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Sarrazine @Théâtre de Belleville, le 25 Octobre 2022

© Jean-Louis Fernandez
Sarrazine ou l'ode à la vie. Sarrazine c'est l'histoire de la jeune écrivaine Albertine Sarrazin. Celle qui n'a fait qu'écrire entre deux passages en prison. Indomptable, imperturbable, Albertine Sarrazin a eu une vie bien peu commune. C'est de cette vie trépidante que se sont inspirées Julie Rossello-Rochet et Lucie Rébéré

Le plateau du Théâtre de Belleville se voit meubler d'une baignoire contre une façade carrelée de moitié côté jardin. Un poste de radio est posé sur une petite étagère néon en hauteur, une lucarne et un miroir. C'est tout. Et cela suffira à recréer tous les espaces d'une vie ; chambre de bonne, cellule, chambre d'hôpital, domicile conjugal...  

Avec un fort accent méditerranéen et une certaine gouaille juvénile, Nelly Pulicani nous embarque dans sa cavale perpétuelle et infernale. Profondément touchante et prise d'un trop plein de chaleur humaine, elle incarne l'écrivaine avec brio. A l'image d'un James Dean qui disait "Vivre vite, mourir jeune et laisser un beau cadavre" Albertine Sarrazin n'a jamais cessé de vouloir simplement vivre - et certainement pas vivre simplement - qu'elle soit incarcérée ou dehors. 

En se replongeant dans l'itinéraire de l'écrivaine, le duo Julie Rossello-Rochet et Lucie Rébéré esquisse à vive allure un vibrant et bel hommage à la femme libre et à la jeunesse insouciante.

Le Chaperon rouge de la rue Pigalle @Manufacture des Abbesses, le 23 Octobre 2022

Le Chaperon rouge de la rue Pigalle c'est le nom affectueux qu'a donné Florence Hebbelynck à celle qui répond au prénom de Cathy. Cathy était une prostituée dont la carrière a commencé très tôt. A 21 ans, elle faisait déjà le trottoir. Et ce, jusqu'à ses 79 ans. Florence Hebbelynck a voulu chercher à savoir qui était cette femme qui officiait en bas de chez elle et c'est par le point de vue de différentes personnes qui l'ont connu avec plus ou moins de proximité qu'elle mène son enquête initiée par un entretien avec la principale concernée. S'exerce alors sur la détective d'un jour une véritable fascination. 

C'est en duo que se construit l'enquête. Florence Hebbelynck joue son propre rôle, son binôme Nicolas Luçon se fera tantôt fils, journaliste, voisin ou encore nièce. Les deux comédiens évoluent dans un plateau sur lequel sont éparpillés des tabourets blancs que l'on trouve dans les bazars comme autant d'immeubles dans les rues. Le metteur en scène Stéphane Arcas justifie ce choix en expliquant qu'ils traduisent l'aspect encombrant et dérangeant que peut présenter la prostitution. 

Spectacle kaléidoscopique, Le Chaperon rouge de la rue Pigalle est un pari réussi. Sans a priori, Florence Hebbelynck conçoit une pièce témoignage bienveillante, intéressante grâce aux nombreux personnages qu'elle convoque - tous sans jugement - et savoureuse de par les variations de tons - celui de l'innocence d'un ado offre une légèreté dans l'entrée en matière -. Heureux le spectateur qui aura connu la véritable Cathy et la reconnaitra parmi tous ces fragments. On en retiendra le portrait d'une femme de caractère qui toute sa vie durant se sera battue en conservant une certaine élégance.



Catarina et la beauté de tuer des fascistes @Bouffes du Nord, le 11 Octobre 2022


A la différence de La CerisaieCatarina et la beauté de tuer des fascistes est une pièce entièrement pensée par Tiago Rodrigues, de l'écriture à la mise en scène. La création du nouveau directeur du Festival d'Avignon était très attendue. Déjà programmée à l'occasion de la 49ème édition du Festival d'Automne, la crise sanitaire qui secouait la planète a provoqué son report en 2022. 

© Filipe Ferreira
Une longue table digne des banquets antiques est posée au centre du plateau, elle arbore une nappe sur lequel se lit distinctement le slogan propre aux antifascistes "Não passarão !" (Ils ne passeront pas). En arrière plan, une belle cabane modulable. Au sud du Portugal, non loin du village de Baleizão, la famille se retrouve pour célébrer son rituel depuis 74 ans : le rapt d'un fasciste dans l'objectif de lui donner la mort. Tous les personnages s'appellent Catarina en hommage à une femme assassinée par un soldat fasciste il y a 74 ans - du temps de la dictature de l’Estado Novo - de cela. Aujourd'hui, à l'aune de son vingt-sixième anniversaire, c'est à l'avant-dernière de s'y coller. Et voilà qu'elle doute. Rodrigues fait entrer ses personnages dans des introspections profondes. 

Que ça soit en France ou en Italie, le fascisme ne cesse de monter et les oppositions patinent un peu partout en Europe - et ailleurs -. La nécessité de réfléchir à une solution collective. C'est cette réflexion qui s'installe dans la tête de la jeune Catarina, prise entre l'héritage familial qui consiste à tuer par pur instinct de vengeance et la voie démocratique qui ne suffit plus. Dans cette pièce, le dramaturge portugais offre de véritables moments poétiques - l'image des hirondelles - parfois chantés - qui vont jusqu'à provoquer des frissons -. Mais il laisse aussi s'échapper quelques lenteurs - le véganisme de la soeur de sa protagoniste pour n'en citer qu'une - qui viennent parasiter le contenu, la conviction profonde sans jamais malheureusement questionner les obscures raisons d'une telle fascisation. La troupe - composée de 8 comédiens - porte en elle la beauté du texte et les respirations nécessaires, dans un jeu excellent.  

© Léa Goujon
Ce soir-là - et apparemment d'autres soirs -, le spectacle se regardait également dans le public... Les 30 dernières minutes sont consacrées au discours du fasciste libéré - Romeu Costa -. Trente minutes de monologue identitaire. Trente minutes sans aucune contradiction si ce n'est celle d'un public écœuré. Fusent alors les huées, les sifflements, les jets de programmes de salle transformés en boulettes de papier... Dans un registre plus absurde et plus dangereux, une basket a été lancée sans heurter le comédien qui restera droit, imperturbable, pro jusqu'au bout. L'Internationale sera entonnée par quelques uns. D'autres seront entre la surprise et l'indignation causées par leurs alter egos spectateurs. Le public de théâtre est convaincu de ce qu'avance Tiago Rodrigues mais s'est-il mis à exprimer son ras-le-bol ? Ce soulèvement était-il nécessaire pendant la représentation ? Non, certainement pas. A bon entendeur, libre à nous de le faire vivre en dehors des salles de théâtre. 





Echappées @Le Quai (Angers), le 06 Octobre 2022

© Christophe Raynaud de Lage

Autre spectacle programmé dans le cadre du Grand Ouest Festival : Echappées. Créée au Quai en novembre 2021, l'équipe artistique d'Echappées guette une bretelle pour sortir des routes angevines. Road-trip d'un duo féminin, Echappées est une quête initiatique féministe. Artiste de la troupe du Quai, Charline Porrone s'empare du texte de Damien Gabriac qui se voit complété par la jeune auteure Milie Vo Van et signe sa première mise en scène d'un spectacle à l'ambiance très inspirée de l'univers lynchéen et pas si éloignée d'Apocalypse bébé de Virginie Despentes.

Léo et Juliette sont les Thelma et Louise de 2022. Léo - Charline Porrone - est metteuse en scène, Juliette - Emeline Frémont - la comédienne star de son prochain spectacle. Le producteur - Pier Lamandé - demande explicitement une vision d'agression sexuelle, ce qui pourrait motiver un mécène prêt à mettre 200 000 euros pour le spectacle. Léo n'en est pas certaine, mais, comme tout metteur en scène elle veut faire vivre son spectacle. Elle cède à la demande. Lors d'un rendez-vous pour un repas savamment orchestré par son producteur, elle embarque Juliette pour tenter de gagner en assurance. Juliette, dans un état d'ébriété, s'élance vers la chambre d'hôtel du mécène où elle se fait agresser - on ne voit rien, on se doute -. Léo venge sa comédienne et commet l'irréparable. Les voilà en fuite à bord de Métaphora, une Ford Sunliner bleue qui a des états d'âme - ça pourrait être Christine de Stephen King mais en nettement plus sympa -.  

Pendant un peu moins de deux heures, le duo Porrone - Frémont affranchi de la domination masculine, embarque les spectateurs dans leur folie à deux à mi-chemin entre la réalité et le fantasme. Echappées n'est pas un simple récit de voyage, c'est une quête émancipatrice. Dans des scènes profondément humaines, les deux jeunes femmes passent par tous les états : excitation, colère, joie, mélancolie... Le tout sur fond du tubesque Voyage, voyage de Desireless revisité en anglais - nos oreilles iront jusqu'à entendre Trouble, trouble - pour l'occasion interprété par Damien Avice et Nathan Bernat - qui ont eux aussi leurs plus discrètes apparitions -. 

Sans jamais basculer dans le politique, le concentré du spectacle raconte avant tout le rapport de deux femmes savourant leurs libertés retrouvées, qui scellent une véritable sororité. Quelques petites longueurs surviennent dans des sorties de route mais les deux comédiennes tiennent la barre avec énergie. Les deux comédiennes associées au Quai Charline Porrone et Emeline Frémont - qui ont déjà collaboré par le passé - se sont retrouvées sur un projet féminin et offrent un moment indéniable de complicité. 



Niebo Hotel @Hôtel Saint Julien (Angers), le 05 Octobre 2022

 
© Lucie Baudinaud

Programmé dans le cadre du Grand Ouest Festival (GO festival) du centre dramatique national Le Quai, Niebo Hotel est un spectacle de danse pensé hors les murs pour le moins atypique. La compagnie la Parenthèse offre une pièce dansée d'une cinquantaine de minute dans les murs de plusieurs chambres d'hôtel - ici l'Hôtel Saint Julien à Angers -. 

Le spectacteur est convié à suivre un parcours qui lui est propre. Lorsque nous arrivons dans la première chambre à la luminosité faible, une lettre manuscrite posée sur le lit nous attend. Une certaine Magda s'apprête à quitter l'hôtel où elle a rencontré ceux qu'elle considère comme sa nouvelle famille. Elle nous glisse qu'il est possible qu'elle ait oublié quelque chose, charge à nous de lui rapporter à la réception. Activation de l'interrupteur et le spectacle s'offre à nous. 

Nous ne détaillerons pas ici le parcours suivi mais nous attarderons sur l'étrange voyage au gré des chambres, des rencontres, des fragments de vie. Soli ou duos, les performances s'enchaînent sans jamais se ressembler. L'espace très réduit des chambres contraint les corps des artistes sans jamais les perturber. L'expérience trouble, fascine. Pleins de grâce, les corps s'animent et se frôlent sur des musiques enregistrées ou sur des morceaux interprétés en direct. Les spectateurs peuvent être amenés à se croisent entre deux chambres ou même dans une chambre qui les réunit le temps d'une performance. 

Christophe Garcia signe une très belle création soignée pour le moins intimiste qui offre aux spectateurs une parenthèse poétique suspendue dans le temps et l'espace. Le coup de maître réside dans le fait d'être parvenu à créer une diversité de parcours afin que chaque spectateur puisse vivre une expérience unique en son genre.