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Hamlet @Opéra Comique, le 15 Décembre 2018


© Vincent Pontet
Après une superbe adaptation de Festen Cyril Teste présentée aux Ateliers Berthier fin 2017, le metteur en scène s'est lancé un défi encore plus grand et totalement différent : Hamlet d'Ambroise Thomas à l'Opéra Comique. Cyril Teste montre, une fois encore, qu'il est à la hauteur des défis qu'il s'impose.

Escaliers, foyers, balcons et bien sûr plateau font office de décors. L'arrivée du fond de la salle en grandes pompes de Claudius - interprété par Laurent Alvaro - donne le ton du spectacle : monumental. Résolument contemporaine, cette adaptation d'Hamlet s'ancre dans une époque très proche de la nôtre.
© Vincent Pontet 

Cyril Teste a, pour ce spectacle, collaboré avec le scénographe belge Ramy Fischler pour exploiter au mieux la vidéo qui lui est chère : jeux de rideaux, juxtaposition de voiles en tulle, écrans. Tirant profit d'une scénographie allégée, ils parviennent à créer intégralement des espaces en tout genre : nature, intérieurs, cimetière, profondeurs aquatiques... uniquement par la vidéo. Cette dernière se rapprocherait du travail de Bill Viola notamment dans la scène de noyade d'Ophélie. A noter également l'habile jeu entre les moments pré-enregistrés et les directs purs.

En ce soir de générale, les spectateurs sont prévenus : les artistes ne sont pas amenés à chanter à pleine voix. De plus, Sylvie Brunet-Grupposo interprète de Gertrude est annoncée comme souffrante. Mais merveilleuse surprise : la représentation n'a guère été interrompue et l'ensemble des artistes a donné de la voix en toutes circonstances. Stéphane Degout campe le rôle titre avec brio, profondeur. Sabine Devieilhe brille par son timbre de voix si clair et bouleverse dans sa noyade. Jérôme Varnier surprend ; assis parmi les spectateurs, il incarne son personnage de Spectre avec force. Sans oublier tous les autres personnages, l'ensemble impressionne aussi par la clarté des chants. Composant essentiel, L'Orchestre des Champs-Elysées dirigé par Louis Langrée joue tout en subtilité en marquant les moments dramatiques avec justesse. 

Antigone @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 09 Décembre 2018


© Adel Keil
L'imposant décor de Jean-Baptiste Bellon a pris pour résidence l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet qui a accueilli pendant une semaine de décembre la création de Lucie Berlowitsch et sa troupe Les 3 sentiers ; Antigone. La metteur en scène s'entoure de comédiens ukrainiens et français pour l'occasion et fait revivre le mythe en l'ancrant dans un cadre spatio-temporel très proche du nôtre. 

Les spectateurs font face à une immense devanture de château comme dessinée à la craie sur une paroi en ardoise. En retrait côté jardin, les instruments du groupe cabaret-punk sont installés. Au bord du plateau, le public des premiers rangs sont à proximité d'un objet inattendu : un jeu de force. Côté cour, la dépouille de Polynice est posée à même le sol.
Dakh Daughters
© Maxim Dondyuk
Dans une ambiance brutale, violente et électrique ponctuée par les chants des Dakh Daughters, le mythe d'Antigone revisité en langue slave - avec quelque passages en français - et dans une esthétique contemporaine par Lucie Berlowitsch est une grande réussite. Les comédiens portent un jeu qui gagne en puissance à mesure que l'intrigue progresse. Mentions spéciales aux premiers rôles portés par Chrystyna Fedorak - aux allures d'une Antigone punk - et Roman Yasinovskiy - tyrannique - qui, au-delà de leurs magnifiques vociférations, soutiennent des regards intenses.





Macadam Animal @MC93, le 08 Décembre 2018


Il est difficile d'expliquer la nature de Macadam Animal. La création s'apparente tantôt à la conférence, à l'exposé scientifique mais aussi à un véritable objet créatif indéfinissable ou peut-être de manière réductrice : performance sonore et expérimentation vidéo. L'auteure Olivia Rosenthal accompagnée du compositeur-vidéaste Eryck Abecassis interrogent ensemble la présence animale dans nos villes.

Chien sauvage, corbeau, termite, rat ou encore crabe bleu sont ici questionnés. Au Havre, à Bobigny ou encore à Casablanca, on explore notre environnement par le prisme des animaux qu'ils soient repoussants ou attirants. La création sonore d'Eryck Abecassis plonge les spectateurs dans une ambiance industrielle pendant qu'Olivia Rosenthal nous invite à la réflexion avec des questionnements tels que pour qui est-ce que les espèces nuisibles sont-elles nuisibles, dit-on un ou une termite ? Dans ses intonations l'auteure semble parfois improviser.

Le duo offre aux spectateurs de la MC93 une parenthèse totalement à part dans laquelle on entrerait comme un cabinet de curiosités sonore. Les thèmes biologiques, ethnologiques et environnementaux se croisent pour nous transporter dans une sorte de traversée poétique finalement.





Le Misanthrope @Théâtre 12, le 07 Décembre 2018


Depuis sa création la compagnie Etincelle sillonne l'hexagone avec son même mot d'ordre : faire revivre les grands textes.
Pendant la saison estivale, elle proposait au Lucernaire la première mise en scène de Légende d'une vie qui a valu à son comédien Lennie Coindeaux le titre de Meilleur comédien pour un premier rôle aux P'tits Molières 2017. En cette saison hivernale, la compagnie s'est affairée autour du Misanthrope de Molière pour une série de dates au Théâtre Douze. 

Comme la plupart des pièces du dramaturge, Le Misanthrope n'échappe pas à l'universalité et intemporalité.
C'est pourquoi Caroline Rainette a choisi de le transposer de nos jours. Tantôt dans les couloirs d'un tribunal, à la cour ou en boîte, elle casse le code d'unité de lieu voulu par le théâtre. Pari réussi. La metteure en scène originaire de Chartres prend également le parti de retirer quelques personnages pour se recentrer sur l'essentiel. Leurs absences ne généreront aucun impact et rendent la pièce encore plus accessible, plus fluide.

Avec la même exigence que Légende d'une vie, la compagnie livre une prestation convaincante. Lennie Coindeaux campe un Alceste terrible, impitoyable avec ses semblables. En lui confiant le rôle d'Alceste, Caroline Rainette casse l'image d'un personnage plutôt vieux jeu à la limite du réactionnaire. Autour de lui s'activent Jérémie Hamon, Bruno Aumand, Camille Cieutat et Caroline Rainette qui manient les alexandrins non sans talent. Cette dernière s'est réservé le rôle d'une Célimène indépendante, légère et élégante. Tous ensemble, ils portent et parviennent à faire résonner un texte qui se peut résolument contemporain. 

Ionesco Suite @Espace Pierre Cardin - Théâtre de la Ville, le 02 Décembre 2018



Après une longue tournée la troupe du Théâtre de la Ville revient à la maison, en terres parisiennes. La joyeuse troupe livre un spectacle "laboratoire" qui fait le tour de l'oeuvre d'Eugène Ionesco en mettant à la suite des extraits choisis de Jacques ou la soumission, Délire à deux, La cantatrice chauve, Exercices de conversation et de diction françaises pour étudiants américains et de La leçon. Le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota propose un voyage d'un peu plus d'une heure en "absurdie".

La pièce d'ouverture met dans le bain avec des comédiens transformés en famille monstrueuse - le doux mélange d'une enfant cul-de-jatte et d'humains génétiquement modifiés - réunie autour d'une grande table pour un repas plus que tendu. Les échanges absurdes fusent dans tous les sens. Toute les thématiques de la réflexion de l'auteur roumano-français sont ici développées : la complexité d'être, la domination sous toutes ses formes, l'absurdité, le langage...

Pour le plus grand plaisir des spectateurs s'enchaînent de nombreuses perles d'humour et ça voltige : pièce montée, liquides, bougies, extincteur... Les sept comédiens dynamitent l'Espace Pierre Cardin avec une énergie flamboyante et épatent par leur talent pour jongler avec les mots d'Eugène Ionesco. Ionesco Suite est un spectacle véritablement familial, totalement déjanté. 

La petite sirène @Comédie Française - Le Studio, le 01 Décembre 2018


Plongée sous les mers au Studio de la Comédie Française.
Des sortes de lianes dorées peuplent le plateau, la douce petite sirène interprétée ici par Adeline d'Hermy est assise sur une balançoire et discute avec sa grand-mère jouée par Danièle Lebrun. Leurs jambes croisées recouvertes de gris symbolisent ici les queues de poisson. Toutes deux s'entretiennent à l'approche de l'anniversaire de la petite sirène à qui l'on n'a pas attribué de prénom. Elle s'apprête à avoir 15 ans. Et 15 ans, dans le monde des sirènes, c'est comme une première étape de la majorité : on l'autorisera à découvrir le monde des humains. Ses soeurs dont fait partie Claire de la Rüe du Can ont connu ce grand moment mais en sont vite revenues.

Malheureusement, ce jour-là est marqué par une météo déplorable. Têtue, la jeune sirène s'aventure chez les humains. Elle sauve de la noyade un jeune prince et développe un sentiment amoureux à son égard. Elle n'a désormais plus qu'une envie : le retrouver. Pour y parvenir, elle file dans les eaux profondes, sans doute plus froides, plus troubles où vit la Sorcière des mers. Cette dernière lui promet de revoir le prince en lui proposant un échange malveillant : une paire de jambes contre sa voix qui avait séduit le terrien.
La jeune sirène accepte, la voilà muette et échouée sur la plage sans avoir idée du fonctionnement des jambes.

A la surface, les spectateurs partent à la rencontre d'un autre duo ; celui formé par le prince touchant - joué par Julien Frison - et son père drôlement joyeux - campé par Jérôme Pouly -.  Tous deux s'affairent pour décorer leur palais. Le prince découvre l'héroïne inconsciente. Il lui fait reprendre ses esprits mais la voilà qui ne peut exprimer sa gratitude, son amour. Elle trébuche, glisse, improvise des pas de danse et très vite, elle apprend à se servir de ses nouveaux membres. Mais la malheureuse ne pourra pas lutter face à sa rivale venue d'un palais voisin avec une voix qui enchante le jeune prince. Face à l'impossibilité d'une victoire, la petite sirène se sacrifie.

Géraldine Martineau signe une mise en scène poétique qui séduira petits et grands enfants. Sa lecture est loin de l'imaginaire merveilleux que suggérait Disney il y a maintenant quelques années, elle s'ancre plus dans le réel sans pour autant brusquer son public. Le duo d'Hermy/Frison séduit par la douce naïveté de leurs personnages, très enfantine.


Soeurs (Marina & Audrey) @Bouffes du Nord, le 26 Novembre 2018


© Pauline Roussille 
Audrey Bonnet débarque dans la salle des Bouffes du Nord comme on entre dans l'arène. Elle a besoin de se faire entendre par celle qui est sa soeur le temps du spectacle Marina Hands. Mais pourquoi cette agressivité d'entrée de jeu ? Il semblerait que Marina ait oublié de prévenir Audrey que leur mère est décédée. Un oubli ? Un acte manqué ? En tout cas c'est l'élément déclencheur qui ravive une jalousie qui n'a jamais cessé de croître. Elle est née il y a trente ans et n'a jamais disparu. Aucune insulte n'est proférée. Le calme n'existe pas. Les rancœurs d'hier alimentent celles d'aujourd'hui. C'est la confrontation de modes de vie si différents, de névroses. Pendant qu'Audrey Bonnet s'époumone, Marina Hands est à cheval entre la raison et la colère.

Le plateau est presque vide ; des chaises multicolores de type salle des fêtes sont empilées en retrait et un pupitre. On apprend que Marina s'apprête à prendre la parole, mener une conférence sur l'accueil des migrants. Cet altruisme, elle le revendiquera sans cesse en rappelant qu'Audrey dénigre l'altérité avec sa situation de critique. Lorsqu'elles évoquent l'enfance, ces sœurs semblent avoir été élevées dans leur détestation réciproque. Avec notamment, un père ethnologue qui les encourage à s'affronter, à se concurrencer ; la figure paternelle les a habitué à triompher individuellement. La natation comme point de départ.

Puis, les chaises finissent par envahir l'espace, comme si les souvenirs étaient désormais exposés à la vue de tous. Au milieu, elles se retrouvent le temps d'une chanson : Wonderful life. "No need to run and hide. It's a wonderful, wonderful life" (Pas besoin de courir et se cacher. C'est une vie merveilleuse, une vie merveilleuse) entend-on. On les surprend à danser en symétrie : leurs cheveux s'emmêlent, elles ne font qu'une. Pour à nouveau mieux se diviser.

Pascal Rambert met en scène un duel sans merci duquel aucune ne sortira victorieuse. Jamais elles ne se pardonneront, mais les liens du sang sont indéfectibles. Toute la force de ce texte repose sur l'alternance des petites phrases qui peuvent être prises de travers et des gros blocs massifs bien lourds que sont les souvenirs familiaux envenimés. 

La route du levant - la spirale de la haine @Maison des Métallos, le 22 Novembre 2018


© Leslie Artamonow
Les spectateurs sont placés de part et d'autre du plateau où est placé un bureau. Jean-Pierre Baudson c'est le vieux flic, en fin de carrière sans doute. Face à lui, Grégory Carnoli campera le rôle du jeune soupçonné de vouloir rejoindre la Syrie. 

Si d'entrée de jeu les deux hommes se parlent calmement, les échanges deviennent de plus en plus tendus. 
C'est la confrontation de deux visions du monde : l'un dresse le portrait d'une société où tous les citoyens ont une chance, l'autre tente d'expliquer que cette société l'a bercé dans les déceptions. Chacun place stratégiquement ses arguments. L'un sait jouer la carte de la complicité inattendue, le sens de la ruse pendant que l'autre manipule, clame son innocence tout en se faisant, par moment, insolent. Et parfois, l'un déstabilise l'autre. 

Les deux êtres se livrent à un match rhétorique puissant. Les arguments sont audibles des deux côtés, on se surprendrait à prendre position des deux côtés, en alternance. L'action n'est pas visible, elle est même prononcée : le duo partage les didascalies aux spectateurs. La tension monte toujours plus jusqu'à atteindre des sommets : qui l'emportera sur l'autre ? L’ambiguïté plane jusqu'à la fin. 

L'auteur, Dominique Ziegler  parvient dans cette pièce à relever le défi de poser les bonnes questions notamment celle du choix de l'extrémisme islamiste pour certains jeunes qui n'avaient jusqu'alors aucun lien avec la foi et d'y apportant des réponses cohérentes. Dans une mise en scène sobre, Jean-Michel Van Den Eeyden fait porter le spectacle par son duo de comédiens. 

Joueurs - Mao II - Les Noms @Théâtre Odéon - Ateliers Berthier, le 18 Novembre 2018


© Simon Gosselin 
Le travail du jeune Julien Gosselin fascine. Après ses deux spectacles fleuves Les Particules élémentaires et 2 666 le metteur en scène  trentenaire vient faire trembler les murs des Ateliers Berthier après avoir secoué ceux de la FabricA pendant le Festival d'Avignon avec son adaptation trois en un des romans de l'américain Don DeLillo : Joueurs, Mao II et Les Noms. A noter qu'il s'est autorisé un petit intermède avec un format court pendant le Festival d'Automne : Le Père à la MC93. Nouveau défi. Nouvelle plongée dans la violence pour le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur. Durée du voyage : près de 10h. Deux options s'offrent aux spectateurs : voir l'intégralité sur une journée ou jouer la carte des épisodes. Le choix a été vite fait.

Joueurs, Mao II, Les Noms surpasse 2 666. Encore plus profond, peut-être plus dérangeant mais toujours brillant. C'est une immersion totale, tous les sens sont en éveil - à l'exception sans doute du toucher -. Fidèle à sa pratique du théâtre filmé, Julien Gosselin démontre à nouveau qu'il maîtrise en offrant toujours plus de plans magnifiques comme par exemple le fait de partager à l'écran le seul reflet des bougies dans les lunettes du comédien Adama Diop dans la pénombre.

Première étape de ce long voyage : Joueurs. Rencontre avec un couple moderne américain au bord de la rupture. Lyle Wynant (Denis Eyriey) et Pammy (Caroline Mounier) sont des cols blancs. Ils vivent dans les excès en tous genres. Jusqu'au jour où Lyle fait la connaissance d'un réseau terroriste. Le voilà séduit, il plonge aveuglément. Pendant toute cette première partie, tout est visible à l'écran. Tout se joue entre les panneaux de bois totalement opaques. Quelques rares passages laissent respirer les comédiens hors les murs.

Transition sur fond inattendu de karaoké kitsch chinois interprété par Victoria Quesnel.

Mao II c'est une autre vision du terrorisme : celui qui touche le Moyen-Orient. Les personnages ne sont pas spécialement dans les affaires. Il s'agit cette fois d'un écrivain (Frédéric Leidgens), son éditeur (Alexandre Lecroq-Lecerf), un archiviste (Antoine Ferron), une téléphage (Carine Goron) et une photographe (Noémie Gantier). Le fond est nettement plus politique tout en interrogeant la perte d'une identité. En effet, l'écrivain qui vivait caché finira par prendre la place d'un otage.
Qui était-il ? Que voulait-il ?

Nouvelle et dernière transition avec un monologue de Joseph Drouet sur un fond rouge vif.

Ultime escale : Les Noms est sans doute la partie la plus complexe, la plus sordide et la plus dérangeante - aspects qui rappellent 2 666 -. Des couples américains plutôt fortunés se retrouvent en Grèce, ils racontent leurs trains de vie confortables passés aux quatre coins du monde. Le personnage d'Adama Diop s'avère fasciné par une secte criminelle qui tue en s'appuyant sur les lettres de l'alphabet. Cette partie dérange par la présence de certaines images : un homme ensanglanté qui glisse longuement dans son propre sang et s'exprime dans un langage incompréhensible. Plus d'écran pour permettre une certaine distance, il patauge sous nos yeux.

Les trois musiciens qui jouent en direct sont toujours sur ce registre électro assourdissant parfois nerveux mais tellement entraînant. Le collectif Si vous pouviez lécher mon coeur n'a rien à prouver : le talent les habite, ils ont tous le sens de la performance pleine de rigueur et d'énergie. Julien Gosselin peut avancer dans ses projets en toute confiance : il bouscule, il surprend, il captive !

Le teaser du spectacle >> https://vimeo.com/296386341