Dans la foule @Théâtre Paris Villette, le 24 Septembre 2021

 

© Marc Ginot

Présenté dans le cadre de la 8ème édition du festival SPOT du Théâtre Paris Villette, Dans la foule est une adaptation du roman homonyme de Laurent Mauvignier, lui-même inspiré du tragique drame du Heysel survenu en Belgique dans les années 1980. 

Le spectacle s'ouvre sur le thème de la Ligue des champions, des images de stade mêlées à un texte - le roman ? - sont projetées sur l'écran presque translucide qui laisse visualiser la succession de témoins victimes du drame dans leurs langues respectives. Belges, Français, Anglais ou encore Italiens, les nationalités se croisent et se rejoignent dans la douleur. Ils ne dialogueront que peu ensemble. Comme des fantômes, si tôt le monologue de l'un d'eux terminé, disparition en fondu au noir, apparition d'un nouveau. Une fois l'écran levé, une immense cage de but apparait sur le plateau. Les quatre protagonistes s'y retrouvent écrasés - dans ces moments c'est une caméra qui fixe les visages avec des gros plans terrifiants plongés dans l'obscurité -, s'y suspendent et parfois, la cage offre un moment suspendu plein de poésie : ils semblent nager dans le filet.

Respectant fidèlement la fresque polyphonique du romancier, Julien Bouffier s'est rapproché d'Hélène Cathala pour proposer un spectacle qui fait alterner le théâtre et la danse. La chorégraphie des corps permet d'accentuer la dramaturgie tout en la recouvrant de grâce - mention particulière pour le duo pour la scène de la nuit à l'hôtel -. Sans avoir à recréer la foule, la création du duo Julien Bouffier - Laurent Rojol mêle archives et images du plateau pour mieux entraîner le public dans l'effroi. Les comédiens livrent tous une prestation d'une grande justesse et de belles émotions au rendez-vous. 


Un vivant qui passe (lecture de Sami Frey) @Théâtre de l'Atelier, le 17 Septembre 2021

 

Curieuse matière théâtrale qu'Un vivant qui passe. Un vivant qui passe n'est pas un texte de théâtre, non. C'est avant tout le film de Claude Lanzmann de 1997 qui "met en scène" son réalisateur et Maurice Rossel, délégué du Comité international de la Croix-Rouge, qui, en 1944, s'est rendu à Theresienstadt, camp modèle pour les nazis. Entre l'évocation de la banalité du mal et la force du témoignage, l'échange semble presque irréel de par le phrasé déconcertant de l'ancien délégué.  

Alors qu'en fond sonore, les rails crissent, l'acteur de la Nouvelle Vague Sami Frey fait son entrée, il s'installe à son bureau, éclairé par une petite lampe. Il fait face au public. Le jeu de l'acteur repose essentiellement sur les alternances de tons des deux protagonistes de l'entretien sans grands effets. Frey du fait de son histoire, son passé familial, teinte un peu le phrasé. Le temps d'une heure, il a livré, déroulé l'Histoire sans tirer les larmes aux spectateurs. Le rideau - de fer - tombe lentement en laissant échapper quelques crissements qui feront écho aux bruits des rails entendus en ouverture, quant à l'homme de théâtre, lui, se tient droit, digne. Le public applaudit, l'émotion surgit. 




Illusions perdues @Théâtre de la Bastille, le 13 Septembre 2021

 

© Simon Gosselin

Présentée la saison dernière pour une seule et unique représentation - pour cause de crise sanitaire -, Pauline Bayle et sa troupe ont pu retrouver les planches de la grande salle du théâtre de la Bastille. 

L'oeuvre de Balzac au théâtre. Exercice complexe tant l'oeuvre invoque de nombreux personnages - bien qu'on pourrait en dire autant du travail d'un certain russe dénommé Dostoïevski -, tant l'intrigue est dense. Pauline Bayle habituée à l'exercice, y est parvenue en faisant intervenir seulement 5 comédiens : trois actrices, deux acteurs. Tout en faisant le choix de se concentrer sur Un grand homme de province à Paris; la montée en puissance du héros Lucien de Rubempré (né Chardon) jusqu'à sa chute fatale. 

Plateau quadri-frontal, très vite il fera office d'arène, de ring sur lequel est parsemé de la craie. Les comédiens sont présents dans le public. Le spectacle s'ouvre sur les premiers pas de Lucien de Rubempré - ici joué par l'admirable Jenna Thiam - lors d'une lecture public à Angoulême. On assiste à son arrivée parisienne aux côtés de sa protectrice Madame de Bargeton - Hélène Chevallier -.

Bien qu'il y ait peu de costumes et une totale absence d'éléments de décor, l'imaginaire de l'univers balzacien est parfaitement recréé. Tour à tour, les comédiens changent de personnage et à chaque fois, les spectateurs s'y retrouvent. Seule Jenna Thiam ne porte sur ses épaules Lucien, en le faisant passer de l'innocence à la cruauté sans afficher de complexité. Dans un rythme particulièrement soutenu, les cinq comédiens - Charlotte Van Bervesselès, Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Alex Fondja, Jenna ThiamViktoria Kozlova en alternance avec Pauline Bayle - nous entraînent dans la fresque balzacienne avec fougue. Les répliques fusent, les corps s'animent. On fera une mention particulière à la scène d'adoubement - le sacre serait-on tentés de dire - de Lucien qui se transforme en une espèce de danse tribale de toute beauté à en faire frémir le public. Les talons claquent sur le bois des planches où la craie remuée se transforme en fine brume. 




Point Cardinal @Théâtre de Belleville, le 12 Septembre 2021

 


Point cardinal : en géographie et en astronomie, point de l'horizon servant à se diriger, s'orienter.
Point Cardinal, roman de Léonor de Récondo.

© Pauline Le Goff 


Le plateau est plongé dans l'obscurité. Une barre de néon rose borde le fond, juste au-dessus de laquelle une paire de jambes ondule sur de hauts talons noirs sur fond de musique électro aux allures de battements de coeur. En un rien de temps, la scène s'éclaire et apparait le comédien Sébastien Desjours vêtu de son sweat à capuche. Il incarne tour à tour Laurent et Lauren. Une seule et même personne. Père de deux beaux ados, marié à une femme aimante, bien dans sa vie professionnelle, moins dans son identité de genre. "Mon corps est un compromis" affirme Lauren. 

Point Cardinal est un spectacle qui se vit comme une plongée dans l'intime conviction d'une femme coincée dans un corps d'homme qui progressivement se doit d'en sortir. C'est tendre, délicat jamais voyeuriste. Dans un décor minimaliste, Sébastien Desjours installe un jeu équilibré, profondément sincère avec quelques touches humoristiques sans pour autant le faire basculer dans le registre caricatural. Le choix du seul en scène pour mieux montrer la solitude face à l'incompréhension des proches, de l'altérité ? Un pari qui fonctionne. Et Lauren s'interroge souvent dans les mots de Melody Gardot ; Who will comfort me ? Le spectateur pour sûr. 


  


Salem @Théâtre de Belleville, le 05 Septembre 2021

 


© Avril Dunoyer

Il nous avait déjà marqué avec son adaptation de Solaris, Rémi Prin et sa compagnie Le Tambour des Limbes réinvestissent le théâtre de Belleville pour présenter leur toute dernière création collective Salem. Insistons sur cette notion de création collective si chère au metteur en scène qui choisit d'écrire - tout en s'inspirant librement du texte d'Arthur Miller - l'intégralité de sa pièce en étroite collaboration avec ses comédiennes pour installer le point de vue des accusées. En source d'inspiration le collectif s'empare également d'autres faits divers : l'épidémie dansante de Strasbourg de 1518, l'hystérie collective des religieuses de Loudun en 1630, le massacre collectif d'Hautefaye de 1870 pour dépasser la simple fiction. Salem devient un village entre forêt et montagne comme il en existe tant en France, l'action n'est pas datée laissant imaginer un fait divers inscrit dans une véritable proximité spatio-temporelle.

Lorsque les spectateurs entrent dans la salle, le plateau est plongé dans l'obscurité. La fumée s'échappe. Le metteur en scène veut jouer avec ce qui n'est pas visible pour le spectateur. Relèguant les villageois au second plan, le metteur en scène les fait apparaître par le biais sonore - des bruits bien étranges qui se rapprochent plus des borborygmes que des voix humaines - et pourtant on les sent bien présents. La création sonore que signe Léo Grise fonctionne à merveille, elle embarque dans un univers proche de celui de Carpenter.

Toujours très cinématographique, la création lumière de Rémi Prin repose sur une maîtrise du clair obscur qui resserre l'espace et embarque les spectateurs dans ce huis clos terrible qui n'est plus uniquement un enfermement dans l'espace physique mais également mental. Ce qui rend le spectacle particulièrement intense et brillant. Le tout est porté par quatre comédiennes fantastiques : Flora Bourne-Chastel, Elise d'Hautefeuille, Rose Raulin et Louise Robert