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Architecture @Bouffes du Nord, le 18 Décembre 2019


© Christophe Raynaud De Lage
Après un passage remarqué dans une version plus longue en ouverture du Festival d'Avignon, la pièce de Pascal Rambert a posé ses bagages pendant les épisodes de grève du mois de décembre aux  Bouffes du Nord. La troupe du dramaturge a donné un peu moins d'une quinzaine de représentations d'Architecture - primé Meilleur texte de théâtre par le magazine culturel Transfuge - version écourtée. Architecture ou l'histoire d'une famille bourgeoise viennoise en pleine explosion à l'aube de la Première Guerre mondiale.  

© Jean Louis Fernandez


En figure du patriarche autoritaire, l'immense Jacques Weber. La source de tous leurs problèmes c'est lui et sa personnalité écrasante, son tempérament colérique, il mène la vie dure aux siens. L'un d'entre eux, Stan - Stanislas Nordey - tente la rébellion le jour où son père se voit remettre une décoration. Alors que l'on couvre d'éloges l'architecte réputé, le fils rebelle va lui tenir tête et proférer quelques propos immatures ponctués de bruits incongrus. Impuissant, le reste de la famille ne bronche pas et laisse le père répandre sa colère. La fratrie est composée d'esprits brillants - compositeur de musique expérimentale, éthologue, psychologue, colonel ou encore journaliste -, la figure maternelle n'est plus de leur monde, remplacée par une jeune poétesse érotique. Leurs névroses sont aussi diverses que leurs spécialités. 

Tous vêtus de costumes aux teintes blanches crème, ils incarnent tous une élégance obligée. Puis ils troqueront la pureté pour la couleur du deuil. La palette Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Pointreneaux et Jacques Weber est saisissante. Tous oscillent entre la confidence et la rage avec toujours la peur au ventre. Ils crient comme ils pleurent. L'espace scénique dans lequel ils évoluent les contraint à un huis clos permanent. A mesure que les années passent, les rares meubles qui occupent le plateau changent sous nos yeux - du style Biedermeier au Bahaus -.  

© Christophe Raynaud De Lage
Comme dans Soeurs, les échanges entre personnages n'existent quasiment pas. Ce sont de longs monologues auxquels ils se répondent à distance, les mots sont des couteaux et les tirades deviennent des coups. La scène de bal devient celle d'une forme de libération, le dîner prend des allures d'un certain Festen. Grand moment de théâtre. Toutefois, une zone d'ombre s'abat sur la dernière scène qui pousse un peu loin la mise en abyme du théâtre dans le théâtre en faisant intervenir la technologie ; chaque comédien fait face à un ordinateur portable et retranscrit la mort d'un personnage en la faisant jouer en temps réel. 

La troupe est magnifique. S'ils sont tous excellents, nous nous devons quelques mentions spéciales au duo Bonnet/Podalydès qui touche par la fragilité de leurs personnages artistes bègues comme sauvés par la musique et à Stanislas Nordey pour sa justesse particulièrement émouvante lors de sa confession. 


L'enfant Océan @Théâtre Paris-Villette, le 15 Décembre 2019


A l'heure des contes de Noël, L'enfant Océan se démarque. Frédéric Sonntag s'attaque à la mise en scène du roman du même nom écrit par Jean-Claude Mourlevat qui s'inspire lui-même du conte du Petit poucet de Charles Perrault. L'histoire est simple : la fuite en pleine nuit de la fratrie Doutreleau pour l'Océan Atlantique.

La famille Doutreleau est composée de sept enfants dont les six aînés ont la particularité d'être jumeaux par paire. Le tout petit dernier c'est Yann, il n'est pas bien grand et est un enfant très silencieux, très malin, mature. Au point d'être celui qui persuadera ses frères de quitter le domicile familial alors que des trombes d'eau tombent pendant la nuit. Il veut les emmener découvrir l'Océan. Le roman raconte cette épopée.

Ce qui séduit ici c'est ce choix d'utiliser une marionnette - que les comédiens manipulent tour à tour - pour interpréter le sensible Yann, qui apporte une touche de poésie supplémentaire dans une scénographie qui joue sur les écrans et panneaux mobiles qui permettent de s'ancrer dans des décors réels. Les spectateurs ont la sensation de prendre la route avec la fratrie. Yann ne prendra la parole qu'en toute fin du spectacle, face à l'Océan, qu'il attendait tant avec un propos qui invite au rêve. Chaque membre de la fratrie s'exprimera mais également tous les personnages extérieurs qu'ils vont croiser sur leur chemin, une véritable polyphonie qui d'une certaine manière construit un récit puzzle à reconstituer avec beaucoup de plaisir en famille. 

Elvira @Théâtre de l'Athénée - Louis Jouvet, le 13 Décembre 2019


© Fabio Esposito
Avant même de connaître le contenu de cette pièce, c'est le metteur en scène qui a attiré notre attention : Toni Servillo. On l'a notamment croisé au cinéma dans La grande bellezza ou encore dans Silvio et les autres où il campait le rôle titre du Cavaliere et plus récemment dans 5 est le numéro parfait. Le voilà à la mise en scène pour la deuxième fois et interprète.

Celui qui déclarait avoir "mis beaucoup de temps à sortir de la peau de Berlusconi" peut se rassurer, le transfert dans sa nouvelle peau de comédien-metteur en scène-prof dans Elvira a bien fonctionné. Si quatre comédiens occupent le plateau, on se concentre davantage sur le duo Jouvet-Claudia / Servillo-Valentini. Toute une leçon de théâtre, de jeu, de sentiments par le prisme de la quête de perfection. Dans un décor presque nu - un bureau côté jardin et un transistor meubleront le plateau -, les deux comédiens sont magnifiques. Petra Valentini est admirable dans un exercice qui peut sembler complexe;  jouer les tentatives, l'obstination, en passant par l'inévitable frustration. Les comédiens parviennent à effacer leurs situations de personnages, offrant toute l'illusion de jouer ce qui pourrait être leurs propres rôles. Servillo est enveloppé par la sobriété et magnifie l'exigence de l'homme de théâtre.












Une femme se déplace @Théâtre des Abbesses, le 12 Décembre 2019


Rares sont les fois où nous parlons d'une comédie musicale sur ce blog. La dernière fois c'était déjà en 2019 avec Jungle Book de Robert Wilson. Cette fois direction le Théâtre des Abbesses pour la création de David Lescot ; Une femme se déplace. L'histoire ? Celle de Georgia - jouée par Ludmilla Dabo -, une jeune femme à qui tout semble sourire dans la vie : un mari aimant, deux enfants adorables, une bonne situation professionnelle. On la retrouve attablée dans un restaurant au sommet de la tendance - qui a pour étrange spécialité de revisiter la fadeur des plats - avec son amie Axelle. Toutes les deux se racontent leurs vies respectives, étalant leur bonheur. Le déjeuner progresse mais tout ce qui semblait bien aller dans la vie de Georgia s'effiloche et les catastrophes s'enchaînent. Dans la tourmente, Georgia branche son téléphone sur un brumisateur qu'elle pensait être un chargeur de téléphone. La voilà qui se retrouve dans le même restaurant quelques minutes plus tôt. Une cliente du restaurant, prénommée Iris, - interprétée par Elise Caron - qui a commis la même erreur qu'elle, vient lui expliquer comment s'en sortir. S'en suivent donc les différents voyages dans le temps de Georgia. Si en apparence son présent pouvait sembler simple, son passé lui est complexe, imparfait.

Dynamique et efficace, David Lescot a su mettre en place une partition pétillante - interprétée en direct par quatre musiciens - sans s'enfermer dans un seul registre - du jazz au rap -. Toutefois, les textes peuvent parfois se montrer un tantinet simplets. Ce qui n'empêche pas les comédiens d'être plein d'entrain et mènent à bien les chorégraphies - celle des huissiers est une petite merveille -. Pleine d'humour, Une femme se déplace est une création ancrée dans son époque.


Cuckoo @Théâtre de la Bastille, le 10 Décembre 2019



Joyeuse découverte que le spectacle Cuckoo. Présenté dans le cadre de l'édition 2019 du Festival d'Automne à Paris, Cuckoo est un véritable petit bijou.

Inscrit dans une trilogie - dont nous regrettons de ne pas avoir vu la première conférence-spectacle - Cuckoo revient sur les années 1990 en Corée du Sud. Plus particulièrement en 1997, lorsque le Fond Monétaire International - notamment Robert Rubin, alors Secrétaire américain sous la présidence Clinton - vole au secours de l'économie du pays. Le peuple coréen le ressent comme une humiliation nationale et bascule dans un climat social plus que tendu. De nombreuses manifestations éclatent à travers le pays, non sans violence du côté des autorités.

L'artiste Jaha Koo est un presque quarantenaire qui a connu la crise à un jeune âge. Aujourd'hui exilé à Amsterdam, il revient sur ce passé douloureux qui pèse encore sur le présent par le prisme de trois cuiseurs de riz de la marque Cuckoo - qui donnera naissance au nom du spectacle -. Pourquoi des cuiseurs ? Ils sont le symbole du capitalisme qui ronge le pays et, par extension, du pays. Mais aussi parce que lorsque le père Koo prend des nouvelles de son fils, il ne lui demande jamais s'il va bien mais, sans doute par pudeur, s'il mange bien. Les objets sont loin d'être inanimés ; deux d'entre eux en viennent à se chamailler comme des enfants.

Koo raconte son pays avec un brin de mélancolie mais aussi beaucoup d'humour. Il parle de ses amis qu'il n'a pas vu disparaître, de la culpabilité qu'il peut ressentir, d'une tristesse qui l'habite depuis son départ et dresse un portrait sombre du pays qu'il a laissé. Une heure durant, vidéos, récits intimes, chants ou chamailleries de cuiseurs font revivre le récit poignant du jeune coréen. Pour clore cette conférence-spectacle, le jeune homme sort le riz qui cuisait depuis le début pour le sculpter. Il dressera une espèce de tour. 

Playland @Comédie Saint-Michel, le 30 Novembre 2019


Amateurs de mime, ce spectacle est fait pour vous (et vos enfants). Sans aucun un mot - ou de simples onomatopées -, Boutros El Amari embarque avec lui les spectateurs dans un voyage incroyable dans sa console de jeux. Son personnage, qu'il a choisi de nommer Play, aux allures de lutin adulte se retrouve propulsé dans tous les jeux qui ont fait - ou font - l'enfance des spectateurs : ZeldaMario KartFinal FantasyStarwars...

Pendant une heure, l'artiste transpose plusieurs univers fantastiques sur un plateau vide sur lequel seuls les jeux de lumière et les bruits - dont la grande majorité (hors musique) sont recréés en direct par le comédien - font office de décor. C'est ce côté "avec presque rien" qui séduit ici. Avec une énergie folle, El Amari livre un spectacle familial tantôt poétique tantôt profondément clownesque. L'exercice est bluffant et réjouissant.

La magie lente @Théâtre Paris Villette, le 26 Novembre 2019



Âmes sensibles s'abstenir. La magie lente est un seul en scène dérangeant. Une descente aux enfers pour remonter vers la lumière, le récit d'un homme cassé qui tente de se réparer. Cassé ? Ou même brisé, "fragilisé" ne serait qu'un faible mot. 

Benoit Giros interprète essentiellement deux rôles - qui parfois peuvent donner l'impression de se confondre - : celui d'un psychanalyste et celui du patient, Louvier. Ce père de famille a été diagnostiqué schizophrène. Un diagnostic qui ne lui convient absolument pas. Il part à la recherche d'un nouveau thérapeute pour tenter de le guérir. Nous, spectateurs, devenons temporairement confrères et assistons à l'intégralité de sa thérapie avec le nouveau spécialiste, plongeons avec lui dans les eaux troubles du mal. 

La situation est complexe : Louvier se sent épié et touché partout où il va. Surtout dans le métro, où il entend des voix, a des hallucinations. En apparence, il s'agit de paranoïa. Les calmants prescrits par le précédent psychiatre s'avèrent inefficaces. Le thérapeute comprend que son confrère s'est lourdement trompé tant au niveau du traitement qu'au niveau du trouble. Et puis, au-delà de ça, la thérapie devient une véritable quête identitaire. 

Douceur et crudité - sans pour autant tomber dans la vulgarité - sont les maîtres mots de ce texte percutant que signe Denis Lachaud. Pierre Notte choisit de faire jouer son comédien sur un plateau très dépouillé - quelques chaises, un stylo de conférencier, un bureau équipé d'un ordinateur, une table sur laquelle sont posées des carafes d'eau suffisent à meubler l'espace scénique -. Benoit Giros livre un jeu puissant, intense en émotions et au plus juste. Le jeu de lumières d'Eric Schoenzetter s'accorde avec les états de Louvier, on garde en tête l'image des moments lumineux de la thérapie et les phases les plus obscures lorsque Louvier raconte les faits au passé. Il faut patienter quelques minutes avant de saluer la prestation brillante tant on peut être sonné, bouleversé par le propos. 


La Vita Nuova @Grande Halle de la Villette, le 23 Novembre 2019


© Veerle Vercauteren
Et un format - très - court pour le faiseur d'images italien Romeo Castellucci, un ! La proposition du touche à tout est une création d'un peu moins d'une heure investit l'immense espace qu'est la grande halle de la Villette. Il l'intitulera La Vita Nuova.

Les spectateurs sont conviés à pénétrer dans ce qui s'apparente à un immense parking où pas moins d'une trentaine de véhicules sont recouverts d'une bâche blanche. Les ternes néons crépitent. Bruits industriels et chants d'oiseaux cohabitent. Un corbeau croisse. Un homme noir vêtu d'une combinaison blanche - gage de pureté ? - façon mécano émerge. Il remplacera la combinaison par une toge de la même couleur. Quatre autres hommes vêtus à l'identique, perchés sur de hauts talons, le rejoignent. Un rituel est-il en cours ? Au son des cloches, les hommes circulent dans ce garage tels des bergers guideraient leurs bestiaux. Célébration d'une messe futuriste; ils soulèvent et renversent une voiture. Laissant apparaître successivement un buste blanc, un crâne rouge et des oranges.

La parole ne sera que très peu présente dans cette performance. Obscure, elle interroge l'art mais platement. Les métaphores sont intéressantes mais insuffisantes. C'est principalement la forme qu'il faudra retenir, qui peut, par certains aspects, rappeler le film fleuve de Matthew Barney River of Fundament. Castellucci réussit ses images. Bien qu'il ne cherche pas à communiquer une réponse particulière ni à orienter les spectateurs, le faiseur gagnerait à donner un peu plus de matière.   




Chewing-gum silence @Nouveau Théâtre de Montreuil, le 23 Novembre 2019

 © Eric Garault
Chewing-gum silence est une petite fable musicale fantaisiste dans la programmation du Festival d'Automne 2019.
Au Nouveau Théâtre de Montreuil, le multi-instrumentiste Antonin Tri Hoang s'est rapproché de Samuel Acache pour proposer un drôle de spectacle autour du concept de ver d'oreille. Comment définir le ver d'oreille ? Très simplement ; une mélodie ou suite de notes qui reste coincée dans la tête. On dit que mâcher du chewing-gum serait le moyen de s'en débarrasser. Antonin Tri Hoang s'est entouré pour l'occasion de Jeanne Susin et Thibault Perriard afin de concocter un spectacle tout public qui laisse une grande place à la musique.

Irène, l'héroïne - jouée par Jeanne Susin - a perdu sa mélodie pour dormir. Elle se rend dans une sorte de hangar souterrain, le Centre de traitement des mélodies, où sont conservées toutes les mélodies. Elles-mêmes sont, comme des archives, stockées dans des cartons. Suite à une fausse manipulation, elle déclenche une alarme. Le duo farfelu Michel et Michel - Antonin Tri Hoang et Thibault Perriard - arrive à sa rescousse. Le spectacle joue globalement sur le terrain de l'absurde.

Ensemble, les trois protagonistes redécouvrent, déstructurent, revisitent les mélodies à l'aide d'un piano, une batterie, un saxophone, une clarinette et leurs voix. Tantôt jazzy, tantôt improvisées, les mélodies deviennent des petites pièces d'un jeu de poupées russes. Elles s'imbriquent les unes dans les autres. Dans cette même ambiance du jeu, on pense aussi à Cache-cache. Le trio construit un univers fantasque qui séduit aussi bien le plus jeune public que les parents et offre, avec pédagogie, une courte initiation à la musique.

Je crois que dehors c'est le printemps @Monfort Théâtre, le 20 Novembre 2019


Et si le public devenait un personnage à part entière ? C'est le curieux dispositif qu'ont choisi Gaia Saitta et Barberio Corsetti ; accueillir les spectateurs comme des invités, en sélectionner six et les faire intervenir sur le plateau. Ce dernier est tout en sobriété ; 6 chaises éparpillées de part et d'autre, un bureau mobile sur roulettes et une caméra.

Gaia Saitta se positionne au centre du plateau. Irina revient sur l'inexplicable comportement de son ex mari, Matthias, aujourd'hui disparu. Elle rassemble les pièces d'un puzzle, d'une énigme. Ca commence par des questions notées sur des post-its, objets qui l'ont tourmentée voire traumatisée pendant plusieurs années puis progressivement ce sont ses questions à ses invités pour tenter de comprendre sa douloureuse histoire.

En janvier 2011, l'ex mari d'Irina Lucidi enlève leurs jumelles, laisse une lettre annonçant la mort des petites. Avant de se donner la mort en se jetant sous un train sans laisser aucune trace des enfants. Aujourd'hui encore, les deux fillettes n'ont jamais été retrouvées. Ce n'est pas de la fiction, c'est un réel fait divers. Tragique. Irina Lucidi a choisi de se confier, en 2016, à la journaliste Concita De Gregorio qui a recueilli ses confessions dans un roman qu'elle intitulera "Je crois que dehors c'est le printemps" - en version originale "Mi sa che fuori è primavera" -. C'est ce dernier qui inspirera la pièce.

Pour adapter ce spectacle Gaita Saitta et Barberio Corsetti ont choisi à juste titre de ne pas se restreindre à une seule approche du sujet. Il fallait donc le raconter et aller au-delà, questionner les protagonistes. Ce sont ces derniers que camperont les heureux élus "spectacteurs". Emus, certains peuvent aller jusqu'à donner la réplique à la comédienne. Ceux qui semblaient indifférents presque vidés d'empathie dans le récit d'Irina deviennent des êtres touchés, compatissants mis en lumière. La grand-mère, l'amie, la psy, le juge, le gendarme, le journaliste, le nouvel amour... Ils sont tous là.

Gaia Saitta incarne comme si l'histoire devenait la sienne, porte sur ses épaules le poids de la tragédie d'Irina Lucidi - à qui elle dédie chacune des représentations -, la douleur se lit dans ses yeux larmoyants à certains moments. La détermination et le courage de la femme la muscle. Je crois que dehors c'est le printemps est un spectacle poignant et qui invite à redécouvrir le rapport spectacle-spectateurs.





Change me @Théâtre Paris Villette, le 19 Novembre 2019


 © Benjamin Porée
Un petit bout de salle de bains côté jardin, une voiture en premier plan. Côté cour, un canapé, une table basse et un écran de télévision. En fond de plateau, une caméra branchée fonctionnelle.

Le spectacle s'ouvre sur la préparation d'Axel. Un son hip-hop sort du poste de radio posé en équilibre sur le placard-miroir au-dessus du lavabo. Routine de soirée : l'ado se rase, effectue quelque pas de danse, se peigne et s'habille. Sa mère débarque en coup de vent pour se maquiller, lui laisser son cadeau d'anniversaire avant de filer travailler. Une dispute éclate. A cet âge-là, ça semble normal. Les propos sont violents. Certains d'entre eux mettent en cause un père, absent ; "S'il n'y avait pas eu de connard, y aurait pas eu ta gueule". La relation mère-fille est tendue.

Pour sa soirée d'anniversaire, la bande de potes se retrouve sur le canapé avec la musique à plein volume. Dans le petit salon familial, les cadavres de paquets de chips rejoignent les restes de pizzas éparpillés dans le salon et les étranges mixtures alcoolisées remplissent les gosiers adolescents. Une ambiance de jeunes fêtards en somme qui s'amusent comme ils peuvent. Tout ce petit monde ne sait rien du secret d'Axel. C'est face caméra comme une audition au commissariat qu'ils se racontent, témoignent de leurs sentiments pour Axel après le drame. C'est finalement dans la voiture que toute l'intensité dramatique se concentre. Et c'est dans ce même véhicule que les vers d'Ovide s'échangeront avec beaucoup d'émotions et que la violence explosera. Cette dernière aura beau être invisible, elle est inouïe.

Axel est interprétée avec brio par Camille Bernon - qui co-signe la mise en scène aux côtés de Simon Bourgade -, a des allures de Laure l'héroïne du film Tomboy en brune. La comédienne touche par sa justesse et la rigueur qu'elle impose tant dans son jeu que dans sa direction. Ses compagnons de jeu la suivent ; Pauline Bolcatto qui alterne le rôle de la mère désemparée et de l'amie bimbo Stéphanie, l'émouvante Léna sera jouée par Pauline Briand et les deux bourreaux sont campés par Mathieu Metral et Baptiste Chabauty.

Le mélange des alexandrins d'Ovide, du texte d'Isaac de Benserade et des morceaux de vie de Brandon Teena permet d'offrir une intrigue qui tient en haleine : comment vont-ils découvrir le secret, comment vont-ils le prendre... Jouer sur l'invisible c'est aussi une manière plus forte de frapper. Jouer avec les sons pour laisser l'inconscient fonctionner. Et finir sur une image magnifique du corps pailleté, scintillant d'Axel dans les bras de sa mère. C'est aussi à l'image de nos jours, la violence existe, on ne la voit pas nécessairement sous nos yeux mais on voit les conséquences tragiques, on entend les témoignages. 

Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge @Théâtre national de la Colline, le 15 Novembre 2019


© Simon Gosselin
Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge c'est l'histoire d'Alice. Le chanteur dans la force de l'âge c'est lui, c'est Arthur H. Y a son entourage proche ; sa compagne Majda - Sara Llorca -, son attachée de presse Daphné que tout le monde prend plaisir à surnommer Diesel - Isabelle Lafon -, son ancien agent, Faustin - Patrick Le Mauff -. Y a ceux qui le font vivre dans la lumière : Anthime, un journaliste - Gilles David de la Comédie-Française -, une fan canadienne de la première heure qui fera le voyage, Nancy - Marie-Josée Bastien en alternance avec Linda Laplante - et son suiveur de l'ombre; Humbert - Pascal Humbert - et Jocelyn Lagarrigue. Oui. Ca en fait du monde sur le plateau !

Le spectacle s'ouvre sur Alice en plein concert. Il nous tourne le dos. Pendant que d'autres, les hommes et femmes de l'ombre, s'activent dans les coulisses. On retrouve Diesel et Anthime en train de finaliser les derniers préparatifs d'une interview qui se devra d'être courte parce qu'Alice est claqué. Pour couronner le tout, il a quelques problèmes d'estomac. Rien de grave. Juste embarrassant. L'interview est un exercice auquel il a beau être habitué, il n'en est pas des plus friand. Anthime l'interroge sur son rapport au monde qui l'entoure en vue d'un prochain concert au Bataclan, le 13 novembre. Alice n'en pense presque rien. A vrai dire, il ne se sent pas légitime pour commenter parce qu'il n'est pas plus connaisseur qu'un autre. Peu convaincu, Anthime ne s'étend pas et respecte le temps imparti. Au sortir de cet entretien, Alice tombe sur son ancien agent, qui regrette ce que l'artiste est devenu.

Résultat des courses : le papier est mauvais. Anthime l'a descendu, ne comprenant pas cette absence d'empathie. Et ne regrette rien si ce n'est que c'était son dernier papier avant sa retraite. Alice est un peu affecté. Il décide de contacter Faustin. Qui trouve une idée de génie : orchestrer sa mort pour le faire renaître et "niquer" le système. S'en suivra une flopée de péripéties dont nous ne dévoilerons rien de plus ici.

Le fond du texte de Mouawad est intéressant pour qui veut entendre une critique de l'industrie musicale - extensible au marché culturel - peut-être un peu facile. Elle présentera l'avantage d'être accessible à tous. L'aventure dans laquelle il nous embarque est bien vivante, poétique de temps à autre, rythmée mais qui peut basculer dans le surplus inutile (cf. scène chamanique). Servi par un casting globalement satisfaisant - à la légère exception d'Isabelle Lafon qui se fait peut-être trop caricaturale et peu naturelle par moment s'opposant nettement à une réjouissante Marie-Josée Bastien, Mort prématurée d'un chanteur populaire dans la force de l'âge reste un spectacle appréciable pour son côté divertissant. 

On s'en va @Théâtre National de Chaillot, le 14 Novembre 2019


© Magda Hueckel
Le nom du spectacle pouvait s'interpréter comme un mot d'ordre. Nous ne l'avons pas entendu ainsi. Même si l'entracte pouvait se faire tentateur. Finalement rien. Pas un mouvement. Ou alors, un. Un pas en avant pour gagner une place plus près.

Sexe, bridge et mort sont les maîtres mots de cette adaptation de Sur les valises, comédie en huit enterrements du dramaturge israélien Hanokh Levin et signent le retour haut en couleurs du metteur en scène polonais Krysztof Warlikowski. Les 19 comédiens de l'homme de théâtre fouleront les planches du Théâtre National de Chaillot pendant 4 soirs. 

L'immense décor est loin d'être fixe : salle de cinéma, salon, aéroport, cabaret, bar ou encore salle de gym habillent le plateau central. Dans le fond un mur de portes vitrées abritent un crématorium d'où lequel dépasse un écran montrant un visage auréolé. En retrait côté cour, des toilettes publics sordides. Ce sont dans tous ces endroits que cinq familles s'agiteront, tous avec la même aspiration : partir. Leur agitation est rythmée par les disparitions progressives des personnages façon Dix petits nègres. Pendant que d'autres s'adonnent à la luxure. Parfois, le sexe et la mort cohabitent.  

Warlikowski et sa troupe livrent un cocktail pour le moins extravagant qui s'attache à conserver le goût du plus dramatique et celui du plus absurde. Les courtes scènes de vie caustiques où valsent vieux et jeunes s'enchaînent. L'ambiance glauque s'entiche d'un ailleurs différent, meilleur. En dehors de quelques lenteurs - causées sans doute par le temps de lecture des sur-titres -, le directeur du Nowy Teatr de Varsovie signe une création riche, débridée et grinçante. 

La dernière bande @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 08 Novembre 2019


On prend les mêmes et on recommence. A peu de choses près. On reprend le duo Denis Lavant/Jacques Osinski, un auteur ; Beckett et un lieu : l'Athénée - Louis Jouvert. Cette fois-ci, place à La dernière bande.

De nouveau plongés dans l'obscurité, les spectateurs font face à un bureau métallique central sur lequel des cartons numérotés en chiffres romains sont empilés. Au centre du bureau, l'objet de toutes les attentions : le magnéto. Denis Lavant est assis. Il ne fait rien, n'articule aucun mot. Pas même un soupir. Le silence habite les lieux. Et, soudainement, le voilà qui souffle, se palpe jusqu'à trouver une montre qu'il regardera de près puis un jeu de clés. Les voilà qui font un cliquetis, il y a désormais de la vie. Il ouvre les tiroirs un à un. L'un d'entre eux couvait une banane. Le comédien la pèle, la consomme, jette la peau. C'est sur cette dernière qu'il glissera de façon clownesque. Les gestes se répètent.

Puis il finit par mettre la main sur ce qui donna naissance au titre de la pièce ; la dernière bande, la bande 5 de la boîte 3. Le comédien se surprend à savourer le mot "bobine" qu'il prononcera à plusieurs reprises en direct, en prenant soin de détacher l'intégralité des syllabes. Ses gestes, ses déplacements, ses grimaces sont de la poésie à l'état brut. Une poésie de clown blanc qui revisite son passé. La partition est émouvante, exigeante et pour le moins saisissante. 

Les Mille et Une Nuits @Théâtre de l'Odéon, le 07 Novembre 2019


Les spectateurs entrent progressivement dans la salle pendant que sur le plateau les comédiennes vêtues de robes de mariée blanches sont déjà en train de patienter dans une salle d'attente au carrelage d'inspiration orientale. Au centre, une grande porte au-dessus de laquelle deux voyants : un rouge, un vert. Quand celui-ci passe au vert, une épouse monte vers la chambre de noces. La grande porte s'ouvre et laisse entrevoir des escaliers où le sang dégouline fraîchement à chaque passage. Le conte d'ouverture sera donc le plus sordide. 

Et les histoires se succèdent, s'imbriquent les unes dans les autres sans brusque transition. Guillaume Vincent créée des tableaux mêlant culture orientale et occidentale. La culture orientale s'illustre notamment par la musique, interprétée en direct au oud par  Florian Baron. L'homme de théâtre va même au-delà de sa sélection de contes en choisissant de revenir sur la venue en de la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum à Paris pour son célèbre concert parisien de 1967 à l'Olympia. Les époques dialoguent entre elles, se mélangent pour mieux se comprendre.

Le décor est imposant aussi bien par sa taille que par son apparence scintillante. François Gauthier-Lafaye qui signe la scénographie semble s'être amusé avec la multitude de rideaux, créant toujours plus d'espaces de jeu. Si par moment, le spectacle s'étire un peu, les onze comédiens offrent un jeu généreux où ils partagent une grande diversité des registres que leur imposent les contes sans exclusivement être "coincé" dans un genre selon le personnage interprété. Ce qui permet aux spectateurs d'apprécier le jeu varié de chacun. Guillaume Vincent signe ici une adaptation poétique et résolument contemporaine des contes.


Nous sommes repus mais pas repentis @Théâtre Monfort, le 06 Novembre 2019


Séverine Chavrier et ses comédiens investissent la grande salle du Monfort pour quelques jours. La metteur en scène couteau-suisse (comédienne et musicienne pendant le spectacle) s'est emparée du texte de l'autrichien Thomas Bernhard Déjeuner chez Wittgenstein qu'elle titre Nous sommes repus mais pas repentis. Et le moins qu'on puisse dire c'est que ça déménage !

La vaisselle n'a plus le temps de voltiger. D'entrée de jeu, elle tapisse le sol du plateau. Les débris ne cesseront de résonner sous les bottes d'inspiration militaire de la délirante fratrie Wittgenstein. Une imposante bibliothèque trouve sa place côté cour, elle est accompagnée d'une platine avec des vinyles qui ne manqueront pas, à leurs tours, d'être éparpillés façon puzzle. Côté jardin, un piano à queue sur lequel est posé un renard naturalisé. Au centre, la table sur laquelle le service en porcelaine résistant est disposé. Dans le fond du plateau, les trois lits. Alignés comme dans un dortoir, ils sont le souvenir d'une enfance qui se meurt.

C'est le frère - Laurent Papot - qui débarque le premier sur le plateau et le ton est donné ; il porte un escabeau pour se rendre à la bibliothèque, le malheureux zigzague, manque de faire chavirer le reste du décor, tangue une fois en haut. Pour redescendre rapidement tout aussi maladroitement. Par moment, il étend les deux bouts de l'escabeau comme il déploierait des ailes pour s'échapper. Ritter et Dene ne tarderont pas à le rejoindre - Séverine Chavrier elle-même et Marie Bos -. Cette poésie surgit de temps à autre, entre deux tableaux cauchemardesques, lorsque les comédiens se figent comme si des diapositives défilaient.

Le trio de choc s'affronte un peu moins de trois heures de spectacle où tragédie, cruauté et clowneries se mélangent délicieusement. Comme ils disent, ils ne sont pas des les enfants de leurs parents, juste une conjuration.  Laurent Papot offre un Voss totalement déluré et presque sauvage tant dans son comportement que dans sa démarche. Séverine Chavrier pourrait être la plus posée des trois mais elle aussi est une victime de névroses familiales. Quant à Marie Bos, elle livre une partition touchante. Tous les trois sont brillants, habités par le sublime chaos. Le tout agrémenté d'une utilisation à bon escient de la vidéo en fond où le traumatisme du nazisme, l'autorité du père resurgit. Et puis, il y a la musique de Wagner, que Voss déteste tant, qui n'est jamais très loin.

La Gioia @Théâtre du Rond-Point, le 17 Octobre 2019


© Luca Del Pia 
La Gioa est un spectacle hommage pour le moins coloré et fleuri. Pippo Delbono opère une déclaration d'amour fraternelle à celui qui l'a accompagné pendant plus de vingt ans ; Bobò. Bobò était un homme sans âge, ni voix, ni ouïe mais qui a durant toutes ces années de collaboration avec le metteur en scène dégagé une véritable poésie. Delbono saute à pieds joints sur ce dernier univers : la poésie.

Il s'ouvre sur "Don't worry, be happy" et la lente pousse de fleurs sur un petit tronçon de pelouse. Puis, progressivement, Pippo Delbono convoque toutes les figures avec qui il a été amené à travailler ces dernières années. Ambiance circassienne, carnavalesque, music-hall, tous ces univers se mélangent pour offrir un spectacle de toute beauté. Une parenthèse un peu plus obscure s'offre aux spectateurs lorsque Delbono se retrouve enfermé derrière des barreaux et que les corps de ses compagnons s'articulent autour de lui sous les stroboscopes et la célèbre valse du compositeur russe Chostakovitch

Cette parenthèse ténébreuse se ferme pour laisser place à nouvel univers plus gai, plus bariolé, plus fantaisiste. La cage métallique se voit remplacée par une nouvelle prison en fleurs. Avant le paradis floral, Delbono propose une évocation de la tragédie des migrants : des petits bateaux de papier peuplent le plateau, les tonnes de vêtements parsemées ici et là rappelant que la Méditerranée est devenue un cimetière des temps modernes. "Dove è la gioia ?" (Où est la joie ?) demande Pippo Delbono. Elle est là, devant nos yeux. Elle est éphémère mais elle revient comme les vagues sur la plage, elle vient de loin mais aussi comme le printemps. 

La Gioia est un spectacle riche de par les univers qu'il mélange mais aussi par toutes les émotions qu'il véhicule. Bobò peut se réjouir, ses amis l'aiment et l'aimeront toujours. 



Jungle Book @Théâtre Le 13eme art, le 06 Octobre 2019


© Lucie Jansch
"Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir." chantait Henri Salvador. Celle du metteur en scène texan Robert Wilson n'a rien de terrible, bien au contraire, elle est enchanteresse. La libre adaptation du recueil de nouvelles de Rudyard Kipling de l'américain est un régal pour les enfants, les plus petits comme les plus grands.

C'est dans un univers particulièrement sucré que choisit de nous transporter Wilson. Oubliez donc le blanc clinique de Mary said what she said ! Place aux couleurs vives de la jungle, pleine de merveilles aux sonorités si variées que signe et joue en direct le groupe psychédélique CocoRosie . Acteurs deviennent chanteurs et danseurs, tous revêtissent leurs bien jolis costumes d'animaux - à l'exception du "petit homme" interprété par le jeune comédien Yuming Hey qui, de par sa situation d'humain, ne portera qu'une petite combinaison rouge non moins jolie -. Le casting est composé de comédiens que le metteur en scène n'a jamais vu jouer par le passé. Sur le plateau, une complicité évidente est née entre eux et c'est réjouissant.

Le récit est conté en français, quant aux chansons, elles sont interprétées en anglais. Energie, pétillement et fantaisie sont les maîtres mots de cette comédie musicale où l'on retrouve tous les personnages du récit original terriblement attachants. Pas de doute, Wilson réussira haut la main son défi de plaire aux enfants les plus jeunes et ceux qui sommeillent dans les âmes des plus grands.






Le Crépuscule @Théâtre de l'Epée de Bois, le 03 Octobre 2019


Présentée au Festival OFF d'Avignon, l'adaptation de l'ouvrage Les chênes qu'on abat...  d'André Malraux que Lionel Courtot renommera Le Crépuscule a pris la route vers l'Île de France et pose son décor au Théâtre de l'Epée de Bois pour une durée d'un mois.
Les chênes qu'on abat...est un essai dans lequel Malraux relate sa dernière rencontre avec le général De Gaulle lorsque celui-ci s'est retiré à Colombey-les-Deux-Eglises suite au résultat négatif du référendum du "projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat" en 1969. Lionel Courtot s'est donc penché sur leurs échanges de la nuit du 11 décembre de la même année durant laquelle Charles de Gaulle prévoyait d'écrire ses mémoires.

Le spectacle s'ouvre sur un Philippe Girard immobile, tournant le dos au public. Sébastien Rajon s'apprête à entrer dans le bureau du Général qui ne veut a priori recevoir personne. Un cartel "Don't disturb" devant le pas de la porte vaudra la plaisanterie des deux hommes. Ainsi commencent les réflexions profondes des deux immenses figures politiques. Evidemment, les sujets résonnent encore particulièrement aujourd'hui :  l'art et la manière de gouverner la France,la définition même du gaullisme, l'avenir de l'Union Européenne...

© François Vila
Le Crépuscule c'est la petite histoire dans l'Histoire, des conversations entre parenthèses. Non sans humour, Philippe Girard et Sébastien Rajon livrent un jeu puissant sans basculer dans la pâle imitation. Philippe Girard interprète un Général plein de droiture qui s'offre quelques moments de légèreté sans nécessairement afficher un grand sourire et Sébastien Rajon porte avec lui toute la justesse requise pour manier le sens de la formule chère à André Malraux. Il faut mettre de côté l'aspect purement idéologique et se laisser transporter dans cet excellent combat oratoire. Le temps d'une nuit bleue, tantôt dans le bureau, tantôt dans une bibliothèque - le décor change sous les yeux du public avec une sorte d'effet arrêt sur images des comédiens -, les deux hommes refont le monde à l'heure où tout est en train de basculer. 

La Fin de l'homme rouge @Bouffes du Nord, le 21 Septembre 2019



Ou le temps du désenchantement titrait Svetlana Aleksievitch. Le sable blanc au sol envahit le plateau comme la neige recouvrirait la Russie en hiver, les planches sont comme une route qui s'effrite, un bureau d'écolier qui tombe en ruine, une vieille carcasse de voiture côté cour, des silhouettes d'astronautes soviets sont projetées sur les façades l'ambiance est posée. Celle de la fin d'un monde. Pour son essai, l'auteur russe est allée au plus près de celles et ceux qui ont vécu la fin de l'ex-URSS et Emmanuel Meirieu s'est chargé de les mettre en scène, les orchestrer.

Tour à tour, ils vont se raconter et partager leur vision de la fin du communisme. Et, l'entrée en matière est pour le moins qu'on puisse dire poignante : le récit d'une mère dont le fils s'est pendu. Anouk Grinberg habite une mère désemparée, aux yeux embués, impuissante face au drame. L'ami de son fils prend la suite, Stéphane Balmino marche désormais dans et pour le nouveau monde qui s'offre à lui et sa génération, laisse échapper quelques notes de sa guitare. Evelyne Didi revêt le rôle de la môme des goulags perdue entre l'idéologie voulue et celle ancrée en elle depuis toujours. Comme possédé, Jérôme Kircher raconte, traumatisé et horrifié son passé de soldat en Afghanistan. Xavier Gallais touche avec un semblant de légèreté avec le partage du souvenir de la mystification imposée dans l'enfance de son personnage, Maud Wyler émouvante en amoureuse d'un irradié de Tchernobyl et terminer sur les mots d'André Wilms, transformé en militant communiste de la première heure - dont la présence ne sera qu'en vidéo -. La voix de Catherine Hiegel devient celle de la journaliste qui nous accompagne dans ces histoires singulières au service de l'Histoire. Les images d'archives de chutes des sculptures de Lénine se succèdent jusqu'à l'obscurité.

Chacun des acteurs habite son personnage, fait corps avec son témoignage et se livre avec son émotion la plus forte pour nous toucher au plus près du cœur. Un seul bémol ici, le manque d'investissement de l'espace scénique de la part des comédiens qui se succèdent sur les planches surélevées sans jamais venir fouler le sable.  

An Irish Story @Théâtre de Belleville, le 15 Septembre 2019


© David Jungman
A l'heure du Brexit, aller voir An Irish Story au théâtre de Belleville c'est faire le pari d'une bonne soirée sans prise de tête. Kelly Rivière maîtrise parfaitement la situation pour notre plus grand bonheur. 

Elle est postée devant les cordes à linge, avec tout plein de photos comme on le ferait dans une enquête policière. La jeune metteur en scène - comédienne s'est mise en tête de nous partager sa quête. Du jour au lendemain Peter O'Farell, son grand-père, a disparu sans laisser de trace . Du moins, il a laissé sa femme et ses enfants. Kelly décide de le mystifier au fil de ses rencontres - amoureuses notamment -  Tantôt Grandpa O'Farell était un explorateur qui se mettait en danger, tantôt un haut dirigeant. Kelly n'est obsédée que par une chose : en apprendre davantage sur lui. 

Rivière est seule sur le plateau et fait intervenir un peu plus d'une quinzaine de personnages tous aussi attachants les uns que les autres. Elle suscite l'admiration de par sa maîtrise des accents british/irish et toute l'énergie qu'elle déploie au service de tous ses personnages : mimes, danse, grimaces... Tout y passe. Si le décor ne change pas, elle parvient à nous faire voyager uniquement grâce à ses personnages et nous faire visualiser un lieu - Londres dans les yeux de son frère par exemple est savoureux -. Elle parvient à nous entraîner dans sa quête et partager ses plus belles émotions le tout dans un rythme trépidant. 



Put your heart under your feet... and walk ! @Centre Pompidou, le 19 Septembre 2019


 © Pierre Planchenault
Parfois, au-delà d'un metteur en scène, du casting, de la pièce, on se laisse guider par son instinct. Ce dernier ne m'a jamais vraiment faussée compagnie mais ce jour-là, avouons qu'il m'a conduite dans une performance-cérémonie des plus... obscures.

La grande salle du Centre Pompidou est plongée dans l'obscurité. A l'avant du plateau côté jardin, une étrange structure ressemble à un manège de tourne disques. Au même niveau côté cour, une multitude de chandeliers peuple l'espace.  L'écran placé en fond de plateau s'allume : le pied de l'artiste en gros plan en pleine session de tatouage. Steven Cohen imprime les mots de l'être tant aimé - Elu - dans sa peau qui donneront naissance au nom de sa création : Put your heart under your feet... and walk !  (Mets ton coeur sous ton pied... et marche !).

Silencieusement, l'artiste entre sur le plateau. Les seuls bruits audibles sont ceux des cercueils blancs maintenus debout faisant office de talons à ses chaussures - déjà surélevées - et ses immenses béquilles. Vêtu d'un bustier blanc et d'un tutu assorti, Steven Cohen traverse le plateau blanc clinique où sont parsemés des chaussons de danse dont quelques uns nous seront montrés à l'écran. Son teint est fardé d'un blanc aussi pur que celui de son costume. Son visage se voit complété par des ailes de papillon, des paillettes, faux-cils et son crâne compte quelques petits arbustes.

De nouveau à l'écran, l'artiste sud-africain déambule toujours en hauteur - les cercueils et béquilles en moins - dans ce qui s'apparente à un jardin japonais. Paisible et plein de grâce, il nous partage ses mouvements dans un univers rêvé presque magique aux couleurs pastels rappelant son costume. Un peu plus tard, il reviendra sur le plateau pour transporter les tourne-disques formant une polyphonie aux sonorités anciennes.

Et là, le rêve s'estompe pour laisser place au cauchemardesque, macabre. Immersion dans un abattoir. L'artiste n'a rien retiré de son costume aux couleurs pures. Le voilà dans le temple de la mort, au milieu des bestiaux suspendus. Il s'immerge littéralement dans un bain de sang. Une bête tuée en parallèle, l'artiste laisse les gouttes tomber sur son visage comme on prendrait la pluie. Le passage est long. Il faut l'admettre ; il est terriblement dérangeant. Trois options : fuir, subir ou fermer les yeux. (J'ai opté pour la seconde en déglutissant le peu de salive qui pouvait encore habiter ma bouche. Je n'avais pas mangé avant et je n'envisageais pas une seconde de le faire après.) La séquence se termine dans un sable noir comme du goudron qui ne laisse entrevoir que son visage.

Pour clore la cérémonie, Steven Cohen allume les chandeliers un à un et prend la parole. Il ne récite aucune prière, absorbe une cuillère à soupe des cendres du disparu et articule quelques mots qui résonnent encore ;  "My taboos are not yours" (Mes tabous ne sont pas les vôtres). Il disparaît lui-même progressivement dans un nuage de fumée blanche.

Il est certain que ce spectacle heurtera la sensibilité de certains d'entre nous. Il n'en est pas moins fort, radical et émouvant à sa manière.


Quelques images...

Tchekhov à la folie @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 15 Septembre 2019


Succès de la saison 2018 - 2019 du Théâtre de Poche-Montparnasse, Tchekhov à la folie passe par la case reprise pour cette saison 2019-2020. On prend les mêmes - Emeline Bayart, Jean-Paul Farré et Mathieu Boulet (en alternance avec Manuel Le Lièvre) sous la direction de Jean-Louis Benoit - et on recommence de plus belle dans la grande salle. Le trio s'active autour des deux pièces en un acte du dramaturge russe La demande en mariage suivie de L'ours. Deux "plaisanteries" qui prennent des allures de farces poussées à l'extrême.

Pour La demande en mariage le plateau se transforme en modeste maison de campagne russe dont la conception est signée Jean Haas. On retrouve très vite l'ambiance champêtre dans le mobilier et les costumes, ne manquerait plus que l'odeur. Et très vite, Jean-Paul Farré nous fait entrer en matière et, pour le moins qu'on puisse dire, le volume était au maximum. Agité, survolté comme à son habitude, le comédien ne manque absolument pas d'énergie et entraîne avec lui ses partenaires Emeline Bayart et Mathieu Boulet. Bayart livre ici ses plus belles grimaces et un jeu vif. Pendant que Mathieu Boulet un peu plus sur la réserve, parvient progressivement à trouver sur quel pied s'animer.

Pour L'Ours le cadre se fait un peu plus bourgeois. Le trio redouble d'énergie à en faire vibrer les planches et décomposer quelques bouts de décor. Tchekhov, que l'on connait pour sa plume critique de sa société, prend des allures de théâtre de boulevard et est emporté dans un tourbillon absurde.


The Way she Dies @Théâtre de la Bastille, le 14 Septembre 2019


© Filipe Ferreira
Après avoir entendu le vent souffler l'an passé dans ce même théâtre de la Bastille, il fallait venir entendre se mélanger le français, le portugais et le flamand autour d'une formidable libre adaptation du roman Anna Karénine du russe Léon Tolstoï.

Quelques éléments de décor suffisent à meubler le plateau de la grande salle : un banc mobile, une table, des chaises et le fameux roman du russe côté jardin. Pendant qu'une sorte de cuisine occupe le côté cour. Tantôt dans une gare, tantôt dans un salon toujours hors du temps. Deux couples, deux histoires et un roman. Voilà tout.

Lorsque les spectateurs entrent dans la salle, Frank Vercruyssen et Jolente De Keersmaeker sont déjà là, côté jardin. Il ne parvient pas à se détacher du roman Anna Karénine, héritage de sa mère récemment disparue alors que son épouse délaisse progressivement sa jupe rouge - comme une métaphore d'une passion qui s'effiloche - lui explique tout son désamour en oscillant entre l'humour (cf. le propos sur les yaourts) et la dureté. Quant à Isabel Abreu et Pedro Gil, au Portugal, ils posent les premières pierres de leur foyer mais Isabel Abreu s'éprend - elle aussi - d'Anna Karénine que lui a offert un photographe belge et commence à douter de ses sentiments, de ses ambitions pour son couple...

Ces couples qui se désarticulent sont chargés d'émotions, de poésie. Ils nous partagent la beauté des langues en passant par la subtilité de la traduction en rappelant le pouvoir de la littérature sur nos vies. Chacun des couples interrogent ses principes, sa vision de l'amour pour revivre le désir et la passion amoureuse. Les quatre comédiens offrent un délicieux moment de théâtre. Leurs fragilités, leurs mots, tous les ingrédients sont savoureux et si savamment dosés.


  

Oreste à Mossoul @Théâtre Nanterre-Amandiers, le 10 Septembre 2019

© NTGent
Le metteur en scène suisse Milo Rau a ouvert le Festival d'Automne à Paris en présentant sa création Oreste à Mossoul au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Quel spectacle ! Milo Rau s'est emparé de la tragédie grecque d'Eschyle L'Orestie et prend pour décor l'Irak et plus particulièrement la ville de Mossoul, sous le joug de l'Etat Islamique.

Mad world des Tears for Fears accompagne les spectateurs qui arrivent progressivement dans la salle. Sur le plateau, un piano électrique et dans le fond, une sorte de cabane côté jardin, des ruines et un restaurant aux inscriptions arabes côté cour. Entre ces deux "mondes", un écran sur lequel sont projetés des images tournées soit en direct soit antérieures. Les comédiens sont déjà là, en retrait mais bien présents. L'arabe, le flamand et l'anglais cohabitent.

Ce qui fascine ici c'est la juxtaposition du jeu inscrit dans le moment présent et les scènes tournées en Irak qui peuvent parfois se compléter. La frontière avec la fiction n'est plus très épaisse. Le metteur en scène s'efforce de maintenir la violence à une juste distance, ce qui ne l'empêche pas de la pousser radicalement dès que "nécessaire". La dimension documentaire de ce spectacle en ressort beaucoup plus forte. Il est certain qu'ici le spectacle se dessine comme un récit initiatique pour les comédiens sur le plateau et comme un véritable témoignage pour ceux à l'écran. Et c'est sans doute cette alternance des deux registres qui fait la force de ce spectacle.









Strip-Tease 419 @Théâtre de Belleville, le 08 Septembre 2019


Curieuse idée que de (re)créer sur scène un épisode de l'émission belge culte - qui a fait, par ailleurs, son grand retour sur nos écrans français pendant la saison estivale - Strip-Tease. C'est la proposition originale du collectif La Capsule que retiendra le Théâtre de Belleville jusqu'à la fin du mois de septembre 2019.

Un chantier avec un tas de graviers, un mur recouvert de graffitis et un banc, voilà le décor pour le moins urbain choisi par le collectif pour cet épisode d'un nouveau genre - théâtral en l'occurrence - s'inspirant de quatre épisodes déjà existants et des échanges qu'ils ont pu avoir avec les producteurs et l'un des réalisateurs. Tout ce petit mélange a permis la naissance de l'épisode final : le 419.

Et que relate celui-ci ? La vie semée d'embûches de Sarah - Christine Boussaha - une jeune quelque peu paumée qui se retrouve à travailler sur un chantier comme on ne veut d'elle ni au foyer ni au lycée. Un peu vulgaire, agressive et presque incontrôlable, Sarah n'a rien d'une ado ordinaire et on ne peut plus mettre ça sur le compte de la crise. Sur le chantier, elle sympathise avec Jean - Paul Meynieux -. Lui aussi a ses défauts mais sait se comporter - à peu près - correctement. Ces deux jeunes gens - que l'on ne se surprendrait pas à qualifier de "cassos" - sont encadrés par leur tuteur Bruno - Thomas Larbey - impuissant face à leurs attitudes déconcertantes. Le metteur en scène Paul Lourdeaux choisit d'intégrer le personnage du réalisateur - qu'il confiera à Quentin Kelberine - pour commenter façon voix off ses choix.

De la même manière que face à un épisode télévisuel, on ressort avec des interrogations sur ce qu'on vient de voir : était-ce voyeuriste ? Est-ce qu'on a regardé pour se rassurer ? On retrouve le même esprit documentaire de l'émission. Au niveau de l'interprétation, les comédiens se font plaisir, déploient toute leur énergie en croisant parfois le surjeu.


Les Vagues @Théâtre de Belleville, le 06 Septembre 2019


Ils sont six. Ils portent du noir et blanc et occupent le plateau dans l'obscurité. Progressivement la lumière se diffuse dans la salle. Le décor est loin d'être surchargé ; il est composé principalement et simplement de chaises et d'une table recouverte d'un drap blanc. L'ambiance est lourde. Ils viennent d'enterrer leur ami ; Perceval. 

Un ami dont ils ont tous un souvenir singulier. S'enchaînent les souvenirs de chacun. Tour à tour, ils se rappellent et revivent des situations. Le jeu de lumières en tout en clair-obscur très cinématographique permet de recréer un univers qui s'avère être l'intime pour chacun des personnages, comme si le spectateur s'offrait un plongeon dans leurs âmes. Il offre des tableaux presque oniriques. Sans pour autant saisir la personnalité de Perceval, on comprend une volonté de s'échapper, de se détourner de la mort. Et tout comme cette alternance dans l'éclairage, les tableaux oscillent entre gravité et comique. 

Les six comédiens dirigés par la jeune Georgia Azoulay offrent une pièce complexe et raffinée à l'image de l'écriture de l'oeuvre originale de Virginia Woolf qui se lit tantôt en prose tantôt en vers. 




Jules @Théâtre de Belleville, le 05 Septembre 2019


Chacun est placé dans un coin du plateau. Ils forment un carré. Ils entrent un par un, commencent à former une chaîne. 
Chacun fonctionne comme un automate, avec les bruitages que les comédiens font eux-mêmes. Très vite l'univers du fast-food est recréé sans un seul élément de décor, ou juste, celui des corps. En retrait, côté cour, un espace cuisine avec une cocotte et des légumes, une ratatouille est en préparation. 

Jules, c'est ce jeune nouvel arrivant au fast-food, qui va chercher à s'intégrer à cet univers. Tant bien que mal Jules tentera de remettre la vérité en place ; il s'appelle Barth. Ses collègues qui empilent des boîtes avec enthousiasme, l'obsédé du "bac", sa supérieure franglaise à l'humour pour le moins spécial, les clients - parmi lesquels un critique culinaire prêt à démonter StarBurger qui finit par s'amouracher de la gérante -, tous ont des caractères loufoques et s'avèrent terriblement attachants. Les personnages passeront tour à tour par l'espace cuisine, où ils y trouvent leur parenthèse, leur bulle de réflexion et en sortent grandis. 

Mickaël Allouche et sa joyeuse compagnie Carrelage collectif - Juliette de Ribauourt, Adrien Madinier, Barthélémy Maymat et Paul Scarfoglio - livrent un récit savoureux, un bouillon d'ingéniosité et de créativité. L'humour est présent à chaque instant. Quant à l'aspect tragique, il n'est jamais très loin. Le jeune metteur en scène n'hésite pas à citer des sources d'inspiration très graphiques dont notamment la bande dessinée - il fait mention de Goscinny, Sempé et Larcenet - et le dessin animé - Tex Avery -. Et le ressenti fonctionne à merveille notamment dans les mimes et bruitages. Jacques Demy figure incontournable de la comédie musicale trouve également sa place et le duo des presque jumeaux offre un bel hommage au créateur des Demoiselles de Rochefort

Hiroshima mon amour @Bouffes Parisiens, le 07 Juillet 2019


Presque timidement, elle arrive dans la pénombre par le fond du plateau sur ses hauts et fins talons. Fanny Ardant est vêtue d'une robe noire. Elle porte en elle le deuil. Le deuil d'un amour. Le décor est au plus sobre ; un fauteuil de velours assorti à la robe tient compagnie à la comédienne, un subtil jeu de lumières et la voix off de Gérard Depardieu habillent le plateau des Bouffes Parisiens.

Et voilà que les deux échangent, font revivre leur passion éphémère. La voix rauque de la comédienne fait résonner les beaux et déchirants mots de Marguerite Duras "Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir." et Gérard Depardieu, plus sobrement sans pour autant manquer ni de justesse ni de douceur lui répète le blessant "Tu n'as rien vu à Hiroshima. Rien."  L'absence physique de Gérard Depardieu permet de jouer avec la confusion des amants. Est-il l'allemand ou bien le japonais ? La tentation de dire qu'il s'agit du japonais est très forte mais nager dans le trouble s'avère un plaisir.

Hiroshima mon amour mis en scène par Bertrand Marcos gagne le pari d'un spectacle poétique et touchant célébrant la rencontre réussie d'un texte et de voix se fondant sur le magnifique morceau Oblivion d'Astor Piazzolla.




Electre / Oreste @Cinéma Gaumont Opéra, le 17 Juin 2019


(Première expérience du théâtre au cinéma.)

© Jan Versweyyeld
L'homme de théâtre belge Ivo Van Hove aime particulièrement mettre en scène la radicalité de la violence. Trois ans après avoir présenté Les Damnés dans la cour d'honneur du Palais des Papes avec la troupe de la Comédie Française, il remet le couvert en mêlant deux oeuvres du répertoire grec d'Euripide : Electre et Oreste pour n'en faire qu'une Electre / Oreste. L'histoire de vengeances terribles. Celle d'Electre qui mise à l'écart de la cité venge son père en faisant tuer l'amant de sa mère. La jeune Electre ne s'arrête pas là. Elle pousse son frère au matricide. Les voilà entraînés dans une folie meurtrière. 

On a connu le titre De rouille et d'os - le film de Jacques Audiard -, le belge aurait pu baptiser sa pièce De boue et de sang. Le plateau est totalement recouvert de boue, Jan Versweyveld ne s'est pas senti limité dans le dosage. Un seul élément de décor semble "au sec" : le domicile familial qui progressivement s'apparente à un véritable abattoir. Sorte d'urne à taille humaine placée au centre du plateau, le cabanon carré voit défiler les comédiens. C'est sur ce terrain particulièrement glissant que les acteurs rampent, s'affrontent. Ils l'arrosent eux-même par le sang qui ne cesse de couler de toutes parts. 

C'est dans cette ambiance sanguinaire et une nouvelle célébration du mal que s'investit pas moins d'une vingtaine de comédiens. Mention spéciale au trio de personnages principaux : Christophe Montenez / Suliane Brahim / Loïc Corbery qui se donnent à corps perdu dans ce bain de sang. Au-delà de l'immersion dans la boue, les trois comparses sont au sommet. Le bruit et la fureur flirtent toujours ensemble et Ivo Van Hove en qualité de maître de cérémonie, magnifie ce couple. 

Faire l'expérience du théâtre au cinéma c'est se confronter à un point de vue variable. Tantôt au centre pour une vue panoramique, tantôt au plus près des comédiens et de leurs pulsions, le spectateur profite d'une mise à distance raisonnable.


Mary said what she said @Théâtre de la Ville - Espace Pierre Cardin, le 09 Juin 2019


© Lucie Jansch
L'épais rideau rouge de la salle de l'Espace Pierre Cardin s'ouvre. Tout en tournant le dos au public, Isabelle Huppert se tient droite, figée dans sa volumineuse robe aux couleurs sombres. Puis, elle se retourne. Elle se livre enfin. La musique itérative de Ludovico Einaudi l'accompagne lorsqu'elle exécute ses pas mécaniques toujours plus rapides, presque hypnotiques qui la dirigent tantôt vers l'avant du plateau, tantôt vers le fond, jamais sur une ligne droite, toujours en biais - à l'image des travers dans la vie tourmentée de Mary Stuart, reine d'Ecosse ? -. C'est dans le blanc clinique de Robert Wilson ponctué de quelques variations de bleu, gris, orange clairs presque pastels qu'évolue la comédienne.

On assiste à un exercice voire une performance de diction particulièrement forte durant laquelle, au-delà d'un texte complexe aux nombreuses répétitions, la langue de l'actrice ne fourche quasiment jamais. Isabelle Huppert s'avère être en position de force, du haut de sa fraise maintenant son cou, elle maîtrise ses traits du visage lors de passages où les grimaces sont de mise sous une lumière verte - proche de la kryptonite - et les anime pour des rires presque cruels. Isabelle Huppert est devenue la poupée de porcelaine au visage si pâle de Robert Wilson et livre une prestation grandiose.

Saigon @Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier, le 05 Juin 2019


© Jean-Louis Fernandez
Succès du Festival d'Avignon 2017, présentée la saison dernière à l'Odéon, la création de Caroline Guiela Nguyen revient aux ateliers Berthier. Saigon c'est une traversée dans le temps de la guerre d'Indochine avec une vue en alternance : Vietnam de 1956 et France en
1996.

Emouvante à souhaits, Saigon est chargée de larmes. Vietnamiens et français cohabitent, les langues aussi. Par plusieurs voix c'est la douleur qui s'exprime et ce, à plusieurs niveaux : le vietnamien, le français d'origine vietnamienne, le vietnamien devenu français... Onze comédiens sont réunis sur un plateau au décor unique - un restaurant vietnamien - à plusieurs époques. Dans le restaurant de Marie-Antoinette, on mange, on y danse, on y célèbre la vie, l'amour comme on peut y boire et, y souffrir... Divisé en trois grandes zones ; les cuisines, la salle kitsch et une scène avec un micro sur pied, le lieu de vie accueille les fragments intimes de chaque personnage.

Se mêlent alors les langues françaises et vietnamiennes, les spectateurs se retrouvent parfois confrontés à la même frustration que les personnages francophones qui veulent à tout prix comprendre ce qui est dit. Les non-dits sont dans une langue que l'on ne comprend pas. Onze comédiens sont réunis sur le plateau et livrent un jeu touchant et juste. Certaines scènes offrent une esthétique quasi cinématographique.

© Jean-Louis Fernandez
Les récits qu'ont pris le temps d'écouter Caroline Guiela Nguyen et sa compagnie Les Hommes Approximatifs prennent vie. De Paris 13ème à Hô Chi Minh-Ville, ils ont transporté avec eux les émotions, les fragilités de chacun ou encore les histoires d'amour déchirantes, tout est touchant. Les spectateurs français sont amenés à se rappeler la dureté de leur passé colonial. Non, la colonisation n'apporte rien de bon.