© Jacky Mercien |
« Le remède à l'ennui, c'est la curiosité. La curiosité elle, est sans remède. » Ellen Parr
Puisque tu pars @Essaïon Théâtre, le 28 Mars 2024
Il faudra que tu m'aimes le jour où j'aimerai pour la première fois sans toi @Théâtre Paris Villette, le 21 Mars 2024
Si on devait faire une compétition avec les spectacles au titre le plus long, Il faudra que tu m'aimes le jour où j'aimerai pour la première fois sans toi est en bonne position aux côtés de La très bouleversante confession de l'homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté. Au-delà de la plaisanterie, ils ont se sont trouvés un autre point commun.
© Guillaume Castelot |
Dans cette pièce jeune public voire adulescent, Alexandra Cismondi s'est intéressée à l'adolescence et ses bouleversements dans une époque chahutée - pas si éloignée de la nôtre finalement -. Lo - interprétée par Lou Chauvain - s'apprête à prendre une année de plus mais ce soir-là, toute la famille - Christophe Paou, Anne-Elodie Sorlin, Alexandra Cismondi - retient son souffle.
Parentalité, deuil, terrorisme, premier amour, militantisme, nouvelles technologies, tous ces sujets sont présents dans cette pièce. En peu de temps, elle a réussi à tous les positionner. A l'image d'un adolescent, c'est intense, profond et peut-être parfois un peu maladroit. Tout se passe très vite. Le public n'est pas un simple public de spectateurs, certains d'entre nous sont des personnages.
Qui nous aurait prévenu ? Pour la déflagration de l'entrée dans la vie d'adulte, qui mieux que soi-même peut l'appréhender ? C'est un spectacle à l'image du public visé, ça se vit très fort. C'est aussi audacieux, poétique que tragique. Les quatre comédiens principaux passent dans toutes les émotions, certains se glissent dans plus d'un rôle à la fois. Un spectacle en montagnes russes comme on les aime, qui nous rappellent que nous sommes vivants et peut-être profondément humains.
Je n'ai pas le don de parler @Théâtre L'Echangeur, le 18 Mars 2024
Présenté au CDN d'Aubervilliers, au Studio-Théâtre de Vitry, il est arrivé jusqu'au Théâtre de l'Echangeur à Bagnolet et c'est ici que nous sommes allés découvrir Je n'ai pas le don de parler. Un spectacle pour le moins curieux qui prend des allures d'OTNI - Objet Théâtral Non Identifié -.
© Anthony Devaux |
Qui pourrait croire que derrière ce curieux titre se cache une relecture du conte Blanche-Neige des frères Grimm par Robert Walser et ses Petits textes poétiques ? La metteure en scène Agathe Paysant s'en est appropriée la matière pour transposer la pièce dans un univers qui n'existe pas. Le spectateur se le créée mentalement. Le plateau est entièrement drapé de noir. Rien ne laisse penser qu'il s'agit de la légendaire forêt, pas même un arbre. Tout au fond, un comédien - Marc-Antoine Vaugeois - dort d'un sommeil de plomb.
Et dans cette obscurité étrange, un duo composé d'un homme - Marc Bertin - et d'une femme - Nathalie Pivain - s'avance, s'empare du programme de salle et fait la lecture aux spectateurs du texte Le paysage. Le regard taquin, ils nous (re)joueront l'histoire peuplée de silences, d'actions rejouées. Les accessoires arrivent du (faux) plafond. Tous les personnages du conte sont là, à l'exception des sept nains. De Walser on connaissait L'Etang - et on avait encore à l'esprit la mise en scène très forte de Gisèle Vienne - mais pas sa Blanche-Neige. Une lecture plus ambigüe du conte.
C'est toute l'étrangeté de ce spectacle qui fait sa grandeur. On ne rit pas forcément mais on sourit d'un jeu collectif profondément sincère où les acteurs sont comme des pantins tenus non pas par leur metteuse en scène Agathe Paysant mais par eux-mêmes. Les cinq comédiens - Camille Duquesne et Alban Gérôme viennent s'ajouter aux noms précédemment cités - se donnent à cœur joie dans ce simulacre de manipulation pour notre plus grand bonheur.
L'Art de la joie @Théâtre L'Azimut, le 16 Mars 2024
Après un passage remarqué à la MC93, L'Art de la joie mis en scène par Ambre Kahan a pu poser son massif décor pour deux représentations au Théâtre L'Azimut à Chatenay-Malabry.
© Matthieu Sandjivy |
Le roman monumental de Goliarda Sapienza prend vie. Le récit de l'épopée féministe de l'héroïne Modesta - incarnée ici par la superbe Noémie Gantier - en Italie au tout début du XXème siècle se déploie pendant 5h30. Il faut bien l'admettre, nous n'avons pas lu le roman et le spectacle a attisé la curiosité qui nous anime tant. On ne se risquera pas à résumé l'œuvre particulièrement dense - Goliarda Sapienza a consacré quasiment une décennie à son écriture -. D'autant que la metteuse en scène Ambre Kahan ne reprend pas l'intégralité.
Ce billet reviendra essentiellement sur toute la puissance de cette mise en scène, la performance excellente de l'intégralité de ses comédiens. On a connu des spectacles beaucoup plus longs - salutations respectives à Thomas Jolly et Julien Gosselin -, la durée ne nous a jamais effrayé. Mais dans ces spectacles fleuves, il est nécessaire de saluer l'énergie de tout ce petit monde - Aymeline Alix, Jean Aloïs Belbachir, Vanessa Koutseff, Élise Martin, Serge Nicolaï, Léonard Prego, Louise Rieger, Richard Sammut, Romain Tamisier, Sélim Zahrani et les musiciens Amandine Robilliard et Romain Thorel - aux affaires. La scénographie d'Anne-Sophie Grac impressionne par sa taille et son aspect modulaire, tout se transforme en presque toute simplicité.
Sapienza a écrit un récit qui tire sa force dans son intemporalité. La soif d'absolu de son héroïne Modesta ne peut laisser de marbre. Ambre Kahan est parvenue à nous transporter dans une ambiance parfaitement mesurée. Les quinze premières minutes vont crescendo - le Monsieur Loyal Giùfa, interprété ici par un Florent Favier haut en talons ne manquera pas de bien appuyer cette idée avec un certain dynamisme et beaucoup d'humour -. Le destin tragique de Modesta se scelle dans ce très court laps de temps.
De la plus sordide à la plus sensuelle, la jouissance que connait Modesta est telle un feu intérieur qui l'animera tout au long de sa vie. Cette dernière est marquée par des épreuves humaines dont elle se relèvera chaque fois plus femme, plus forte. On la suit dans cette aventure à vive allure.
L'Enfant brûlé @Ateliers Berthier - Théâtre de l'Odéon, le 10 Mars 2024
"On nait, on vit, on meurt"
Odezenne
© Jean-Louis Fernandez |
Bérénice @Théâtre de la Ville, le 09 Mars 2024
Le spectacle s'ouvre sur une projection des différents éléments composant l'être humain. Oxygène, eau, or, potassium, sodium, phosphore et autres éléments défilent avec le pourcentage parfait.
© Jean-Michel Blasco |
Il serait vain de chercher les mots de Racine dans cette mise en scène de l'italien Romeo Castellucci. Les plus attachés à la langue du dramaturge seront déçus c'est plus que certain. Il s'agit surtout d'une intense performance d'une immense actrice française ; Isabelle Huppert. Les alexandrins sont au rendez-vous mais le reste n'est que poésie autour d'une passion dévorante.
Un événement théâtral au sommet qui convoquent deux figures exceptionnelles dont les plus férus d'art dramatique ne pouvaient que jusqu'ici rêver. Et si le résultat peut se montrer légèrement décevant pour des partis pris pas toujours compréhensibles - que vient faire une machine à laver ? le radiateur à la rigueur passerait presque pour un prie-Dieu design -, le faiseur italien n'a rien perdu de son sens de l'esthétique. La tentation de déchiffrer le texte projeté sur le rideau nous démangera tout au long du spectacle. Et ce sont toujours ces moments oniriques suspendus dans le temps mêlés aux distorsions sonores du fidèle Scott Gibbons qui nous rappellent que nous assistons à une mise en scène de Romeo Castellucci.
Isabelle Huppert est sublimée dans ses robes conçues par la talentueuse Iris van Herpen. Mais que dire de son jeu ? Ces dernières années, l'actrice nous épate autant qu'elle nous perd. Et c'est peut-être ce que nous retiendrons, une performance de haute voltige sur le fil du rasoir.
Finlandia @Bouffes du Nord, le 07 Mars 2024
Dans l'obscurité des murs des Bouffes du Nord hébergeant une chambre d'hôtel nordique, les seules sources de lumière se font rares. Elles ne sont que deux : le réveil digital aux couleurs orangées qui affiche 03h47 et l'intérieur du mini frigo. Joseph Drouet et Victoria Quesnel sont endormis. Joseph finit par se réveiller, il allume la lampe de chevet pour le moins brusquement. Cigarette en main, il ordonne à sa compagne de se lever par un sec "Lève-toi !". La dispute éclate - pour la énième fois ? -.
© Pauline Roussille |
Chez Pascal Rambert, on s'habitue à cette tension permanente. Il parait même que c'était l'objet de sa précédente création Clôture de l'amour sauf qu'il précise que cette fois, c'est "pire". Un enfant - ce soir-là c'est Charlie Sfez qui endosse le rôle de Nina - est entre les deux adultes. On pense alors à Depeche Mode et sa célèbre Precious. Dans Finlandia, il s'agit d'un couple d'artistes qui se déchire. On repense indirectement à une dispute similaire cinématographique dans Anatomie d'une chute.
On assiste à un dialogue sans aucune merci. Invective sur invective. Aucun des deux n'aura jamais le verbe plus haut que l'autre. L'insulte suprême qui sera balancée à la figure de Joseph restera sans doute "fasciste". Joseph se voulant ici admirateur de l'italien communiste Gramsci, l'insulte ne passera pas ses oreilles. La violence verbale ne se suffit pas, elle est agrémentée par la physique à sens unique. Une fois encore, c'est Victoria qui portera le coup.
La chambre étrangère devient un véritable ring, une vraie chambre de bataille dans laquelle on se jauge comme des fauves et s'apostrophe sans aucune limite. Et finalement, ce qui prend ici c'est l'étrange lieu commun qu'a choisi Rambert. Il se garde de toute grandiloquence - on vous épargne un jeu de mots mais on vous le dit quand même, ça va mieux en le disant : grande éloquence - qu'on lui connait. Et parfois, le rire nerveux s'échappe face à quelques exceptions de ridicule d'une situation pour le moins ordinaire.
Fajar ou l'odyssée de l'homme qui rêvait d'être poète @MC93, le 02 Mars 2024
Quand Adama Diop écrit, joue et dirige ça donne l'épopée magnifique Fajar ou l'odyssée de l'homme qui rêvait d'être poète. Une fresque pluridisciplinaire qui nous transporte du Sénégal à la France.
© Simon Gosselin |
Si l'on ressent une immense part autobiographique, c'est dans le registre de la fiction qu'Adama Diop a choisi de faire évoluer son personnage Malal. Malal a fui ses drames intimes, le voilà qui s'en va vers une autre terre où l'espoir du mieux ne l'attend pas mais l'habite, le hante.
Le spectacle s'ouvre sur les mots d'Aimé Césaire mais c'est bien le verbe d'Adama Diop qui dominera. On le trouvera riche, philosophique, poétique parfois même politique - alternant entre le wolof et le français - et sa forme transverse lui donne un sublime corps qui va emprunter au cinéma, à la musique, à la danse pour un résultat magnifié.
Repéré chez Julien Gosselin, Jean-François Sivadier, Franz Castorf ou encore Tiago Rodrigues, le franco-sénégalais s'est risqué à un exercice complexe où il s'est fait porter la plupart des masques - pour ne pas dire casquettes -. Si le résultat sur un plan esthétique est vraiment superbe, on regrette sa longueur qui fait perdre le fil. Non pas celui de la narration mais de la réflexion.
Sur le plateau il s'est entouré de talentueux musiciens - Anne-Lise Binard au chant, à l'alto et à la guitare électrique, Dramane Dembélé au ngoni et aux flûtes mandingues et Léonore Védie au violoncelle -, à l'écran il s'entoure d'une dizaine de comédiens parmi lesquels Frédéric Leidgens qui apparait comme un sage voire une divinité et Marie-Sophie Ferdane en Marianne, figure symbolique de la liberté. En toute fin, le comédien se livre au jeu du conteur en costume de commedia dell'arte.