Playland @Comédie Saint-Michel, le 30 Novembre 2019


Amateurs de mime, ce spectacle est fait pour vous (et vos enfants). Sans aucun un mot - ou de simples onomatopées -, Boutros El Amari embarque avec lui les spectateurs dans un voyage incroyable dans sa console de jeux. Son personnage, qu'il a choisi de nommer Play, aux allures de lutin adulte se retrouve propulsé dans tous les jeux qui ont fait - ou font - l'enfance des spectateurs : ZeldaMario KartFinal FantasyStarwars...

Pendant une heure, l'artiste transpose plusieurs univers fantastiques sur un plateau vide sur lequel seuls les jeux de lumière et les bruits - dont la grande majorité (hors musique) sont recréés en direct par le comédien - font office de décor. C'est ce côté "avec presque rien" qui séduit ici. Avec une énergie folle, El Amari livre un spectacle familial tantôt poétique tantôt profondément clownesque. L'exercice est bluffant et réjouissant.

La magie lente @Théâtre Paris Villette, le 26 Novembre 2019



Âmes sensibles s'abstenir. La magie lente est un seul en scène dérangeant. Une descente aux enfers pour remonter vers la lumière, le récit d'un homme cassé qui tente de se réparer. Cassé ? Ou même brisé, "fragilisé" ne serait qu'un faible mot. 

Benoit Giros interprète essentiellement deux rôles - qui parfois peuvent donner l'impression de se confondre - : celui d'un psychanalyste et celui du patient, Louvier. Ce père de famille a été diagnostiqué schizophrène. Un diagnostic qui ne lui convient absolument pas. Il part à la recherche d'un nouveau thérapeute pour tenter de le guérir. Nous, spectateurs, devenons temporairement confrères et assistons à l'intégralité de sa thérapie avec le nouveau spécialiste, plongeons avec lui dans les eaux troubles du mal. 

La situation est complexe : Louvier se sent épié et touché partout où il va. Surtout dans le métro, où il entend des voix, a des hallucinations. En apparence, il s'agit de paranoïa. Les calmants prescrits par le précédent psychiatre s'avèrent inefficaces. Le thérapeute comprend que son confrère s'est lourdement trompé tant au niveau du traitement qu'au niveau du trouble. Et puis, au-delà de ça, la thérapie devient une véritable quête identitaire. 

Douceur et crudité - sans pour autant tomber dans la vulgarité - sont les maîtres mots de ce texte percutant que signe Denis Lachaud. Pierre Notte choisit de faire jouer son comédien sur un plateau très dépouillé - quelques chaises, un stylo de conférencier, un bureau équipé d'un ordinateur, une table sur laquelle sont posées des carafes d'eau suffisent à meubler l'espace scénique -. Benoit Giros livre un jeu puissant, intense en émotions et au plus juste. Le jeu de lumières d'Eric Schoenzetter s'accorde avec les états de Louvier, on garde en tête l'image des moments lumineux de la thérapie et les phases les plus obscures lorsque Louvier raconte les faits au passé. Il faut patienter quelques minutes avant de saluer la prestation brillante tant on peut être sonné, bouleversé par le propos. 


La Vita Nuova @Grande Halle de la Villette, le 23 Novembre 2019


© Veerle Vercauteren
Et un format - très - court pour le faiseur d'images italien Romeo Castellucci, un ! La proposition du touche à tout est une création d'un peu moins d'une heure investit l'immense espace qu'est la grande halle de la Villette. Il l'intitulera La Vita Nuova.

Les spectateurs sont conviés à pénétrer dans ce qui s'apparente à un immense parking où pas moins d'une trentaine de véhicules sont recouverts d'une bâche blanche. Les ternes néons crépitent. Bruits industriels et chants d'oiseaux cohabitent. Un corbeau croisse. Un homme noir vêtu d'une combinaison blanche - gage de pureté ? - façon mécano émerge. Il remplacera la combinaison par une toge de la même couleur. Quatre autres hommes vêtus à l'identique, perchés sur de hauts talons, le rejoignent. Un rituel est-il en cours ? Au son des cloches, les hommes circulent dans ce garage tels des bergers guideraient leurs bestiaux. Célébration d'une messe futuriste; ils soulèvent et renversent une voiture. Laissant apparaître successivement un buste blanc, un crâne rouge et des oranges.

La parole ne sera que très peu présente dans cette performance. Obscure, elle interroge l'art mais platement. Les métaphores sont intéressantes mais insuffisantes. C'est principalement la forme qu'il faudra retenir, qui peut, par certains aspects, rappeler le film fleuve de Matthew Barney River of Fundament. Castellucci réussit ses images. Bien qu'il ne cherche pas à communiquer une réponse particulière ni à orienter les spectateurs, le faiseur gagnerait à donner un peu plus de matière.   




Chewing-gum silence @Nouveau Théâtre de Montreuil, le 23 Novembre 2019

 © Eric Garault
Chewing-gum silence est une petite fable musicale fantaisiste dans la programmation du Festival d'Automne 2019.
Au Nouveau Théâtre de Montreuil, le multi-instrumentiste Antonin Tri Hoang s'est rapproché de Samuel Acache pour proposer un drôle de spectacle autour du concept de ver d'oreille. Comment définir le ver d'oreille ? Très simplement ; une mélodie ou suite de notes qui reste coincée dans la tête. On dit que mâcher du chewing-gum serait le moyen de s'en débarrasser. Antonin Tri Hoang s'est entouré pour l'occasion de Jeanne Susin et Thibault Perriard afin de concocter un spectacle tout public qui laisse une grande place à la musique.

Irène, l'héroïne - jouée par Jeanne Susin - a perdu sa mélodie pour dormir. Elle se rend dans une sorte de hangar souterrain, le Centre de traitement des mélodies, où sont conservées toutes les mélodies. Elles-mêmes sont, comme des archives, stockées dans des cartons. Suite à une fausse manipulation, elle déclenche une alarme. Le duo farfelu Michel et Michel - Antonin Tri Hoang et Thibault Perriard - arrive à sa rescousse. Le spectacle joue globalement sur le terrain de l'absurde.

Ensemble, les trois protagonistes redécouvrent, déstructurent, revisitent les mélodies à l'aide d'un piano, une batterie, un saxophone, une clarinette et leurs voix. Tantôt jazzy, tantôt improvisées, les mélodies deviennent des petites pièces d'un jeu de poupées russes. Elles s'imbriquent les unes dans les autres. Dans cette même ambiance du jeu, on pense aussi à Cache-cache. Le trio construit un univers fantasque qui séduit aussi bien le plus jeune public que les parents et offre, avec pédagogie, une courte initiation à la musique.

Je crois que dehors c'est le printemps @Monfort Théâtre, le 20 Novembre 2019


Et si le public devenait un personnage à part entière ? C'est le curieux dispositif qu'ont choisi Gaia Saitta et Barberio Corsetti ; accueillir les spectateurs comme des invités, en sélectionner six et les faire intervenir sur le plateau. Ce dernier est tout en sobriété ; 6 chaises éparpillées de part et d'autre, un bureau mobile sur roulettes et une caméra.

Gaia Saitta se positionne au centre du plateau. Irina revient sur l'inexplicable comportement de son ex mari, Matthias, aujourd'hui disparu. Elle rassemble les pièces d'un puzzle, d'une énigme. Ca commence par des questions notées sur des post-its, objets qui l'ont tourmentée voire traumatisée pendant plusieurs années puis progressivement ce sont ses questions à ses invités pour tenter de comprendre sa douloureuse histoire.

En janvier 2011, l'ex mari d'Irina Lucidi enlève leurs jumelles, laisse une lettre annonçant la mort des petites. Avant de se donner la mort en se jetant sous un train sans laisser aucune trace des enfants. Aujourd'hui encore, les deux fillettes n'ont jamais été retrouvées. Ce n'est pas de la fiction, c'est un réel fait divers. Tragique. Irina Lucidi a choisi de se confier, en 2016, à la journaliste Concita De Gregorio qui a recueilli ses confessions dans un roman qu'elle intitulera "Je crois que dehors c'est le printemps" - en version originale "Mi sa che fuori è primavera" -. C'est ce dernier qui inspirera la pièce.

Pour adapter ce spectacle Gaita Saitta et Barberio Corsetti ont choisi à juste titre de ne pas se restreindre à une seule approche du sujet. Il fallait donc le raconter et aller au-delà, questionner les protagonistes. Ce sont ces derniers que camperont les heureux élus "spectacteurs". Emus, certains peuvent aller jusqu'à donner la réplique à la comédienne. Ceux qui semblaient indifférents presque vidés d'empathie dans le récit d'Irina deviennent des êtres touchés, compatissants mis en lumière. La grand-mère, l'amie, la psy, le juge, le gendarme, le journaliste, le nouvel amour... Ils sont tous là.

Gaia Saitta incarne comme si l'histoire devenait la sienne, porte sur ses épaules le poids de la tragédie d'Irina Lucidi - à qui elle dédie chacune des représentations -, la douleur se lit dans ses yeux larmoyants à certains moments. La détermination et le courage de la femme la muscle. Je crois que dehors c'est le printemps est un spectacle poignant et qui invite à redécouvrir le rapport spectacle-spectateurs.





Change me @Théâtre Paris Villette, le 19 Novembre 2019


 © Benjamin Porée
Un petit bout de salle de bains côté jardin, une voiture en premier plan. Côté cour, un canapé, une table basse et un écran de télévision. En fond de plateau, une caméra branchée fonctionnelle.

Le spectacle s'ouvre sur la préparation d'Axel. Un son hip-hop sort du poste de radio posé en équilibre sur le placard-miroir au-dessus du lavabo. Routine de soirée : l'ado se rase, effectue quelque pas de danse, se peigne et s'habille. Sa mère débarque en coup de vent pour se maquiller, lui laisser son cadeau d'anniversaire avant de filer travailler. Une dispute éclate. A cet âge-là, ça semble normal. Les propos sont violents. Certains d'entre eux mettent en cause un père, absent ; "S'il n'y avait pas eu de connard, y aurait pas eu ta gueule". La relation mère-fille est tendue.

Pour sa soirée d'anniversaire, la bande de potes se retrouve sur le canapé avec la musique à plein volume. Dans le petit salon familial, les cadavres de paquets de chips rejoignent les restes de pizzas éparpillés dans le salon et les étranges mixtures alcoolisées remplissent les gosiers adolescents. Une ambiance de jeunes fêtards en somme qui s'amusent comme ils peuvent. Tout ce petit monde ne sait rien du secret d'Axel. C'est face caméra comme une audition au commissariat qu'ils se racontent, témoignent de leurs sentiments pour Axel après le drame. C'est finalement dans la voiture que toute l'intensité dramatique se concentre. Et c'est dans ce même véhicule que les vers d'Ovide s'échangeront avec beaucoup d'émotions et que la violence explosera. Cette dernière aura beau être invisible, elle est inouïe.

Axel est interprétée avec brio par Camille Bernon - qui co-signe la mise en scène aux côtés de Simon Bourgade -, a des allures de Laure l'héroïne du film Tomboy en brune. La comédienne touche par sa justesse et la rigueur qu'elle impose tant dans son jeu que dans sa direction. Ses compagnons de jeu la suivent ; Pauline Bolcatto qui alterne le rôle de la mère désemparée et de l'amie bimbo Stéphanie, l'émouvante Léna sera jouée par Pauline Briand et les deux bourreaux sont campés par Mathieu Metral et Baptiste Chabauty.

Le mélange des alexandrins d'Ovide, du texte d'Isaac de Benserade et des morceaux de vie de Brandon Teena permet d'offrir une intrigue qui tient en haleine : comment vont-ils découvrir le secret, comment vont-ils le prendre... Jouer sur l'invisible c'est aussi une manière plus forte de frapper. Jouer avec les sons pour laisser l'inconscient fonctionner. Et finir sur une image magnifique du corps pailleté, scintillant d'Axel dans les bras de sa mère. C'est aussi à l'image de nos jours, la violence existe, on ne la voit pas nécessairement sous nos yeux mais on voit les conséquences tragiques, on entend les témoignages. 

Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge @Théâtre national de la Colline, le 15 Novembre 2019


© Simon Gosselin
Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge c'est l'histoire d'Alice. Le chanteur dans la force de l'âge c'est lui, c'est Arthur H. Y a son entourage proche ; sa compagne Majda - Sara Llorca -, son attachée de presse Daphné que tout le monde prend plaisir à surnommer Diesel - Isabelle Lafon -, son ancien agent, Faustin - Patrick Le Mauff -. Y a ceux qui le font vivre dans la lumière : Anthime, un journaliste - Gilles David de la Comédie-Française -, une fan canadienne de la première heure qui fera le voyage, Nancy - Marie-Josée Bastien en alternance avec Linda Laplante - et son suiveur de l'ombre; Humbert - Pascal Humbert - et Jocelyn Lagarrigue. Oui. Ca en fait du monde sur le plateau !

Le spectacle s'ouvre sur Alice en plein concert. Il nous tourne le dos. Pendant que d'autres, les hommes et femmes de l'ombre, s'activent dans les coulisses. On retrouve Diesel et Anthime en train de finaliser les derniers préparatifs d'une interview qui se devra d'être courte parce qu'Alice est claqué. Pour couronner le tout, il a quelques problèmes d'estomac. Rien de grave. Juste embarrassant. L'interview est un exercice auquel il a beau être habitué, il n'en est pas des plus friand. Anthime l'interroge sur son rapport au monde qui l'entoure en vue d'un prochain concert au Bataclan, le 13 novembre. Alice n'en pense presque rien. A vrai dire, il ne se sent pas légitime pour commenter parce qu'il n'est pas plus connaisseur qu'un autre. Peu convaincu, Anthime ne s'étend pas et respecte le temps imparti. Au sortir de cet entretien, Alice tombe sur son ancien agent, qui regrette ce que l'artiste est devenu.

Résultat des courses : le papier est mauvais. Anthime l'a descendu, ne comprenant pas cette absence d'empathie. Et ne regrette rien si ce n'est que c'était son dernier papier avant sa retraite. Alice est un peu affecté. Il décide de contacter Faustin. Qui trouve une idée de génie : orchestrer sa mort pour le faire renaître et "niquer" le système. S'en suivra une flopée de péripéties dont nous ne dévoilerons rien de plus ici.

Le fond du texte de Mouawad est intéressant pour qui veut entendre une critique de l'industrie musicale - extensible au marché culturel - peut-être un peu facile. Elle présentera l'avantage d'être accessible à tous. L'aventure dans laquelle il nous embarque est bien vivante, poétique de temps à autre, rythmée mais qui peut basculer dans le surplus inutile (cf. scène chamanique). Servi par un casting globalement satisfaisant - à la légère exception d'Isabelle Lafon qui se fait peut-être trop caricaturale et peu naturelle par moment s'opposant nettement à une réjouissante Marie-Josée Bastien, Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge reste un spectacle appréciable pour son côté divertissant. 

On s'en va @Théâtre National de Chaillot, le 14 Novembre 2019


© Magda Hueckel
Le nom du spectacle pouvait s'interpréter comme un mot d'ordre. Nous ne l'avons pas entendu ainsi. Même si l'entracte pouvait se faire tentateur. Finalement rien. Pas un mouvement. Ou alors, un. Un pas en avant pour gagner une place plus près.

Sexe, bridge et mort sont les maîtres mots de cette adaptation de Sur les valises, comédie en huit enterrements du dramaturge israélien Hanokh Levin et signent le retour haut en couleurs du metteur en scène polonais Krysztof Warlikowski. Les 19 comédiens de l'homme de théâtre fouleront les planches du Théâtre National de Chaillot pendant 4 soirs. 

L'immense décor est loin d'être fixe : salle de cinéma, salon, aéroport, cabaret, bar ou encore salle de gym habillent le plateau central. Dans le fond un mur de portes vitrées abritent un crématorium d'où lequel dépasse un écran montrant un visage auréolé. En retrait côté cour, des toilettes publics sordides. Ce sont dans tous ces endroits que cinq familles s'agiteront, tous avec la même aspiration : partir. Leur agitation est rythmée par les disparitions progressives des personnages façon Dix petits nègres. Pendant que d'autres s'adonnent à la luxure. Parfois, le sexe et la mort cohabitent.  

Warlikowski et sa troupe livrent un cocktail pour le moins extravagant qui s'attache à conserver le goût du plus dramatique et celui du plus absurde. Les courtes scènes de vie caustiques où valsent vieux et jeunes s'enchaînent. L'ambiance glauque s'entiche d'un ailleurs différent, meilleur. En dehors de quelques lenteurs - causées sans doute par le temps de lecture des sur-titres -, le directeur du Nowy Teatr de Varsovie signe une création riche, débridée et grinçante. 

La dernière bande @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 08 Novembre 2019


On prend les mêmes et on recommence. A peu de choses près. On reprend le duo Denis Lavant/Jacques Osinski, un auteur ; Beckett et un lieu : l'Athénée - Louis Jouvert. Cette fois-ci, place à La dernière bande.

De nouveau plongés dans l'obscurité, les spectateurs font face à un bureau métallique central sur lequel des cartons numérotés en chiffres romains sont empilés. Au centre du bureau, l'objet de toutes les attentions : le magnéto. Denis Lavant est assis. Il ne fait rien, n'articule aucun mot. Pas même un soupir. Le silence habite les lieux. Et, soudainement, le voilà qui souffle, se palpe jusqu'à trouver une montre qu'il regardera de près puis un jeu de clés. Les voilà qui font un cliquetis, il y a désormais de la vie. Il ouvre les tiroirs un à un. L'un d'entre eux couvait une banane. Le comédien la pèle, la consomme, jette la peau. C'est sur cette dernière qu'il glissera de façon clownesque. Les gestes se répètent.

Puis il finit par mettre la main sur ce qui donna naissance au titre de la pièce ; la dernière bande, la bande 5 de la boîte 3. Le comédien se surprend à savourer le mot "bobine" qu'il prononcera à plusieurs reprises en direct, en prenant soin de détacher l'intégralité des syllabes. Ses gestes, ses déplacements, ses grimaces sont de la poésie à l'état brut. Une poésie de clown blanc qui revisite son passé. La partition est émouvante, exigeante et pour le moins saisissante. 

Les Mille et Une Nuits @Théâtre de l'Odéon, le 07 Novembre 2019


Les spectateurs entrent progressivement dans la salle pendant que sur le plateau les comédiennes vêtues de robes de mariée blanches sont déjà en train de patienter dans une salle d'attente au carrelage d'inspiration orientale. Au centre, une grande porte au-dessus de laquelle deux voyants : un rouge, un vert. Quand celui-ci passe au vert, une épouse monte vers la chambre de noces. La grande porte s'ouvre et laisse entrevoir des escaliers où le sang dégouline fraîchement à chaque passage. Le conte d'ouverture sera donc le plus sordide. 

Et les histoires se succèdent, s'imbriquent les unes dans les autres sans brusque transition. Guillaume Vincent créée des tableaux mêlant culture orientale et occidentale. La culture orientale s'illustre notamment par la musique, interprétée en direct au oud par  Florian Baron. L'homme de théâtre va même au-delà de sa sélection de contes en choisissant de revenir sur la venue en de la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum à Paris pour son célèbre concert parisien de 1967 à l'Olympia. Les époques dialoguent entre elles, se mélangent pour mieux se comprendre.

Le décor est imposant aussi bien par sa taille que par son apparence scintillante. François Gauthier-Lafaye qui signe la scénographie semble s'être amusé avec la multitude de rideaux, créant toujours plus d'espaces de jeu. Si par moment, le spectacle s'étire un peu, les onze comédiens offrent un jeu généreux où ils partagent une grande diversité des registres que leur imposent les contes sans exclusivement être "coincé" dans un genre selon le personnage interprété. Ce qui permet aux spectateurs d'apprécier le jeu varié de chacun. Guillaume Vincent signe ici une adaptation poétique et résolument contemporaine des contes.


Nous sommes repus mais pas repentis @Théâtre Monfort, le 06 Novembre 2019


Séverine Chavrier et ses comédiens investissent la grande salle du Monfort pour quelques jours. La metteur en scène couteau-suisse (comédienne et musicienne pendant le spectacle) s'est emparée du texte de l'autrichien Thomas Bernhard Déjeuner chez Wittgenstein qu'elle titre Nous sommes repus mais pas repentis. Et le moins qu'on puisse dire c'est que ça déménage !

La vaisselle n'a plus le temps de voltiger. D'entrée de jeu, elle tapisse le sol du plateau. Les débris ne cesseront de résonner sous les bottes d'inspiration militaire de la délirante fratrie Wittgenstein. Une imposante bibliothèque trouve sa place côté cour, elle est accompagnée d'une platine avec des vinyles qui ne manqueront pas, à leurs tours, d'être éparpillés façon puzzle. Côté jardin, un piano à queue sur lequel est posé un renard naturalisé. Au centre, la table sur laquelle le service en porcelaine résistant est disposé. Dans le fond du plateau, les trois lits. Alignés comme dans un dortoir, ils sont le souvenir d'une enfance qui se meurt.

C'est le frère - Laurent Papot - qui débarque le premier sur le plateau et le ton est donné ; il porte un escabeau pour se rendre à la bibliothèque, le malheureux zigzague, manque de faire chavirer le reste du décor, tangue une fois en haut. Pour redescendre rapidement tout aussi maladroitement. Par moment, il étend les deux bouts de l'escabeau comme il déploierait des ailes pour s'échapper. Ritter et Dene ne tarderont pas à le rejoindre - Séverine Chavrier elle-même et Marie Bos -. Cette poésie surgit de temps à autre, entre deux tableaux cauchemardesques, lorsque les comédiens se figent comme si des diapositives défilaient.

Le trio de choc s'affronte un peu moins de trois heures de spectacle où tragédie, cruauté et clowneries se mélangent délicieusement. Comme ils disent, ils ne sont pas des les enfants de leurs parents, juste une conjuration.  Laurent Papot offre un Voss totalement déluré et presque sauvage tant dans son comportement que dans sa démarche. Séverine Chavrier pourrait être la plus posée des trois mais elle aussi est une victime de névroses familiales. Quant à Marie Bos, elle livre une partition touchante. Tous les trois sont brillants, habités par le sublime chaos. Le tout agrémenté d'une utilisation à bon escient de la vidéo en fond où le traumatisme du nazisme, l'autorité du père resurgit. Et puis, il y a la musique de Wagner, que Voss déteste tant, qui n'est jamais très loin.