Cap au pire @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 19 Avril 2019


© Pierre Grosbois
Lentement et en silence, il entre sur le plateau. Ses pieds sont nus. Il se poste sur cette unique dalle lumineuse. On distingue ses traits, ses mains et rien d'autre. Denis Lavant nous accueille avec son timbre de voix si singulier. Cap au pire mis en scène par Jacques Osinski se révèle être une performance de haute voltige. Plus personne ne bouge, pas un seul battement de cil, Denis Lavant captive immédiatement.

Le public est en équilibre avec le comédien. Ses silences, la variation des intonations, chaque son est un mouvement risqué, un instant fragile. Comme si tout pouvait s'écrouler si l'homme de théâtre osait, par malheur, quitter la dalle. Bras le long du corps, Lavant est immobile. Seule sa bouche, à peine visible, s'anime. Dans le fond, les quelques petites lueurs de Catherine Verheyde apparaissent telles des lucioles orangées dans la nuit. Le rythme est lent et les respirations sont déstabilisantes. Équivoque, le texte de Beckett est complexe, sombre et Lavant envoûte en offrant une véritable performance linguistique.









La Trilogie de la vengeance @Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier, le 16 Avril 2019


© Elisabeth Carecchio
Le metteur en scène associé Simon Stone a posé ses imposants décors aux Ateliers Berthier pour y proposer sa création  La Trilogie de la vengeance. Très attendue, la grande première a souffert de quelques décalages, suscitant presque l'impatience mais surtout la curiosité ; pourquoi autant de retard ? De ce qui a été dit, il semblerait que l'écriture de plateau y soit un peu pour quelque chose. Le résultat final est pour le moins grandiose. 

Oubliez la règle des trois unités - pour les non initiés, dans le théâtre classique on compte trois unités : unité de lieu, unité d'action et unité de temps -, on est bel et bien dans le théâtre contemporain au point d'embarquer dans trois salles avec trois ambiances. Divisé en trois groupes, le public change de salle à chaque entracte et découvre une chronologie différente pour reconstituer le puzzle que représente l'intrigue. Le nôtre ici démarrait au bureau pour se poursuivre au restaurant chinois et se terminait à l'hôtel. 

Simon Stone, figure montante du théâtre contemporain remet le couvert en s'entourant d'un casting alléchant et pour le moins éblouissant : Adèle Exarchopoulos, Pauline Lorillard, Valeria Bruni-Tedeschi, Eye HaïdaraServane Ducorps, Alison ValenceNathalie Richard, Eric Caravaca et Benjamin Zeitoun. S'il y avait bien une décision à prendre, c'était celle d'aller les voir.  Le metteur en scène australo-suisse puise son inspiration d'un quatuor de textes anciens : Dommage qu'elle soit une putain de John Ford (1625), The Changeling de Thomas Middleton et William Rowley (1622), Titus Andronicus de William Shakespeare (1594) et Fuenteovejuna  de Lope de la Vega (1619). Ces quatre tragédies ont en commun d'être particulièrement violentes voire sanglantes.

On saluera ici les prouesses techniques de toutes les équipes. Le casting rempli de promesses se révèle être largement à la hauteur du projet avec une mention spéciale à Eye Haïdara qui, blessée au pied est parvenue à enchaîner les changements de plateaux et à conserver un rythme fou. Eric Caravaca est un parfait mâle toxique et manipulateur. Toujours bourreau ; tantôt père, tantôt fils. Sans dévoiler leurs rôles - qui varient en fonction du groupe auquel le spectateur est rattaché -, les comédiennes sont toutes satisfaisantes, hissées au rang d'héroïnes contemporaines. Au-delà d'un dispositif scénique complexe, le jeu séduit totalement. Si les classiques ne sont que sources d'inspiration, ils sont totalement réécrits, la langue n'est pas soutenue, elle est au plus proche du spectateur. A l'image de cette violence si saisissante.