Hate - Tentative de duo avec un cheval @Théâtre Nanterre-Amandiers, le 16 Septembre 2018


© HATE Dorothée THEBERT FILIGE

A l'heure où les individus s'échangent des messages, à l'heure des "clashes" audiovisuels, Laetitia Dosch tente un dialogue pour le moins inattendu avec un cheval au Théâtres des Amandiers, à Nanterre. Peu de choses sur le plateau : un immense rideau illustrant un paysage façon tableau romantique avec une forêt, la montagne et un lac. Parfois, c'est dans le fond du décor que Dosch va chercher des accessoires : un poste radio, une lampe, une tente Quechua et rien d'autre.



Oubliez les costumes ! Laetitia Dosch est nue - ou du moins ne porte qu'une paire de baskets pour déambuler dans l'espace terreux - et ne porte sur elle que deux accessoires : une banane contenant des carottes pour apprivoiser l'animal et une épée de bois.

C'en est presque enfantin. Ou cela s'inscrit dans la métaphore de s'exprimer franchement. Et puis, elle peut y aller sans crainte, l'animal ne la jugera pas : sa condition de femme, le célibat, les migrants de Calais, les gens, le temps qui passe... Elle se lâche. S'en suit un grand moment de tendresse avec son compagnon de jeu Corazon, elle lui déclare son amour, ils s'embrassent...
Elle émet son désir d'enfant. Mais pas l'enfant d'un homme. Non. Un enfant de l'animal.

Et là, l'animal sur ses quatre pattes se met à parler. Non, il ne hennit pas. Il a de la conversation. Dosch se fait doubleuse.Nous ne sommes plus dans la tentative d'un duo, le stade d'essai est passé, la voilà qui dialogue avec Corazon. Pendant leur échange, la jeune femme va jusqu'à improviser un rap. Une véritable complicité est en train de se créer entre ses êtres qu'absolument rien ne pouvait prédestiner à être aussi proches. Si le dispositif est poétique, le texte est volontairement naïf, léger mais ne transcende pas.
Là où on aurait voulu un engagement plus abouti, plus profond, l'utopie puérile règne.


Le Père @MC93, le 15 Septembre 2018


C'est dans une obscurité totale que sont accueillis les spectateurs. Grands ouverts ou fermés, les yeux ne perçoivent rien.
Un épais brouillard envahit la salle.

Après sa création fleuve 2 666Julien Gosselin revient au Festival d'Automne avec une adaptation du roman L'Homme Incertain de Stéphanie Chaillou. Dans un format nettement plus court et plus intime, il se recentre ici sur une performance de lecture brute en choisissant de confier le rôle titre à Laurent Sauvage.

Laurent Sauvage livre l'histoire d'un agriculteur qui a tout perdu. Les conséquences de la politique agricole commune (PAC) ont été particulièrement brutales. Crise de rage, crise de larmes d'un père à qui on a dit depuis l'enfance qu' "un homme doit savoir protéger sa famille". Mais quand tout bascule du jour au lendemain comment faire ? Comment raconter à ses enfants innocents qui posent des questions ? Est-ce qu'un homme peut planifier ses échecs ? Il ne cache pas ses émotions, se remet en question pour comprendre les raisons de son échec.

Sauvage incarne l'agriculteur avec fougue, on vibre avec lui. Les mots les plus simples dévorent les maux. Le Père est une pièce qui navigue entre les eaux troubles du doute, de la colère et de l'humiliation, le tout dans une scénographie obscure rappelant les ténèbres intérieurs dans lesquels Laurent Sauvage lutte pour retrouver la lumière. Guillaume Bachelé et Julien Feryn signent une création sonore singulière assourdissante tantôt brutale tantôt presque sacrée.

En toute fin, la lumière apparaît : la violence des néons sur une parcelle de gazon. 

Ich bin Charlotte @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 08 Septembre 2018


Des gramophones peuplent le plateau et dans le fond, un imposant buffet ancien à tiroirs fait face aux spectateurs. 
La silhouette élancée de Thierry Lopez apparaît en fondu. Charlotte von Mahlsdorf nous accueille dans un manoir qu'elle restaurera et qui deviendra le Gründerzeit Musem quelques dizaines d'années après la guerre. 

Qui était Charlotte von Mahlsdorf ? C'est cette douce femme née dans un corps d'homme - celui de Lothar Berfelde - qui a collectionné et protégé des meubles pendant les heures sombres de l'Histoire allemande. Elle a survécu sans échappé aux régimes les plus répressifs à l'égard des homosexuels. Elle a toujours assumé son identité. Plus jeune, elle a même fait de la prison pour avoir assassiné son père violent. Ich bin Charlotte va au-delà de l'appel à la tolérance. 

Steve Suissa signe ici une mise en scène toute en sobriété s'avérant efficace. Ici la performance transformiste n'est pas de mise, l'univers du cabaret n'est que faiblement évoqué. Les spectateurs partent à la rencontre de pas moins d'une trentaine de personnages qui ont tous participé à construire l'identité forte de Charlotte von Mahlsdorf. 

Thierry Lopez perché sur ses talons aiguilles livre un jeu sincère, mystérieux et particulièrement touchant. Seul en scène, toute son énergie est déployée pour offrir le meilleur dans chacun de ses personnages qu'il joue et ce, sans jamais faire appel à l'artifice ; "Il faut tout sauver, rien oublier, tout montrer".