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La petite fille qui disait non @Maison des Métallos, le 16 Novembre 2018


© Thierry Laporte
La petite fille qui disait non de Carole Thibaut c'est une manière contemporaine de revisiter le conte de Charles Perrault Le petit chaperon rouge et le réécrire un peu. 

Cette petite fille qui disait non elle s'appelle Marie (Marie Rousselle-Olivier), elle est sage comme une image et vit seule avec sa mère, Jeanne (Hélène Seretti), femme active indépendante, infirmière. Comme cette dernière ne cesse de courir partout, elle la confie à sa propre mère : Louise (Yann Mercier). Et cette grand-mère offre une parenthèse fantaisiste à sa petite-fille. Elle lui partage ses souvenirs de sa gloire passée. Elle nourrit l'imaginaire de sa petite-fille. Jusqu'au jour où elle est emportée par la mort. Marie se retrouve seule. Quand elle allait chez Louise, Marie devait contourner la Cité-Forêt. Voilà qu'un jour, elle décide de désobéir à cette obligation. Elle dit non. Elle grandit. Passer par la Cité-Forêt c'est découvrir le monde et ses dangers. 

Carole Thibaut met en scène la crise d'adolescence. Se croisent également les thématiques de la transmission intergénérationnelle et du rapport à la mort. Une mère qui fait de son mieux pour éduquer sa fille mais qui se heurte aux imperfections. Ces dernières sont d'ailleurs matérialisées sous forme de petites bosses dans le décor que signe Camille Allain-Dulondel. Conçu pour un jeune public (à partir de 8 ans), La petite fille qui disait non est un spectacle qui finalement s'adresse à tous. 

Derrière un voile de tulle, la fantaisie de Louise offre des moments très poétiques. L'envol de Marie dans le monde des grands gagnerait en intensité si Lou s'avérait être plus âgé ou peut-être plus méchant car Marie n'est quasiment pas effrayée et revient à sa rencontre très facilement. 

Ivanov @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 14 Novembre 2018


© Simon Gosselin
Christian Benedetti le metteur en scène spécialiste du dramaturge russe Anton Tcheckhov occupe jusque début Décembre le Théâtre Athénée - Louis Jouvet pour y proposer son adaptation d'un des premiers textes du russe : Ivanov.

Fidèle à ses habitudes, Benedetti a le sens du rythme. Le superflu n'existe pas, on met l'essence et on trace la route à vive allure. (En cette période de lutte contre la hausse du prix du carburant, c'est assez gonflé.)

Ivanov c'est ce type qui s'est marié à Anna Petovna. Elle est folle de lui. Au point qu'elle ait renoncé à sa religion : le judaïsme. Conséquence directe : elle est déshéritée par ses parents. Lui n'a plus le sou. Il est même couvert de dettes. Petrovna est souffrante. Il ne l'aime pas (ou plus). Il s'enferme dans une sorte de mal du siècle. Ce qui ne l'empêche pas de se laisser séduire par une très jeune fille ; Sacha. Autour de lui, on ne cesse de le culpabiliser car Mademoiselle semble avoir un peu d'argent. Mais peu lui importe la réputation qu'on lui prête, un second mariage doit s'inscrire dans sa vie. 

Benedetti avec sa mise en scène vive parvient à faire osciller le texte entre le drame et la comédie burlesque sans jamais balancer plus dans un genre que dans l'autre. Ivanov est ici interprété par un excellent Vincent Ozanon et la joyeuse bande mondaine non sans talent emboîte le pas. Les personnages s'activent de tous les côtés et ça ne manque pas de rigueur. Le plateau est peu chargé : quelques chaises ça et là, un piano, des portes-fenêtres et quelques cloisons mobiles suffisent à composer un décor efficace. Ivanov par Benedetti c'est le tableau d'une bourgeoisie agitée, peu bienveillante et terriblement cupide. 



Sopro @Théâtre de la Bastille, le 13 Novembre 2018



© Filipe Ferreira
Le vent souffle dans le théâtre de la Bastille, les hautes herbes parsemées sur le plateau frémissent. Le décor laisse imaginer un théâtre déserté. Les comédiens peuplent progressivement le plateau. Et, tout en discrétion, Cristina Vidal, vêtue de ses habits sombres, les accueille.

Présenté au Festival d'Avignon, Sopro est une pièce-hommage à la femme de l'ombre, la souffleuse qui travaille aux côtés du metteur en scène portugais depuis vingt-cinq ans au Teatro D. Nacional II. Un quart de siècles d'anecdotes qui, selon elle, n'auraient tenu que sur 18 minutes et 23 secondes. Durant, toutes ces années, elle a rencontré une multitude de comédiens, fait en sorte que ces derniers n'oublient pas une seule réplique. Alors pour prolonger, Tiagro Rodrigues revisite les pièces sur lesquelles celle qui murmure à l'oreille des artistes est intervenue pour éviter les catastrophes.

Les premières scènes consistent à montrer aux spectateurs comment est né ce projet : la discussion du metteur en scène avec une Cristina peu convaincue par la teneur du projet. Puis défilent Antigone, L'Avare, Bérénice... Que ça soit des trous de mémoire ou des moments beaucoup plus sensibles, Cristina Vidal a sauvé bien des situations aussi bien en répétitions qu'en représentations.

Celle qui n'a connu que l'ombre finit par être mise totalement en lumière pour prononcer les sept derniers vers de Bérénice.
Oscillant entre des instants poétiques, des fragments émouvants et des séquences comiques, Sopro est un bel hommage à l'une des professions les plus sous-estimées du monde du théâtre.

Le grand sommeil @Théâtre de la Commune, le 10 Novembre 2018


© Matthieu Bareyre
Elles devaient être deux sur le plateau. Helena de Laurens et Jeanne. La première est adulte, la seconde est une pré-adolescente. C'est bien là le problème. Une adolescente dans le monde du spectacle vivant ça suscite des complications à tous les points de vue mais surtout médicaux et juridiques. Si le processus créatif avait bien démarré entre les deux jeunes femmes, six mois de répétition au compteur ont suffi pour convaincre la médecine du travail, la psy et les parents de Jeanne que ce n'était pas bon pour elle : trop long, trop éprouvant pour une fille de son âge. L'ado est écartée de la scène, le spectacle devient un solo, un hommage à cette absence. Helena de Laurens devient Jeanne le temps de la représentation.

La danseuse vêtue de rouge arrive du fond du plateau sur Bitch better have my money de Rihanna. Comme une enfant, elle fait tourner un sac autour d'elle, façon tourniquet. Puis vient le temps des paroles crues de l'ado, elle n'est pas une enfant comme les autres. En pleine tentative de rébellion, sa façon arrogante de s'exprimer avec des silences perturbants, Helena donne son corps, l'âme est bien celle de Jeanne.

De façon presque détestable, à la limite de la méchanceté, elle questionne son rapport avec les adultes, avec ce qui s'apparente à la norme, avec la famille... Elle perturbe avec ses grimaces improbables, elle se métamorphose en véritable petite diablesse qui n'existe qu'au travers de ses provocations. SM  de Rihanna en fond sonore, Helena se livre à l'ultime provocation de Jeanne. Le corps souple de la performeuse gesticule à la manière de la chanteuse de la Barbade tout en s'enroulant avec un rouleau de scotch orange vif.

Elles n'étaient pas deux, elles ne faisaient qu'une sans rivalité ni complicité pour autant. Elles fonctionnaient à l'opposé des rôles présupposés : la parole était laissée à l'enfant, l'adulte cédait son corps et s'abandonnait.


L'Ecole des femmes @Théâtre de l'Odéon, le 09 Novembre 2018


Qui aurait pu penser un jour que le texte L'Ecole des femmes allait commencer dans une salle de sport façon Club Med ? 
© Elizabeth Carecchio
Stéphane Braunschweig l'a pensé et le fait. Si ce n'est qu'une scène introductive, elle donne le ton de cette adaptation survoltée. Arnolphe, l'homme mûr si sûr de lui se muscle, s'entretient face à la concurrence masculine qu'il craint fortement. Fidèle à la plume de Molière, il confie ses craintes et ses hantises en alexandrins à son jeune ami Chrysalde. Les deux compères pédalent sur les vélos d'appartement et échangent leurs points de vue. 

© Elizabeth Carecchio




Très vite ce décor inattendu change pour faire découvrir aux spectateurs un autre beaucoup plus sombre : une ménagerie de verre teinté dans laquelle (sur)vit la douce Agnès. Cette dernière se retrouve comme un petit animal que l'on regarderait au travers de la vitre, que l'on prendrait avec prudence. Cette cage de verre renforce la personnalité possessive et dominatrice d'Arnolphe qui finira par perdre ses moyens lorsqu'il apprendra que le jeune Horace s'est épris de sa protégée. La principale intéressée confesse que le sentiment est réciproque. La perversion est alors enclenchée ; Arnolphe devient instable, rongé par l'angoisse. 

Cette instabilité est ici formidablement interprétée par Claude Duparfait. Le comédien alternera entre les facettes d'un homme prédateur et le torturé. Cette personnalité double se retrouve à plusieurs reprises : tantôt paternaliste, tantôt malsaine. Il fait face à une Agnès redoutable et sauvage campée par Suzanne Aubert. Si L'Ecole des femmes est un texte comique, l'ambiance posée par Braunschweig est grinçante. La scène de lectures des maximes du mariage fait partie de celles qui prêtent à sourire. Les dents commencent à grincer lorsqu'Arnolphe dévoile sa folie, contrôlé par son unique désir, la main dans le slip, pantalon aux chevilles il est déterminé à faire entendre ses sentiments à Agnès. 


Le Banquet @Théâtre du Rond-Point, le 08 Novembre 2018


Quatre ans auparavant le Théâtre du Rond-Point accueillait la création de Mathilda May, Open space (mon retour ici) qui décrivait le monde de l'entreprise. Dans le même esprit, elle choisit de s'attaquer au mariage et plus particulièrement, au banquet. 

Les ingrédients de sa première création s'y retrouvent : l'absence de paroles, mimiques et postures hilarantes. Seuls les comédiens changent. : Sébastien Almar, Roxane Bret, Bernie Collins, Jérémie Covillault, Lee Delong, Stéphanie Djoudi-Guiradon, Arnaud Maillard, Françoise Miquelis, Ariane Mourier et Tristan Robin s'en donnent à cœur joie. 

L'énergie est bien au rendez-vous, les gags les plus absurdes ne manquent pas et ce,
dès le début de la représentation : banquet inaccessible, pente raide, robe tâchée, l'ivresse de chacun, tout y est et interprété impeccablement.

Au plus proche du réel, tous les convives "clichés" se retrouvent pour ce grand rituel : la mariée dépassée, le témoin beau gosse du marié quelque peu vulgaire, le père au discours soporifique, la tante au chihuahua, l'adolescente attachante, le gosse qui court partout, le photographe collant, le DJ foireux... Tout ce petit monde festoie : ça boit, ça mange, ça tombe malade, ça danse, ça s'amuse, ça s'ennuie, ça se remémore, ça s'aime... Et dans le grand ensemble on trouve également des moments de solitude, des sortes de parenthèses que s'accordent les personnages et tout se met à tourner au ralenti autour d'eux. Le burlesque atteint des sommets pour mieux verser dans le tragique final.


Comme pour Open space Mathilda May montre une fois encore son talent pour créer un univers tout à fait loufoque.
Toutefois, les gags finissent par s'épuiser et les longueurs commencent à se faire sentir, la soirée s'éternise mais est-ce encore le besoin d'être au plus près du réel ? Pas sûr... 

Acceso - Résistance d'un enfant des rues chiliennes @Maison des Métallos, le 06 Novembre 2018


© Sergio Armstrong
Il déboule dans la salle comme on entrerait dans un métro légèrement bondé. Si une partie des spectateurs sont installés dans les gradins en légère surélévation, l'autre se concentre sur deux rangées de chaises réparties côté cour et côté jardin. 

Très vite, Sandokan débite son discours de commerçant itinérant et sort toute une série de pacotilles de sa besace : trio de peignes, livres parmi lesquels la constitution chilienne de 1844 et la Bible, gadget lumineux pour faire fuir les mauvais esprits de la chambre des enfants, rouleau anti bouloche électrique, semelles en mousse... Un moyen pour lui de survivre ou encore simplement d'exister.

Sandokan c'est avant tout un adulte qui n'a pas eu accès à une enfance ordinaire, qui n'a pas eu d'enfance tout court.
Des "m'sieurs", comme il les appelle, qui n'ont rien de sain lui ont arraché l'insouciance et le peu d'innocence qu'il pouvait avoir. Commence alors le basculement dans le sordide. Sans détour, Sandokan décrit les abus sexuels dont il a été victime, comment il a entraîné sa sœur malgré lui, sa détresse, la violence des puissants, les effets de la cocaïne...
Au plus près des spectateurs, il balance crûment les faits et gestes des adultes qui l'ont tantôt gâté tantôt sali, souillé.

Roberto Farias installe une atmosphère dérangeante par sa gestuelle, par ses expressions, son regard ne tombe jamais. Ses récits sont racontés avec une certaine exaltation qui déroute les spectateurs. Quand le mal aise est palpable, soudainement, il reprend les démonstrations enthousiastes de ses marchandises improbables.

Un monologue saisissant et puissant.