La mélancolie des dragons @Centre Pompidou, le 10 Décembre 2023

Philippe Quesne est revenu avec sa création La mélancolie des dragons. L'hiver s'installe progressivement à Paris mais la neige n'est toujours pas là. Le plasticien la fera venir à nous. Comment raconter ce spectacle unique en son genre ? Hommage à nos rêves de grands enfants ? Mais n'est-ce pas là une définition même des spectacles de Quesne

© Pierre Grosbois

Imaginez un plateau enneigé. Une Citroën AX qui tombe en panne à laquelle est rattachée une remorque. Des hard-rockeurs bien chevelus, des bières et un paquet de chips. Et un chien. Voilà on vous plante ce décor-là comme ça. Il y a aussi Isabelle à vélo qui n'a rien demandé et qui se retrouve là à les accueillir un peu par la force des choses. Et sous ses yeux ébahis vont naître des attractions d'un parc à thème. Machine à bulles, vapeur, des perruques suspendues, une bibliothèque - où l'on trouve du Artaud -, un vidéoprojecteur ou encore des bâches gonflables, un rien suffit à créer une attraction. Finalement c'est ça l'élément central : la conception en temps réel d'un parc d'attractions pour le moins éphémères. 

Les hard-rockeurs échoués semblent surtout être de grands enfants qui s'émerveillent de leur création. Comme toujours chez Quesne, les dialogues et les situations sont parfaitement absurdes. Ici, on sourit à chaque "Regarde Isabelle !".  Dans la salle, nous sommes tous des Isabelle. Et on jouera le jeu jusqu'au bout. 

Extinction @Théâtre de la Ville, le 05 Décembre 2023

Il faut toujours un peu de temps pour se remettre d'un spectacle de Julien Gosselin. Il est vrai que pour Extinction, on a peut-être exagéré un peu pour revenir sur le spectacle mais voilà. Les mots sont désormais posés. Retrouver les murs du Théâtre de la Ville pour un grand spectacle, c'est chose faite. 

© Simon Gosselin

Après avoir osé un spectacle où les répliques se lisent en autotune, le jeune metteur en scène et sa compagnie nous embarquent au milieu des acteurs à même le plateau. La foule d'aventuriers spectateurs est sur le plateau, s'ambiance sur fond de musique techno noire très organique - la voix de l'incontournable Victoria Quesnel -. Pour ceux restés dans les traditionnels fauteuils, projection des danseurs-figurants à l'écran avec pour seule énigmatique légende "Roma Décembre 1983" après Extinction. Les comédiennes Rosa Lembeck et Victoria Quesnel se chercheront à travers la foule et échangeront quelques répliques. 

De figurants-acteurs, ils seront renvoyés à leur statut premier de spectateurs pour la deuxième partie, plus massive, plus dense. Le plateau est désormais une maison mais le nordiste conserve à nouveau le mystère en ne laissant rien de visible. On ne verra que la façade. L'intérieur se dévoile sur les écrans dans des images en noir et blanc. La scène ne se déroule plus à Rome, mais à Vienne. Nous ne sommes plus en 1983 mais en 1910. On parle culture, peinture et littérature dans le salon pendant que d'autres s'adonnent à la luxure. Ce petit monde extravagant, masqué se livre doucement à la création d'un régime fasciste. Un poison qui affecte lentement mais massivement. C'est le temps de l'apocalypse joyeuse. C'est ce qui fait la beauté saisissante de ce spectacle. Le noir et l'or ont toujours fait bon ménage - n'y voyez pas une allusion au volume de Tintin au pays de l'or noir, il n'en est rien -. Gosselin et sa bande (Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Victoria Quesnel et Maxence Vandevelde) associée à la Volksbühne de Berlin (Rosa Lembeck, Marie Rosa Tietjen, Max Von Mechown et Zarah Kofler) font un incroyable travail d'adaptation pour que l'on assiste à un grand moment de théâtre. La mise en abyme du théâtre dans le théâtre est une fois encore remarquable. On est toujours admiratifs des images des caméramen toujours au plus près des personnages, de leurs émotions. 

Cette deuxième partie s'achève sur un jeu de massacre réel. La fin, la vraie Extinction c'est celle qui sera interprétée par Rosa Lembeck qui s'empare des mots de Thomas Bernhard et nous embarque avec elle. Au-delà de la petite cinquantaine de personnes réunies - à nouveau spectacteurs - autour d'elle dans sa conférence, c'est la foule de spectateurs. Adresse à l'humanité toute entière. Rappelons nous du passé, pour mieux bâtir demain. 




Orphelins @Théâtre de Belleville, le 03 Décembre 2023

C'est officiel : on ne se lassera jamais des créations du collectif normand La Cohue. S'ils l'avaient déjà joué, on n'avait pas pu s'y rendre, voilà que nous nous rattrapons. 

A peine entrés dans la salle, le collectif nous propose un tri-frontal. Nous choisissons de nous positionner de manière classique. Il n'empêche que je serai prise à partie indirectement : ma voisine a le même prénom que moi. Au premier plan, une table de cuisine sur laquelle est posée une enceinte portative, deux chaises de part et d'autre. Un peu plus loin, un élément surplombé d'un four micro-ondes et d'une cafetière. La narratrice (Loreleï Vauclin) se fond dans le décor mais elle est bien là physiquement devant son ordinateur et vocalement. 

© Virginie Meigne

Alors que Danny (Julien Girard) et Helen (Sophie Lebrun) se retrouvent pour un dîner en amoureux, Liam (Martin Legros) - le frère d'Helen - débarque.  Il porte un tee-shirt ensanglanté. Du sang qui ne lui appartient pas. Son discours est confus. La soirée prend une toute autre tournure. 

Deux éléments sont ici particulièrement forts : la volontaire lecture des didascalies et le travail autour du son - notamment quand Liam mange -.  Le dispositif scénique force le public à intégrer le conflit en créant du trouble en jouant sur la fiction et le réel - la pause interroge -. La tension qui anime chacun des personnages est ressentie au plus près. Un huis clos duquel on ne veut pas sortir tant que ne sera pas clarifiée la situation. Les regards, les gestes tout se ressent plus fort. 

Martin Legros incarne remarquablement bien le désorienté Liam tant dans sa diction que dans ses gestes confus, il créée l'illusion parfaite. Le duo Girard/Lebrun ne reste pas à la marge, bien au contraire, il amplifie l'angoisse jusqu'à révéler le monstrueux.