A la différence de La Cerisaie, Catarina et la beauté de tuer des fascistes est une pièce entièrement pensée par Tiago Rodrigues, de l'écriture à la mise en scène. La création du nouveau directeur du Festival d'Avignon était très attendue. Déjà programmée à l'occasion de la 49ème édition du Festival d'Automne, la crise sanitaire qui secouait la planète a provoqué son report en 2022.
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© Filipe Ferreira |
Une longue table digne des banquets antiques est posée au centre du plateau, elle arbore une nappe sur lequel se lit distinctement le slogan propre aux antifascistes "Não passarão !" (Ils ne passeront pas). En arrière plan, une belle cabane modulable. Au sud du Portugal, non loin du village de Baleizão, la famille se retrouve pour célébrer son rituel depuis 74 ans : le rapt d'un fasciste dans l'objectif de lui donner la mort. Tous les personnages s'appellent Catarina en hommage à une femme assassinée par un soldat fasciste il y a 74 ans - du temps de la dictature de l’Estado Novo - de cela. Aujourd'hui, à l'aune de son vingt-sixième anniversaire, c'est à l'avant-dernière de s'y coller. Et voilà qu'elle doute.
Rodrigues fait entrer ses personnages dans des introspections profondes.
Que ça soit en France ou en Italie, le fascisme ne cesse de monter et les oppositions patinent un peu partout en Europe - et ailleurs -. La nécessité de réfléchir à une solution collective. C'est cette réflexion qui s'installe dans la tête de la jeune Catarina, prise entre l'héritage familial qui consiste à tuer par pur instinct de vengeance et la voie démocratique qui ne suffit plus. Dans cette pièce, le dramaturge portugais offre de véritables moments poétiques - l'image des hirondelles - parfois chantés - qui vont jusqu'à provoquer des frissons -. Mais il laisse aussi s'échapper quelques lenteurs - le véganisme de la soeur de sa protagoniste pour n'en citer qu'une - qui viennent parasiter le contenu, la conviction profonde sans jamais malheureusement questionner les obscures raisons d'une telle fascisation. La troupe - composée de 8 comédiens - porte en elle la beauté du texte et les respirations nécessaires, dans un jeu excellent.
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© Léa Goujon |
Ce soir-là - et apparemment d'autres soirs -, le spectacle se regardait également dans le public... Les 30 dernières minutes sont consacrées au discours du fasciste libéré -
Romeu Costa -. Trente minutes de monologue identitaire. Trente minutes sans aucune contradiction si ce n'est celle d'un public écœuré. Fusent alors les huées, les sifflements, les jets de programmes de salle transformés en boulettes de papier... Dans un registre plus absurde et plus dangereux, une basket a été lancée sans heurter le comédien qui restera droit, imperturbable, pro jusqu'au bout. L'Internationale sera entonnée par quelques uns. D'autres seront entre la surprise et l'indignation causées par leurs alter egos spectateurs. Le public de théâtre est convaincu de ce qu'avance
Tiago Rodrigues mais s'est-il mis à exprimer son ras-le-bol ? Ce soulèvement était-il nécessaire pendant la représentation ? Non, certainement pas. A bon entendeur, libre à nous de le faire vivre en dehors des salles de théâtre.