que l'on sent se rapprocher l'incroyable proximité avec notre actualité. Une scène de négociations entre les différents pays - qui n'est pas sans rappeler l'accord de Paris faisant suite à la Conférence de Paris (COP21) sur le climat - prête à sourire : les grandes puissances échangent entre elles, l'incapacité pour les plus faibles de s'exprimer signifiée par un micro souffrant d'un fâcheux dysfonctionnement.

Le rythme soutenu, le petit cachet retro ne peut que séduire avec, en toile de fond, la réflexion profondément anti-autoritarisme de l'auteur.




L'Amour conjugal @Scène Thélème, le 20 Octobre 2018




Du 3 au 20 octobre 2018, la Compagnie du Veilleur - qui célèbre ses 10 ans cette année - a investi la Scène Thélème (restaurant étoilé et salle de théâtre intimiste du 17ème arrondissement parisien) pour y interpréter le spectacle adapté du roman L'Amour conjugal de l'italien Alberto Moravia

Quand le lieu du spectacle fait office de décor parfait...  La salle est divisée en deux par une longue table. Aux deux extrémités de la table sont placées deux chaises, sur les longueurs on retrouve les rangées de fauteuils pour les spectateurs. Sur chaque fauteuil, les spectateurs trouvent un casque audio. Dans le casque, on entendra tantôt les pensées intérieures du personnage principal Silvio - joué ici par Philippe Canales - que ses répliques à son épouse Léda - incarnée par Johanna Silberstein -.

La pièce s'ouvre sur la présentation de Silvio lui-même puis celle de sa fascinante et féline compagne, Léda. L'homme est élégant, il s'introduit comme un esthète. Léda est comme façonnée par son mari. Ce dernier porte en lui un projet ultime : écrire un roman ou au moins, une nouvelle qui relaterait leur union. Pour y mener à bien, il suggère à son aimée de se retirer ensemble dans une villa en Toscane. Lors des déjeuners et des dîners, ils se retrouvent à table pour échanger sur l'avancée du récit. Ils se rendent compte très vite que l'oeuvre stagne. Ils décident de mettre un terme à leurs étreintes nocturnes en s'imposant de faire chambre à part.

Progressivement, la tension s'installe dans le couple. Incapable de se raser lui-même, Silvio recrute un barbier qui intervient à domicile. Le malheureux tentera de séduire Léda, qui a résisté, fait comprendre à son mari que son barbier a eu un comportement déplacé à son égard. Silvio n'en tiendra pas rigueur. Jusqu'à la nuit où il surprendra lui-même les amants en pleine nuit dans les alentours du village. Léda n'en sait rien.

Le jeune Matthieu Roy choisit de recentrer l'intrigue sur le couple animé par une certaine passion dévorante, de façon à obtenir un huis clos où la plupart des sens sont en éveil. L'expérience sonore renforce l'intensité de leurs sentiments, les pensées de Silvio sont comme murmurées aux oreilles des spectateurs, le bruit des couverts qui laissent entendre un certain agacement, les verres qui se remplissent... Tous ces bruits qui n'ont plus un sens mais du sens. La tension devient palpable. Et la vue travaille aussi : les bouteilles de vin, la ménagère disposée sur la table avec une certaine lenteur, les échanges de regards du couple. Ne manquerait plus que le goût. Le jeu des acteurs est chargé d'exigence et l'ambiance qu'ils installent progressivement suit. Le dispositif mis en place permet une immersion totale, un prolongement de l'intime et le résultat satisfaisant. 

Mama @MC93, le 13 Octobre 2018


Mama © Mostafa Abdel Aty

Les spectateurs sont plongés dans un luxueux salon oriental : au centre un canapé doré, table basse assortie et deux fauteuils aux deux extrémités du canapé. La Mama ne tarde pas à se montrer. 

Toute la pièce du metteur en scène égyptien Ahmed El Attar va reposer sur un ensemble de scénettes de la vie quotidienne d'une famille bourgeoise cairote sous l'emprise de la grande figure maternelle. Cette dernière est ici campée par Menha El BatraouiEl Attar se fait observateur des rapports familiaux qu'entretiennent les femmes et leurs maris, leurs pères, leurs fils et le tableau est pensé comme un véritable miroir. Et le miroir est loin d'être déformant. 

La Mama est dure avec toutes les femmes de son entourage. La première à subir ses caprices n'est nul autre que sa domestique qui se doit de la servir quand Madame l'exige, sa belle-fille qui ne manquera pas de marcher dans ses pas inconsciemment, son amie qui grippée, a osé faire appel à une autre qu'elle - la Mama ira jusqu'à lui tourner le dos tant qu'elle ne se sera pas excusée -, sa petite-fille qui n'est pas assez féminine (et rebelle en herbe sur fond de Metallica)... Toutes subissent mais aucune ne se rebelle franchement. 

Puis, il y a les hommes. Ceux face à qui elles capitulent. Ils portent en eux le dernier mot. L'homme de la famille devient la menace suprême. On relèvera notamment la scène où face à son manque d'autorité sur sa fille, la belle-fille fait appel à son mari qui lui-même cherche la solution auprès de son propre père.

A peine caricatural, Mama est un spectacle qui laisse espérer au metteur en scène une amélioration des conditions de vie des femmes de son pays bousculé par les Printemps arabes de 2012. Cet espoir se manifeste notamment lors de deux interventions chantées - I believe I can fly  interprété en arabe par Heba Rifaat devenant l'hymne de la libération -. 







Proces @Théâtre de l'Odéon, le 27 Septembre 2018


Proces © Magda Hueckel
Et si d'autres procès sont attendus à travers le monde, c'est celui du polonais Krystian Lupa qui a suscité l'attention des spectateurs du Festival d'Automne - et les autres -. Une adaptation dans laquelle qui mêle le roman de Kafka et la situation du metteur en scène vis-à-vis du gouvernement de son pays. A noter également que Lupa s'est exprimé publiquement sur la nomination à la tête du Teatr Polski de Wroclaw - où devait être créée la pièce - de Cezary Morawski, comédien de séries télévisées qui ne dispose d'aucune connaissance théâtrale et n'a jamais été amené à en diriger auparavant. Cette opposition publique a valu à Lupa et sa troupe une convocation au tribunal : un procès dans le procès. 

C'est sur les planches du théâtre de l'Odéon que pas moins de dix-sept comédiens polonais vont s'échanger les répliques du roman inachevé de l'écrivain pragois et ce, pendant près de cinq heures. La pièce s'ouvre sur un poste de télévision allumé, sorte de rappel contextualisant la situation actuelle dans laquelle est plongée la Pologne.

La scénographie est une grande réussite : un savant mélange d'images filmées et juxtaposition de toiles en tulle abritant des décors d'intérieur d'époque. La troupe qui circule dans tous ces espaces est tout bonnement remarquable : justesse des émotions et rigueur semblent être les directives. Le metteur en scène septuagénaire ne manque pas de faire quelques petites interventions orales en français que l'on peut trouver caustiques. Ce qui frappe dans cette adaptation : le dédoublement des acteurs pour interpréter Franz K. L'un, très vif, qui tente désespérément de se sortir de la situation, de comprendre ce qui lui arrive et l'autre, nettement plus obscur, en proie au désespoir.

Le pessimisme kafkaïen se reflète ici avec des scènes parfois très sombres comme l'exécution de ces nombreux accusés auxquels on a collé un ruban d'adhésif noir sur la bouche. Une métaphore, sans nulle doute, de la situation que les comédiens et leur metteur en scène vivent actuellement en Pologne. Nous retiendrons également une partie étouffante où la noirceur côtoient des corps pâles : les comédiens sont totalement nus, ils partagent leurs réflexions dans un dortoir qui, très vite, prend des allures de camp.

Spectacle fleuve, fresque contemporaine et résolument politique, ce Proces est une création qui marquera les esprits.








Les Démons @Théâtre Odéon - Ateliers Berthier, le 22 Septembre 2018


Les Démons © DR Compagnie 
A peine installés, les spectateurs sont accueillis par la joyeuse troupe de Sylvain Creuzevault qui s'active dans tous les sens, jusqu'en haut des gradins et offre des flûtes - qu'ils renommeront trompettes - de champagne à quelques privilégiés. D'autres spectateurs sont conviés à s'asseoir sur des chaises en bois disposées de part et d'autre du plateau.  On se sent comme dans un studio de cinéma, le décor est en pleine finalisation. Si ce dernier pouvait s'exprimer il ne manquerait pas de déclarer un simple "Je suis à vous dans une minute".

Le jeune metteur en scène s'empare cette fois de l'oeuvre de Dostoïevski Les Démons. Face à la complexité du roman, une "feuille anti-panique" pour tenter de faire comprendre la chronologie aux spectateurs - et sans doute de s'assurer de leur bonne compréhension - s'est glissée dans la bible. 

Les Démons © DR Compagnie
La première partie se déroule dans une province de Russie. Nikolaï Stravoguine revient au pays des tsars après s'en être retiré quatre années auparavant. La jeune Maria Lébiadkina à la jambe dans le plâtre et quelque peu folle jure qu'elle est mariée à ce dernier qui nie toute alliance. Les thèmes du mariage, du pouvoir, de l'argent, du crime sont convoqués.
La seconde partie se voudra plus obscure et plus politique. On assiste à une concertation de jeunes anarchistes prêts à en découdre. C'est d'ailleurs l'un des moments où le parallèle avec la situation russe actuelle - Russe/Crimée, nationalisme grandissant - est réussi. Une fois les principales actions décidées, l'agitation reprend de plus belle sur un fond sonore de techno bruyante : les comédiens occupent toute la surface scénique avec des panneaux sur roulettes et les voilà qui dansent. Puis, la salle est plongée dans le noir et dans les fumigènes avec la voix lointaine de Nicolas Bouchaud pour guide.

Ce qui frappe dans les mises en scène de Creuzevault et son collectif d'Ores et Déjà c'est le fait de mettre de côté l'aspect linéaire d'un texte pour laisser une plus grande part d'improvisation pour que le spectacle devienne encore plus vivant, mouvant - une nouvelle fois Vincent Macaigne ne semble jamais très loin -. Et ses nombreux comédiens - Vladislav Galard, Michèle Godet, Arthur Igual, Sava Lolov, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Anne-Laure Tondu, Amandine Pudlo et Blanche Ripoche auxquels se sont ajoutés Nicolas Bouchaud et Valérie Dréville- suivent la cadence et évoluent dans les matières les plus diverses : plastique, sable, eau, fumée... Un joyeux bazar en somme.

Pendant un peu plus de quatre heures, la troupe se donne plus qu'à fond. Le tout non sans humour ; une croix de bois qui ne passe pas la porte, une autre en glace qui fond dans un seau, une cloche qui ne sonne pas... Creuzevault et sa bande parviennent une fois de plus à relever un défi de taille avec une énergie débordante, une volonté de secouer les classiques à en faire trembler les murs.