Toute nue @Théâtre Paris Villette, le 28 Février 2020



Mélange très à propos que celui de Georges Feydeau Mais n'te promène donc pas toute nue et de morceaux choisis de plusieurs textes du dramaturge suédois Lars Norén (La Veillée, Détails, Démons et Munich-Athènes), Toute nue d'Émilie Anna Maillet une création féroce et très ancrée dans le XXIème siècle.

Ventroux - Sébastien Lalanne - est un homme politique. Député, il est promis à un avenir de Ministre de la Marine. Il n'hésite pas à utiliser l'image de son couple pour gagner la confiance de l'opinion publique. On n'imagine jamais vraiment tout ce que les politiques sont prêts à faire pour une place au soleil. Ventroux, lui, a choisi de mettre sa vie de couple au premier plan. Jusqu'à ce que Clarisse, son épouse - Marion Suzanne - se rebelle. Son mode opératoire ? S'afficher nue partout. A la maison, devant le domestique, devant les journalistes, devant les autres politiques ; par-tout ! Clarisse joue la carte d'une résistance insolente. "Résiste. Prouve que tu existes." chantait France Gall. Et progressivement, elle ruine l'image de son mari qui n'a pas hésité à l'utiliser, jusqu'ici, comme un simple outil de communication.

Fantastique duo que Sébastien Lalanne et Marion Suzanne dans cette pièce rythmée en direct par la batterie de François Merville - qui interprète également le domestique du couple -. Tout se joue sur le plateau et en dehors. Les moments les plus glaçants sont tournés hors champs par l'intermédiaire de la caméra du journaliste du Figaro - interprété par Simon Terrenoire -. Initialement venu interviewer Ventroux sur "la politique en général", il se retrouve à filmer le couple dans son intimité, récupérant ainsi des images qu'il qualifiera de "pimpantes".  Entre courses poursuites et joutes verbales, Sébastien Lalanne et Denis Lejeune - qui incarne ici le maire Hochepaix - offrent de savoureux moments clownesques. Si on ne devait en retenir qu'une, la scène du "hop hop hop" est un bijou. Le tout est orchestré dans une scénographie pertinente conçue par Benjamin Gabrié où l'on imagine toutes les pièces de la maison. Le théâtre utilisé dans ses moindres recoins et l'usage de la vidéo projetée sur les parois est judicieux. On notera également un superbe travail avec l'eau dans tous les sens, illustrant à merveille l'expression de "l'arroseur arrosé".






Les Témoins @Manufacture des Abbesses, le 14 Février 2020


Dans ce nouveau spectacle, le metteur en scène Yann Reuzeau et sa bande nous font découvrir les coulisses de la rédaction du journal Les Témoins - qui donnera son nom à la pièce -  à l'heure où l'extrême droite est arrivée au pouvoir. La ligne éditoriale des Témoins est claire : raconter les faits, rien que les faits. Mais peut-on toujours rester neutre à partir du moment où la démocratie se fragilise ? 

Le spectacle s'ouvre sur une conférence de rédaction durant laquelle les journalistes échangent sur la couverture faisant suite aux résultats des élections. Tous s'agitent dans tous les sens. La neutralité prônée semble mise à mal. Chacun expose sa vision : changer la ligne éditoriale, résister... Il faut choisir. Comme le dit l'adage, choisir c'est renoncer et renoncer ce n'est pas choisir. Les six journalistes de la rédaction se divisent. Plus les jours passent, plus les conflits internes s'intensifient. Le coup de grâce : une loi liberticide. La rédaction se trouve prise dans une spirale infernale.

Yann Reuzeau et son collectif signent ici une pièce richement documentée, bien écrite et, surtout, rythmée. Cette dystopie nous rappelle un certain 1984 Big Brother vous regarde mis en scène, il y a quelques années, par Sébastien Jeannerot au Théâtre de Ménilmontant. Elle nous tient en haleine et ce, jusqu'à l'ultime minute. Jouant habilement avec les projections vidéos en temps réel, les projections des unes, le "back office" du journal, ils nous embarquent avec eux jusqu'au bout. Les six comédiens sont dans un jeu plein d'énergie dans un espace scénique étroit, le dispositif est pensé de façon à nous faire imaginer différents lieux sans nécessairement changer l'intégralité du décor et progressivement, les spectateurs se retrouvent à assister à sa destruction. 

La nuit des rois ou Tout ce que vous voulez @Comédie Française, le 05 Février 2020


© Jean-Louis Fernandez, collection Comédie-Française
Pièce festive que La nuit des rois ou Tout ce que vous voulez à la Comédie Française. Une adaptation pour le moins (dé)culottée, radicale du metteur en scène allemand très en vogue Thomas Ostermeier. Reprise pour la saison 2019-2020, la troupe du Français dynamite les conventions avec quelques clins d'oeil à l'actualité du moment (Corona virus, réforme des retraites...).Sur le plateau de la salle Richelieu, la terre d'Illyrie devient une espèce d'île au sable blanc où poussent quelques palmiers ici et là, un trône en pierre au centre sur lequel un duo de gorilles passera et un podium qui coupe en deux l'orchestre à hauteur des têtes des spectateurs. 

La nuit des rois est une pièce franchement comique autour des apparences et la confusion des sentiments. Viola (Georgia Scalliet), rescapée d'un naufrage dans lequel elle perd son jumeau Sébastien (Julien Frison) offre ses services au duc Orsino (Denis Podalydès) en devenant un homme. Elle se renommera Césario pour l'occasion. Il s'avère que son maître est fou amoureux de la comtesse Olivia (Adeline d'Hermy). Sentiment que cette dernière ne semble pas partager. En revanche, le jeune page ne semble pas l'avoir laissée indifférente. Son entourage de bouffons semble comprendre ce qui se trame. Marie (Anna Cervinka), Sir Andrew Gueule de Fièvre (Christophe Montenez), Feste (Stéphane Varupenne) et Sir Toby Haut LeCoeur (Laurent Stocker) vont donc s'en mêler de très près. Un quatuor hilarant. 

© Jean-Louis Fernandez
Au-delà d'un texte intelligemment mis à jour, les comédiens offrent un jeu particulièrement réjouissant. Le quatuor de fous est  sans doute le plus savoureux. On tombera sous le charme d'un Christophe Montenez en véritable punk clown déglingo dans une espèce de grenouillère blanche qui est suivi de très près par un Stéphane Varupenne très en forme. Il nous avait marqué chez Pascal Rambert, Denis Podalydès brille cette fois en tyran romantique. Georgia Scalliet est particulièrement touchante  en Viola-Césario. L'ensemble de la troupe est excellent. Faire ce billet sans un mot sur les costumes n'a pas de sens alors nous nous attarderons un peu sur ce parti-pris culotté : le travestissement s'illustre ici par notamment l'absence de pantalon. Place aux petites tenues ; string, dentelles noires, bas ors aux jarretières noires avec une espèce de slip à la couleur rappelant les bas. Jugés choquant pour certains, délirant pour une grande majorité d'autres, ce choix ne peut laisser indifférent. La nuit des rois signée Ostermeier c'est approuvé ! 


Je dédie ce billet à Axel, sans qui je n'aurais pas pu voir ce spectacle !