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La nuit juste avant les forêts @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 10 Décembre 2016


2017 marquera le quarantième anniversaire du soliloque écrit par Bernard-Marie Koltès. En une phrase et aucune ponctuation, l’auteur contemporain, alors âgé de 29 ans, signait ici l’unique phrase pleine de hargne, sa déclaration de guerre à notre société à laquelle il attribuera le titre poétique La nuit juste avant les forêts.

Jean-Pierre Garnier est allé chercher le jeune Eugène Marcuse encore étudiant au conservatoire pour porter le rôle de cet homme « qui n’est pas d’ici ». En ouverture, le comédien piétine des pavés aux allures de miroirs, il est trempé, éclairé par des ampoules suspendues ici et là. Il est seul. Sur un fond sonore énigmatique - signé Joncha -, l’écorché vif raconte son histoire, ses aspirations de syndicat international, ses doutes et crache sa rage. Il regarde le public en profondeur, il veut le toucher au plus profond de l’âme.

Comme pris à parti, le spectateur se fait témoin d’un Marcuse qui donne tout : physiquement et psychologiquement. Du haut de ses 20 ans, il est déjà porteur d’un immense potentiel. Tantôt il dégage une fragilité nécessaire pour basculer dans une présence presque animale. Il pousse le cri d’une humanité en détresse.


Ivresse ou démence passagère ? Nul ne le saura réellement. La nuit juste avant les forêts malgré toute sa noirceur est sans doute l’un des textes les plus contemporains des plus riches. 

Angelus Novus Antifaust @Théâtre national de la Colline, le 11 Novembre 2016


Sylvain Creuzevault pose à nouveau ses bagages au Théâtre de la Colline pour un mois. Et quand il est de passage, il laisse des traces. Après avoir proposé sa vision de l’essai de Karl Marx dans Le Capital et son singe, le collectif revient avec encore plus d’audace. Trois heures de spectacle dans lesquelles il s’est emparé de tous les Faust pour n’en faire qu’un : l’Antifaust !

Sur fond d’actualité toujours aussi politique, le jeune metteur en scène mêle la ZAD de Notre Dame des Landes au soulèvement populaire qu’était il y a encore quelque temps Nuit debout. On a tous nos démons. Angelus Novus AntiFaust nous le rappelle. L’œuvre de l’écrivain allemand avait déjà son lot d’extravagance, la pièce qui compile tous les mythes n’en est pas moins chargée. La pièce de Creuzevault est riche, se lit comme une aventure poétique. Loin d’être gaie, elle s’engouffre dans des questionnements politiques. Qu’ils soient scientifiques ou musiciens, les personnages sont en quête d’un rêve suprême pas nécessairement inatteignable.


Cette quête s’accompagne de son lot d’improvisations qui trouble le spectateur. Le mini opéra qui ouvre la deuxième partie le raccroche au thème central. Le spectacle s’achève sur un plateau qu’on retrouverait chez le metteur en scène italien Romeo Castellucci ou encore chez son camarade Vincent Macaigne. Le collectif est plein d’énergie et de fougue. C’est avec ces mêmes qualités qu’il parvient à faire naviguer le spectateur entre les différentes émotions. 

Dom Juan @Théâtre de l'Odéon, le 23 Octobre 2016


© Jean Louis Fernandez

Il est impossible de se lasser des grands classiques. Le fait qu’ils soient intemporels les rend indestructibles. Le metteur en scène Jean-François Sivadier a choisi de s’emparer du texte de Molière Dom Juan en confiant le rôle titre au charismatique Nicolas Bouchaud.    

La fidélité, Dom Juan la connait. Du moins, c’est l’une des valeurs qu’il s’applique et à lui seul. Pour le reste, autant se laisser guider par la liberté. Il n’a peur de rien. Sexiste et libertin, manipulateur et menteur, la morale ne lui fait absolument aucun effet. Il est suivi dans toutes ses aventures par son acolyte Sganarelle – interprété par Vincent Guédon – sans pour autant être nécessairement soutenu. Entre attirance et répulsion, Dom Juan s’attire les foudres autour de lui.

La mise en scène est contemporaine. Aux allures de dandy rock’n’roll, Nicolas Bouchaud porte un Dom Juan ancré dans son époque, impertinent au possible – on notera par ailleurs la lecture d’un autre homme de lettres bien taquin j’ai nommé le Marquis de Sade et la performance musicale improbable : Sexual healing de Marvin Gaye -. Dans le genre valet maladroit, drôle et parfois touchant, Vincent Guédon s’en donne à cœur joie. Le duo marqué par les oppositions et contrastes évolue dans un décor qui, de scène en scène, vacille jusqu’à son effondrement intégral. En hauteur est suspendu un panneau lumineux où des chiffres défilent à la manière d’un décompte. Mais que décompte-t-il ? Le nombre de fois où le mot « ciel » est prononcé. Le seul bémol réside dans la scène du blasphème où l’aspect contemporain est attendu au tournant. Sivadier minimise et aurait pu aller plus loin dans l’excès. 

Bien sûr outre le duo Don Juan/Sganarelle, les autres personnages participent tout autant au charme de la pièce. Burlesque, le couple de paysans rencontré en chemin est un régal. Stephen Butel et Lucie Valon forment un duo clownesque. Elvire est jouée par une douce Marie Vialle.

Les Damnés @Comédie Française, le 1er Octobre 2016




© Christophe Raynaud de Lage
Elle n’était pas venue en terre provençale depuis plus de vingt ans. Après un passage remarqué au 70ème Festival d’Avignon - pour les plus chanceux - la troupe de la Comédie Française ne pouvait que revenir jouer à domicile pour le plus grand bonheur de ceux qui n’ont pas pu faire le déplacement. Très attendu, le spectacle de Ivo van Hove a secoué les critiques. Bien sûr jouer dans la salle Richelieu ce n’est pas aussi sensationnel qu’en plein air. Cette libre adaptation du scénario du film du même nom du réalisateur italien Luchino Visconti s’avère être monumentale, un spectacle culte.

La scène de la salle Richelieu est tapissée d’un carré de couleur orange tel un tatamis. Côté cour s’alignent des cercueils et côté jardin, coiffeuses et penderies. Dans le fond et face aux spectateurs, un écran central diffusant aussi bien des images tournées en direct – notamment celles des personnages en pleine souffrance dans leurs cercueils - que des images d’archive. Et sur l’avant du plateau, cohabitent une urne où l’on verse les cendres des personnages assassinés au cours de l’acte et une sirène stridente qui ponctue les actes. A la manière du roman d’Agatha Christie Dix petits nègres, les personnages disparaissent progressivement. Et quand la sirène retentit, les comédiens se repositionnent comme dans une parade militaire et laissent les spectateurs constater les absences.

© Christophe Raynaud de Lage
Ce sont ces mêmes absences qui nous hantent à chaque fois qu’on avance dans le récit. Tour à tour. Pas de pitié. La violence est omniprésente et ce, jusque dans la scène finale qui marquera bon nombre d’esprits. Un objet en particulier attire l’attention, plonge le spectateur dans une terrible tension : une mitraillette. Exhibée sur une table, comme fièrement, dans le fond, à tout instant on sait qu’elle pourra servir mais quand ? On sursautera, on se remémorera et on comprendra ce qui fait que le spectacle s’adresse à un public averti.

© Comédie française
La troupe de la Comédie Française prouve alors sa maîtrise, son expertise. Ils sont tous fantastiques mais nous ne pourrons pas tous les citer ; Didier Sandre porte en puissance son rôle de père de famille, Guillaume Galienne un vrai seigneur du mal qu’on méprisera aux côtés d’une sombre héroïne campée par Elsa Lepoivre, Denis Polalydès devient un véritable monstre nazi et Loïc Corbery est plein de fougue. Nous finirons sur la prestation ahurissante de Christophe Montenez, le plus fou, malsain. Un Martin brillant par sa noirceur. Ils portent ainsi une pièce dingue, monstrueusement sublime. 

Une nomination aux Molières 2017 ? 

Pleinement envisageable !


© Christophe Raynaud de Lage



Pour ceux/celles qui voudraient avoir le privilège de voir ce spectacle inoubliable, il reste encore un peu de temps pour le voir ici (et en plus c’est une captation au Palais des Papes !)

Jules Renard L'homme qui voulait devenir un arbre @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 3 Octobre 2016


Catherine Sauval est seule sur le plateau où un secrétaire, une chaise et quelques papiers parsemés sur le sol font office de décor. Jules Renard l’habite. Connu principalement pour son roman autobiographique Poil de Carotte, Sauval nous convie à la découverte de l’écrivain.

Finalement assez méconnu, Jules Renard par Catherine Sauval, se révèle être une âme complexe, teintée de pessimisme. Sauval vêtue d’une veste masculine, le raconte à la première personne, elle navigue entre les ouvrages - Journal, Bucoliques, Histoires naturelles – et ravive l’âme de l’auteur.

Dans un jeu plein de tendresse, passionnée jusqu’à en finir les yeux larmoyants, Catherine Sauval touche les spectateurs en plein cœur. Le temps d’un peu plus d’une heure, elle livre toute la poésie, la beauté de la langue d’un homme qui tout au long de son existence aura été habité par les doutes et la rêverie sans se sentir compris de ses contemporains.

2 666 @Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier, le 11 Septembre 2016




Comment procéder à une chronique en peu de temps après avoir vu le spectacle fleuve du jeune Julien Gosselin ? Essayer de décanter au maximum, distiller les parties, se remémorer sans frémir…

2666  © Simon Gosselin 
2 666 avant d’être adapté au théâtre est le dernier roman inachevé du chilien Roberto Bolaño. Initialement, l’œuvre d’un peu plus de mille pages au compteur devait être divisée en cinq tomes respectant les cinq parties du roman. De ce qu’on raconte, Bolaño demanda à ce que le rythme soit d’un tome par an afin d'assurer un revenu à ses enfants après sa disparition. Cette volonté ne sera visiblement pas respectée.

Un peu plus d’onze heures. C’est ce qu’il aura fallu au jeune metteur en scène pour parvenir à proposer un spectacle à l’image du roman. Raconter une histoire unique serait complexe, les cinq récits pourraient fonctionner en toute autonomie. Mais, deux éléments rappellent qu’ils sont étroitement liés : un auteur qui suscite la fascination de quatre universitaires répondant au nom de Benno von Archimboldi et une ville au Mexique ; Santa Teresa où depuis plusieurs années sont commis des meurtres de femmes sans que la police locale ne puisse avancer dans ses enquêtes.

Toute la puissance de la pièce se situe dans le plus qu’habile mélange de la scénographie et de la réécriture du texte d’origine. Entre images en temps réel empreintes d’une véritable poésie, l’horreur et la violence parviennent à s’installer pour mettre en place une atmosphère perturbante, le tout dans un espace constamment en mouvement et une musique alternant entre électro lourde et morceaux presque planants.Tout se joue sur la profondeur de la scène en articulant trois cubes transparents d’une hauteur imposante. Gosselin tend à mélanger trois arts magistraux : le cinéma, le théâtre et la performance. 

Dans cette volonté de jouer sur la pénibilité, la frustration, l’infini, Gosselin parvient à mettre en scène une pièce monstrueusement bouleversante – le spectateur gardera à l’esprit l’éprouvante avant-dernière partie dite « La partie des crimes » où sur l’écran centrale défilent les différents récits des meurtres de Santa Teresa sur un fond sonore angoissant -.


On saluera la performance des jeunes comédiens de la compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur non seulement parce qu’ils tiennent la cadence, mais aussi parce qu’ils sont intensément bons, porteurs d’une énergie plus que nécessaire.  

 2666  © Simon Gosselin 

Nobody @Théâtre Monfort, le 21 Septembre 2016


© Simon Gosselin

Déjà présent dans la programmation de la saison 2015/2016, le spectacle Nobody est à nouveau à l’affiche au Théâtre Monfort pour notre plus grand plaisir.

Nobody est une performance filmique : l’ensemble des scènes sont joués au travers d’une baie vitrée sur le plateau, certaines sont filmées en temps réel et projetées sur un écran placé en hauteur.

Le collectif MxM nous propose une lente descente aux enfers du management dans une entreprise spécialisée dans la restructuration. Le personnage qui nous raconte ce récit c’est Jean Personne, interprété par le jeune et brillant Mathias Labelle. Il nous partage notamment ses pensées en voix off. Finement il analyse les fonctionnements, les mentalités brutales et cyniques de chacun de ses collègues, les valeurs de son entreprise. Les pensées se transforment parfois en monologues. Les dialogues entre les différents salariés ne laissent aucune place à la convivialité, aucune complicité n’est possible entre eux.

Les sentiments et l’humanité disparaissent pour laisser place à des chiffres dont le sens peut s’effacer lui aussi. Derrière les vitres, le spectateur témoin devient presque voyeur en scrutant les faits et gestes des salariés préoccupés à l’idée de s’agiter, d’exploser. Tout en crescendo le malaise s’installe.


Si à l’écran sont montrés des visages, des moments d’échange, une autre action suit son cours dans un autre espace captivant tout autant l’attention. Les textes de Falk Richter décrivent l’univers du travail dans une écriture noire sans réelle issue lumineuse, la déshumanisation croissante du milieu entrepreneurial, Cyril Teste et son collectif MxM s’en sont emparés pour les interpréter de façon éblouissante. La perte d’assurance progressive du héros, ses envies de révolte se mélangent à ses questionnements, Nobody est une véritable performance. Les comédiens – au nombre de quatorze – du collectif La Carte Blanche sont jeunes, le talent semble bien les habiter. 

Les jeux de l’amour et d’Offenbach @Théâtre de Poche Montparnasse, le 18 Septembre 2016


Ou quand la petite salle du Théâtre de Poche Montparnasse se transforme en un studio d’audition…

Il (Jean-Michel Séréni en alternance avec Lionel Peintre) est baryton. Elle (Edwige Bourdy en alternance avec Mélanie Boisvert) est soprano. Entre eux s’interpose Manuela (Erika Guiomar en alternance avec Nina Uhari ou Sophie Teulon), l’accompagnatrice assise à son piano. Elle leur propose d’échauffer leurs voix respectives.

S’ils pouvaient s’avérer être de totaux inconnus, il n’en est rien. Ce couple s’est connu sur les planches du théâtre, où ils se sont aimés, où ils se sont perdus. Le destin les a fait alors se retrouver bien des années plus tard presque là où ils se sont laissés. Mais qu’est-il advenu de leurs sentiments ?

Revisitant le répertoire du compositeur Jacques Offenbach, le spectacle d’Yves Coudray propose aux protagonistes de revenir sur leur histoire d’amour qui ne s’était jamais vraiment terminée. Les deux amants se redécouvrent en chansons. Revenant sur les débuts de leur relation, leurs émois, leurs peines, les amants se laissent alors porter par les grands airs. Pendant près d’une heure s’enchaînent délicieusement Orphée aux enfers, Les Brigands, La Périchole ou encore La Fille du Tambour Major. Mais aussi les œuvres moins connues de celui que Gioachino Rossini prenait plaisir à appeler « le petit Mozart des Champs-Elysées ».

Les jeux de l’amour et d’Offenbach est un texte riche en émotions et rempli d’humour que livre Coudray, porté par des interprètes empreints d’une belle énergie, réjouissants et élégants dans leurs costumes d’époque signés Michel Ronvaux.


Un spectacle savoureux pour cette saison automnale. 

Rue @Collège des Bernardins, le 11 Juin 2016


 © Marc DOMAGE 2015

Après un passage remarqué à la Ménagerie de Verre, le chorégraphe brésilien Volmir Cordeiro présente à nouveau sa création Rue au Collège des Bernardins pour la toute première édition de la Biennale du divers. Assis au fond du hall, il nous observe, il se concentre. Soudainement, entre les majestueux piliers, le danseur s’anime.

Il y a quelque chose de tribal dans cette chorégraphie, le brésilien fait de son torse un instrument. Il le frappe avec ses paumes, laissant s’échapper ces sons sourds qui résonnent dans l’espace, il accompagne cette caisse de résonnance d’un nouveau genre avec des mouvements vifs, les échos donnent offre une tonalité unique. Avec sa grande taille, dans un costume léger semblable à une tunique de couleur noire, il dégage une prestance. Avec son visage allongé, il grimace, son regard, marqué d’un trait orange vif, est profond. 

Repensant l’espace et inspiré par Brecht le chorégraphe invite les spectateurs à imaginer un autre environnement, à transformer le hall du Collège des Bernardins en une esplanade où se rencontrent, s’entrecroisent les hommes.

Washington Timbo – percussionniste - suit l’artiste et dans la deuxième moitié de la performance, se voulant plus urbaine, plus violente, c’est une sorte d’affrontement se met en place entre eux avec un regain d’énergie. Cordeiro enfile un bonnet rose flashy, une dizaine de chouchous s’alignent sur ses longs bras, il se libère et entame une sorte de transe. 

Un extrait ici 

Constellations @Théâtre du Petit Saint Martin, le 01 Juin 2016


Ils se sont rencontrés à un barbecue, ils se sont aimés le temps d'une vie. Ils ont repensé, ils ont vécu. Roland et Marianne. Il est apiculteur, elle est astrophysicienne. Des univers si différents pour une rencontre sans cesse renouvelée. C'est cela le jeu des Constellations. Et si dans un autre univers, il en était autrement ? Comment est-ce que ça se serait passé si on n'avait pas fait comme ça ?

Si le fond reste une histoire d'amour, ce sont d'autres sujets qui se rencontrent et notamment la maladie. Un être rongé par le mal n'est plus celui qu'il avait l'habitude d'être. Elle s'efforce de vivre, elle s'affaiblit mais elle l'aime, elle ne veut pas le perdre, elle continuera à lui parler jusqu'à son dernier souffle. Les maux s'en prennent aux mots.

C'est donc sur les planches du théâtre du Petit Saint-Martin que Christophe Paou et Marie Gillain forment un couple amoureux touchant non sans une once de sensibilité. Evoluant sur un plateau bleuté où sont dessinés des cercles concentriques blancs, on assiste à une chorégraphie des corps - notamment dans une scène où les comédiens échangent en langage des signes - entre ombre et lumière, ils s'avancent et reculent, toujours dans une certaine dualité, ce couple s'aventure dans les méandres des univers multiples.

Dans une scénographie minimaliste, le duo Paou/Gillain offre une interprétation riche en émotions. Comédie dramatique au sens propre, Constellations se doit d'être interprété par des acteurs qui maîtrisent parfaitement leur jeu afin de respecter au mieux toute la finesse du jeune auteur anglo-saxon Nick Payne. Les émotions multiples se jouent sur peu de choses en réalité : un mot, une intonation et le spectateur passe du rire aux larmes ravalées.

Régis Mailhot "Citoyen" @La Nouvelle Seine, le 14 Mai 2016


Sa voix accompagne celle de Stéphane Bern tous les jours sur les ondes de RTL pour sa chronique « Mailhot express », on le retrouve en librairie pour son ouvrage Reprise des hostilités aux éditions Albin Michel, on peut le croiser sur Paris Première et récemment sur les planches de la péniche La Nouvelle Seine c’est Régis Mailhot.

Régis Mailhot, l’humoriste qui prend plaisir à décortiquer l’actualité avec un bon sens de la satire.
Les spectacles s’enchaînant sur la péniche, Mailhot s’attache à respecter son timing, pendant une heure il brasse un maximum de sujets de société et notamment ceux qui font la une. Car sa spécialité, c’est avant tout, la revue de presse.

Irrévérencieux, il vise tout le monde et sur un bon rythme. Les atrocités sont balancées avec un sourire plein de malices, ça passe mieux dans la mesure où il y va souvent très fort. L’équipe de Charlie Hebdo appréciera l’hommage grinçant. Les rires sont bien dans la salle mais on retrouve parfois les soufflements tant le comique est allé loin. Le nom du spectacle Citoyen est sans doute politique, si l’humoriste ne prend pas parti, il ne cache pas son intérêt profond pour la discipline.

Caustique, Régis Mailhot fait partie de cette génération d’humoristes qui ne se contentent pas des tracas du quotidien qu’on qualifierait de trop faciles, trop balayés, il est de ceux qui par leurs commentaires amènent le public à réfléchir.       

Stéphane Guillon "Certifié conforme" @Théâtre Dejazet, le 12 Avril 2016


Débordant d'énergie, toujours aussi irrévérencieux, Stéphane Guillon fait un retour sur scène très efficace.

Jouant les timides, il fait mine de traîner des pieds pour entrer sur le plateau. Cloîtré dans sa loge, l'artiste a honte d'avoir voté Hollande. Le retour sur scène est très politique. Le parti pris est clairement identifié, Guillon casse à droite, à l'extrême droite - allant jusqu'à imaginer Marine Le Pen au pouvoir en la comparant à une attraction de Disneyland - et bien entendu à gauche. Mais s'il ne se contentait que des personnalités politiques, on se lasserait et l'homme serait aussitôt qualifié d'artiste engagé.

Alors, il continue à s'en prendre à d'autres et là, on atteint des sommets : le terrorisme, la religion, les enfants, les migrants, Twitter ou encore la fin de vie... Toujours dans une écriture riche, l'humoriste égratigne mais jamais gratuitement. Pertinent dans son irrévérence, Guillon ne se fait pas sniper pour autant. Dynamique, sa gestuelle et ses intonations nous assurent que l'humoriste s'est bien préparé pendant sa période en retrait - qui aura duré près de 4 ans -. C'est cette même énergie que l'on retrouve sur un format plus court chez Ardisson dans son émission du samedi soir Salut les Terriens.

Pendant deux heures, l'humoriste parvient à balayer un grand nombre de thématiques qu'on lui connaissait et parfois, un peu plus éloignées de son répertoire mais qui arrivent à accrocher le public, le faire rire et quelque fois pouffer. Le sketch sur la fin de vie peut diviser, faire grincer les dents de certains mais reste bien pensé.

La fin du spectacle est l'occasion de découvrir ses talents d'imitateur qu'il ne dévoile que de temps à autre sur les plateaux télé à la demande : Fabrice Luchini, Dominique Besnehard, Alain Finkielkrault, Guy Bedos et quelques autres en prennent pour leur grade.

Certifié conforme est donc ce qu'on aime de Guillon, la nomination Molière de l'humour n'est que méritée, on court au Théâtre Dejazet jusqu'au 30 Avril avant qu'il ne soit trop tard !




Je tiens à dédier cet article à François Galtier et à l'occasion, le remercier. 


Racine ou La leçon de Phèdre @Théâtre de la Contrescarpe, le 06 Mars 2016



"Les poètes respirent autrement" affirme la tragédienne Anne Delbée.

Vêtue d'une chemise blanche sur laquelle sont posées des bretelles qui elles-même tiennent un sobre pantalon de costume noir, la tragédienne livre un spectacle entre la transmission de savoirs sur Jean Racine et la déclaration d'amour à la dernière pièce profane ; Phèdre.Alternant l'humour et la poésie, Delbée fait vivre les vers de la tragédie avec une telle fougue. Sous des aspects pédagogues, c'est souvent la déclaration d'amour au théâtre, à la tragédie et à la langue française qui prend le dessus. Elle fait aussi partager aux spectateurs les "ratés" de Phèdre qu'elle a pu voir.

Elle chante, elle rape en portant la casquette à l'envers, toujours dans l'idée d'honorer la richesse des vers du dramaturge disparu. Sa connaissance intime de ce dernier donne envie d'ouvrir à nouveau les pièces et de les analyser en profondeur. Sa maîtrise de la diction en alexandrin rappelle les cours de français où l'enseignant rattrape l'élève ayant le malheur d'écorcher la ponctuation.

Parfois dans la pénombre, Anne Delbée voit se poser sur elle un rayon de lumière qui l'enveloppe tel un second costume. Ce n'est pas son âge qui osera faire effet sur l'énergie qu'elle dépensera pour ce spectacle. Ses yeux brillants garantissent son dévouement.

Entre deux comédies au Théâtre de la Contrescarpe, il faudra bien prendre le temps de revisiter le théâtre classique, nous avons tellement de choses à apprendre des plus grands !

Concert-Ciné Spectacle Working Day @Pan Piper, le 08 Février 2016

La chanteuse Lizzy Ling a décidé de procéder à la promo de son nouveau double album Working Day en se mettant en scène au Pan Piper en jouant à la fois sur les planches et à l’écran qui projettent des images dans lesquelles la comédienne d’un jour interagit en direct.  

Quelle douce petite surprise que voilà ! Jouant des situations de la vie quotidienne de plusieurs professions – de caissière à journaliste en passant par coiffeuse ou encore prof d’Anglais, chauffeur de métro – l’artiste s’amuse et le spectateur aussi. Tout le monde est servi pour notre grand bonheur.  

Les chansons pop acidulée de Lizzy Ling sont au rendez-vous avec des textes plutôt décalés sur des fonds sonores qui rappellent le quotidien des professions mêlés à des compositions assez extravagantes mais pour le moins entraînantes.

Fidèle en amitié, Jean Fauque intervient sur le morceau « Le restaurant ». Prêtant sa plume pour laisser échapper les jeux de mots - ici humoristiques - qu’on lui connait, il co-signe également la chanson finale « Let’s work ». On le retrouve aussi à l’écran.

Dans une ambiance très conviviale, la chanteuse sait dorénavant que le concept a plu et qu’elle pourra s’y donner à cœur joie dans d’autres lieux. A commencer par la Belgique, en Avril prochain, m'a-t-on soufflé.  

A découvrir : le clip LE METRO

Dans la solitude des champs de coton @Théâtre des Bouffes du Nord, le 4 Février 2016


© Christophe Raynaud de Lage
Deuxième escale Koltèsienne.
Cette fois aux Bouffes du Nord, vingt-neuf ans après Chéreau, laissons-nous entraîner Dans la solitude des champs de coton.

« Deux hommes qui se croisent n’ont pas d’autres choix que de se frapper avec la violence de l’ennemi ou la douceur de la fraternité »

Casques sur les oreilles, c’est directement sur le plateau que les spectateurs sont invités à se rendre. Ils peuplent l’espace scénique, ils font office de décor, ils deviennent champs de coton. Guidés par les voix d’Anne Alvaro et d’Audrey Bonnet qui s’échangent les premières tirades philosophiques dans la pénombre. Puis progressivement, le public gagne les fauteuils.

Pourtant, l’originalité de cette mise en scène signée Roland Auzet se devait être plus poussée. Le début du deal devait se dérouler dans la rue, en plein cœur du quartier de La Chapelle. Etat d’urgence oblige, l’artiste ruse.

L’effet de déstabilisation est réussi, les voix paraissent si éloignées, les silhouettes sont presque fantomatiques. Dealer et client sont interprétés par des femmes. L’une a la voix grave, maîtrise la situation, elle détient ce que l’autre désire tandis que la seconde est un peu plus sauvage, animale qui se sentirait menacée. Elles se déplacent lentement, leurs mouvements sont comme chorégraphiés dans l’opposition : quand l’une avance, l’autre s’écarte, une séduction contradictoire.

Dans la solitude des champs de coton aux Bouffes du Nord s’avère un savant mélange de choix singuliers. Les comédiennes sont toutes les deux exceptionnelles et portent en elles une interprétation poignante, intense. Le tout porté par une création sonore – composée par La Muse en Circuit - qui selon la situation, alimente la tension ou la sérénité éphémère. 

Combat de nègre et de chiens @Théâtre Jean Arp (Clamart), le 19 Janvier 2016


© Christophe Raynaud de Lage
Le contemporain Bernard-Marie Koltès revient sur les devants de la scène pour ce début d’année 2016. Premier arrêt à Clamart au Théâtre Jean Arp qui accueille Combat de nègre et de chiens, l’un des textes inspiré des voyages en Afrique de son auteur. Le metteur en scène Laurent Vacher s’est emparé du texte en ayant bien conscience qu’un certain Patrice Chéreau s’en était épris quelques années auparavant. Choix audacieux que de marcher dans l’ombre laissée par le metteur en scène disparu.  

La langue koltésienne a quelque chose qui a et fascinera toujours. Les acteurs doivent pouvoir saisir sa maîtrise des silences, des mots, des tonalités.
Combat de nègre et de chiens se déroule dans un pays d’Afrique de l’Ouest, sur un chantier des travaux publics. Vacher respecte la présence d’une caravane, d’une terrasse où on observe un baril en guise de table où l’on passe le temps en jouant aux dés, pariant de l’argent et du bougainvillier qui sépare les deux univers. Des ventilateurs fonctionnent à plein régime « le bruit de l’Afrique » . Il habille son décor avec une trame sonore – signée Michael Schaller et Théau Voisin -  qui percute les spectateurs, elle se veut à la fois lourde et sombre accompagnée de bruits qu’on caractériserait de naturels. Elle rappellerait presque les westerns.

Un ouvrier noir, Alboury (Dorcy Rugamba) réclame la dépouille de son frère mort sur le chantier. Le responsable des travaux, un blanc, Horn (Daniel Martin) ne peut pas lui rendre et encore moins son collègue Cal (Quentin Baillot), sur qui pèse la responsabilité de la mort. S’immisce alors au cœur de ce trio, Léone (Stéphanie Schwartzbrod), l’unique femme qui a suivi aveuglément Horn en Afrique dans l’espoir d’un futur mariage. Chaque personnage se confronte à son étrangeté le temps d’une nuit. Une femme dans un monde d’hommes, des hommes blancs face à un noir, tous s’affrontent. Les mots sont devenus des armes.

Le jeu de Quentin Baillot est intense, son personnage évoluant au fil de la pièce en harmonie avec la poussée dramatique. D’un Cal quelque peu espiègle, qui préfère noyer son désarroi dans quelques verres de whisky, on bascule graduellement dans la gravité. Daniel Martin livre un Horn dont les responsabilités sont fragilisées, humaniste au fond de lui rejoint par un Dorcy Rugamba plutôt sage mais inquiétant par son aspect de rôdeur. Léone est endossée par une Stéphanie Schwartzbrod sensible, piégée par une certaine naïveté sur l’Afrique dans les premiers temps de la pièce. 
Vacher parvient à s’acquitter de la version de Chéreau, en proposant sa propre lecture dans un jeu d’ombres. 

Hikikomori - Le refuge @Théâtre Monfort, le 23 Janvier 2016


Mais qu’est-ce que l’hikikomori ? C’est une expression qui voit le jour chez nos voisins japonais dans le début des années 1990, elle se définit comme un phénomène sociétal qui touche principalement les adolescents mais qui petit à petit atteint les jeunes adultes. Il consiste à s’enfermer dans sa chambre pendant une période indéterminée. Ca sera cette pathologie qui a attiré la curiosité du metteur en scène Joris Mathieu.

Un même spectacle, 3 récits possibles. Mais comment est-ce réalisable ? Avant d’entrer en salle un casque audio est tendu à chaque spectateur, libre à lui de choisir le récit selon son âge : le point de vue parental par le biais de la voix paternelle, celui du héros qui raconte sa « version », tente de s’expliquer comme il peut ou encore le format conte philosophique pour enfant avec la douce voix maternelle. 

Chaque spectateur vit donc une expérience théâtrale qui lui est propre, elle lui est comme chuchotée, ce même spectateur devient au centre de tout, à lui de dégager une compréhension propre et de la partager avec son voisin.
Parents, vous ne pourrez pas porter le même regard que votre enfant, c’est une évidence qui se voit renforcée par la différence de narration.

Nils est un ado comme les autres. Jusqu’au jour où il est rentré à la maison après l’école et qu’il s’est enfermé dans sa chambre pour ne plus en sortir.  Inquiétude parentale oblige, ses parents suivent précisément les pensées de leur fils.

Au niveau de l’espace scénique, tout se déroule entre deux portes. Et derrière un voile de tulle s’animent les rêveries, les pensées du jeune Nils que l’on se surprendra à voir danser entre les buildings de la ville, ces chimères entraînent les spectateurs dans un monde poétique. Puis, les parents pénètrent dans l’intime du jeune garçon en forçant la porte, ils se suivent jusqu’à arriver dans un bois. La forêt comme symbolique d’une quête initiatrice, identitaire sans doute.

En une heure, Joris Mathieu parvient à faire oublier les notions de temps et de lieu. Son spectacle invite au voyage. Véritable fable de vie, il parvient à créer une ambiance innovante en faisant usage des nouvelles technologies habilement.


Et vous, quelle histoire seriez-vous prêts à entendre ?