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La mélancolie des dragons @Centre Pompidou, le 10 Décembre 2023

Philippe Quesne est revenu avec sa création La mélancolie des dragons. L'hiver s'installe progressivement à Paris mais la neige n'est toujours pas là. Le plasticien la fera venir à nous. Comment raconter ce spectacle unique en son genre ? Hommage à nos rêves de grands enfants ? Mais n'est-ce pas là une définition même des spectacles de Quesne

© Pierre Grosbois

Imaginez un plateau enneigé. Une Citroën AX qui tombe en panne à laquelle est rattachée une remorque. Des hard-rockeurs bien chevelus, des bières et un paquet de chips. Et un chien. Voilà on vous plante ce décor-là comme ça. Il y a aussi Isabelle à vélo qui n'a rien demandé et qui se retrouve là à les accueillir un peu par la force des choses. Et sous ses yeux ébahis vont naître des attractions d'un parc à thème. Machine à bulles, vapeur, des perruques suspendues, une bibliothèque - où l'on trouve du Artaud -, un vidéoprojecteur ou encore des bâches gonflables, un rien suffit à créer une attraction. Finalement c'est ça l'élément central : la conception en temps réel d'un parc d'attractions pour le moins éphémères. 

Les hard-rockeurs échoués semblent surtout être de grands enfants qui s'émerveillent de leur création. Comme toujours chez Quesne, les dialogues et les situations sont parfaitement absurdes. Ici, on sourit à chaque "Regarde Isabelle !".  Dans la salle, nous sommes tous des Isabelle. Et on jouera le jeu jusqu'au bout. 

Extinction @Théâtre de la Ville, le 05 Décembre 2023

Il faut toujours un peu de temps pour se remettre d'un spectacle de Julien Gosselin. Il est vrai que pour Extinction, on a peut-être exagéré un peu pour revenir sur le spectacle mais voilà. Les mots sont désormais posés. Retrouver les murs du Théâtre de la Ville pour un grand spectacle, c'est chose faite. 

© Simon Gosselin

Après avoir osé un spectacle où les répliques se lisent en autotune, le jeune metteur en scène et sa compagnie nous embarquent au milieu des acteurs à même le plateau. La foule d'aventuriers spectateurs est sur le plateau, s'ambiance sur fond de musique techno noire très organique - la voix de l'incontournable Victoria Quesnel -. Pour ceux restés dans les traditionnels fauteuils, projection des danseurs-figurants à l'écran avec pour seule énigmatique légende "Roma Décembre 1983" après Extinction. Les comédiennes Rosa Lembeck et Victoria Quesnel se chercheront à travers la foule et échangeront quelques répliques. 

De figurants-acteurs, ils seront renvoyés à leur statut premier de spectateurs pour la deuxième partie, plus massive, plus dense. Le plateau est désormais une maison mais le nordiste conserve à nouveau le mystère en ne laissant rien de visible. On ne verra que la façade. L'intérieur se dévoile sur les écrans dans des images en noir et blanc. La scène ne se déroule plus à Rome, mais à Vienne. Nous ne sommes plus en 1983 mais en 1910. On parle culture, peinture et littérature dans le salon pendant que d'autres s'adonnent à la luxure. Ce petit monde extravagant, masqué se livre doucement à la création d'un régime fasciste. Un poison qui affecte lentement mais massivement. C'est le temps de l'apocalypse joyeuse. C'est ce qui fait la beauté saisissante de ce spectacle. Le noir et l'or ont toujours fait bon ménage - n'y voyez pas une allusion au volume de Tintin au pays de l'or noir, il n'en est rien -. Gosselin et sa bande (Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Victoria Quesnel et Maxence Vandevelde) associée à la Volksbühne de Berlin (Rosa Lembeck, Marie Rosa Tietjen, Max Von Mechown et Zarah Kofler) font un incroyable travail d'adaptation pour que l'on assiste à un grand moment de théâtre. La mise en abyme du théâtre dans le théâtre est une fois encore remarquable. On est toujours admiratifs des images des caméramen toujours au plus près des personnages, de leurs émotions. 

Cette deuxième partie s'achève sur un jeu de massacre réel. La fin, la vraie Extinction c'est celle qui sera interprétée par Rosa Lembeck qui s'empare des mots de Thomas Bernhard et nous embarque avec elle. Au-delà de la petite cinquantaine de personnes réunies - à nouveau spectacteurs - autour d'elle dans sa conférence, c'est la foule de spectateurs. Adresse à l'humanité toute entière. Rappelons nous du passé, pour mieux bâtir demain. 




Orphelins @Théâtre de Belleville, le 03 Décembre 2023

C'est officiel : on ne se lassera jamais des créations du collectif normand La Cohue. S'ils l'avaient déjà joué, on n'avait pas pu s'y rendre, voilà que nous nous rattrapons. 

A peine entrés dans la salle, le collectif nous propose un tri-frontal. Nous choisissons de nous positionner de manière classique. Il n'empêche que je serai prise à partie indirectement : ma voisine a le même prénom que moi. Au premier plan, une table de cuisine sur laquelle est posée une enceinte portative, deux chaises de part et d'autre. Un peu plus loin, un élément surplombé d'un four micro-ondes et d'une cafetière. La narratrice (Loreleï Vauclin) se fond dans le décor mais elle est bien là physiquement devant son ordinateur et vocalement. 

© Virginie Meigne

Alors que Danny (Julien Girard) et Helen (Sophie Lebrun) se retrouvent pour un dîner en amoureux, Liam (Martin Legros) - le frère d'Helen - débarque.  Il porte un tee-shirt ensanglanté. Du sang qui ne lui appartient pas. Son discours est confus. La soirée prend une toute autre tournure. 

Deux éléments sont ici particulièrement forts : la volontaire lecture des didascalies et le travail autour du son - notamment quand Liam mange -.  Le dispositif scénique force le public à intégrer le conflit en créant du trouble en jouant sur la fiction et le réel - la pause interroge -. La tension qui anime chacun des personnages est ressentie au plus près. Un huis clos duquel on ne veut pas sortir tant que ne sera pas clarifiée la situation. Les regards, les gestes tout se ressent plus fort. 

Martin Legros incarne remarquablement bien le désorienté Liam tant dans sa diction que dans ses gestes confus, il créée l'illusion parfaite. Le duo Girard/Lebrun ne reste pas à la marge, bien au contraire, il amplifie l'angoisse jusqu'à révéler le monstrueux.  



L'Esthétique de la résistance @MC93, le 11 Novembre 2023

La dernière fois qu'on a vu une création d'un autre enfant terrible du théâtre Sylvain Creuzevault pour ne pas le nommer c'était aux Ateliers Berthier (Odéon 17ème) pour Edelweiss France (Fascisme). On n'en a pas parlé ici. Non pas qu'on n'ait pas aimé. C'était un exercice de très bonne facture mais on a eu un peu trop d'absences - les signes de fatigue sont terribles - et l'œuvre était particulièrement dense. Plutôt que risquer un retour à mi-parcours, on a préféré ne rien dire. Rattrapage efficace avec L'Esthétique de la résistance et inscrit dans un drôle de concours de circonstance. 

© Jean-Louis Fernandez

Entre 1971 et 1981, Peter Weiss signe trois tomes d'une œuvre qualifiée aujourd'hui de chef-d'œuvre de la littérature du XXème siècle. Plus de 800 pages sans dialogue ni paragraphe. La matière de départ est pour le moins périlleuse et ambitieuse : "Une Iliade du mouvement ouvrier et de la lutte contre le fascisme au XXe siècle, voilà ce qu'est L’Esthétique de la résistance, roman-monde de l’écrivain et dramaturge allemand Peter Weiss" écrivait Le Monde en 2017.

Creuzevault et sa compagnie Le Singe adossés aux étudiants du groupe 47 de l’École du Théâtre National de Strasbourg sont parvenus à recréer la fresque politique en la soutenant rythmée et accessible - tant par la langue que l'approche scénique -.  

Pas moins de 17 comédiens sur le plateau qui font le récit de l'impact de la micro-histoire dans la grande Histoire. Les œuvres peuplent le plateau. Et ce, parfois totalement recrées devant nous - mentions spéciales au 3 de Mayo de Goya et à la séance de travail de Mère courag-. Et c'est ce côté très picturale qui est très fort dans ce spectacle, au-delà de sa dimension politique. Les comédiens parviennent à tous nous toucher de par la grande sincérité de leur jeu. 



Le Jardin des délices @MC93, le 20 Octobre 2023

Heureux les chanceux festivaliers qui ont pu voir la création du plasticien Philippe Quesne en plein air dans la Carrière de Boulbon à l'occasion du Festival d'Avignon ! Non pas que la salle Oleg Efremov de la MC93 ne fasse pas l'affaire mais le décor naturel en valait clairement la chandelle. 

© Martin Argyroglo

Un autocar. Un œuf géant. Une plage. Huit explorateurs au look de cowboys équipés de pelles et de pioches. Place à l'exploration en terre purement quesnienne ! Celle qui est poétiquement inspirée de notre bien aimée planète. Nos explorateurs du jour se réunissent autour de l'œuf et entament une espèce de cérémonie : flûtes, guitare et tambourins sont de sortie. Les touristes d'un nouveau genre naviguent dans l'espace et le temps, questionnent profondément l'existence, chantent et lisent ensemble. L'orage vient les interrompre et les propulsent dans une époque plus moyenâgeuse. Les voilà propulsés dans le tableau de Jérôme Bosch - sans que le décorum soit reconstitué, on le devine -. S'enchaîneront des moments toujours plus fantasques les uns que les autres. 

L'imaginaire de Philippe Quesne ne connait aucune limite et c'est sans doute ce qui nous touche le plus dans son travail sans cesse renouvelé. Entouré de ses meilleurs clowns - Isabelle PrimElina LöwensohnJean-Charles Dumay, Léo Gobin, Sébastien Jacobs, Nuno Lucas,  Thierry Raynaud et Gaëtan Vourc’h - il nous embarque dans des mondes si loin si proche, riches en douceur et en poésie. 


Avant la terreur @MC93, le 11 Octobre 2023

Six ans. Autant dire une éternité. Mais c'est bien le temps que les plus grands macaignophiles ont du attendre pour le voir revenir au théâtre. Au cinéma, il s'est fait remarquer positivement aussi bien pour Emmanuel Mouret qu'avec Elie Wajeman ou encore chez Rémi Bezançon. Même sur petit écran pour Olivier Assayas dans Irma Vep. L'enfant terrible est de retour. Il aura beau dire qu'il n'a jamais quitté le théâtre, on ne l'avait pas vu en chair et en bruits depuis six ans. Quand on a appris qu'il travaillait sur la matière shakespearienne Richard III on a commencé à attendre non sans impatience et beaucoup (beaucoup) d'exigence(s). Il y avait tellement de potentiel. Et tout ça s'est malheureusement conjugué à l'imparfait... "Fermez les yeux. Oubliez Shakespeare et votre avenir" nous intimait la reine Elizabeth - ici Sofia Teillet -.

© Simon Gosselin

Alors oui, Vincent Macaigne est resté fidèle à son utilisation des fumigènes, de la matière tantôt boueuse tantôt sanguinolente, au volume toujours plus fort - quoique pas de boules quiès distribués ! Ceux dans le sac devait probablement dater d'En manque - et sa bande de copains : Pascal Rénéric dans le rôle titre, Pauline Lorillard, Sharif AndouraThibault Lacroix, Sofia TeilletCandice Bouchet à laquelle se grefferont  Clara Lama Schmit, Max Baissette de Malglaive et des enfants en alternance : Camille Ametis, Clémentine Boucher ou encore Lilwen Bourse. Mais où est passée toute la monstruosité de Richard ? Toute la famille Gloucester est atteinte de cette folie sanguinaire. Mais Richard chez Macaigne fait presque bande à part. 

Richard devient un roi maladroit, œdipien et pas des plus boiteux - on fera dire à un des personnage qu'il contrefait sa bêtise -. Alors oui, on se rappelle de l'impressionnante incarnation de Lars Eidinger dont il est clairement difficile de se défaire tant elle marque les esprits. Mais mettons la de côté le temps de l'interprétation de Pascal Rénéric qui nous avait pourtant convaincu dans Pour le réconfort. Mais ça ne prend pas. Il a beau rire comme un tyran, il perd en crédibilité. On va adorer les prestations du jeune Max Baissette de Malglaive et ses expressions lumineuses, pleines d'espoir pour la nouvelle génération - son monologue aux générations précédentes est une petite perle - et  de Pauline Lorillard en épouse rebelle - grand moment que celui de sa réplique sur son incapacité à aimer son mari -. On pense aussi à Sharif Andoura qui nous fera beaucoup rire - mention particulière au contexte de sa réplique "Il vaut mieux un petit accident qu'une grande restriction" -. Non pas que le reste de la troupe ne soit pas investie mais il y a quelque chose qui souffre - ou qui s'essouffle... -. 

Le texte ? Quelques envolées lyriques parsèment une réflexion qui gagnerait en profondeur. La scénographie ? Si Vincent Macaigne arrive à créer des images fortes, un peu plus de bruit et de fureur n'aurait pas été de trop... Il n'empêche qu'on restera toujours attentifs à son travail et qu'importe le terrain de jeu choisi. 




Ce billet est dédié à M., l'enfant émerveillé qui m'accompagnait 


The Confessions @Théâtre de l'Odéon, le 03 Octobre 2023

"L'homme est naturellement bon et c'est la société qui le déprave." d'un certain Jean-Jacques Rousseau qui lui-même écrivait Les Confessions pourrait résonner bon nombre de fois dans nos têtes pendant la représentation de The Confessions.

© Christophe Raynaud de Lage

On pense aussi à France Gall "Résiste ! Prouve que tu existes." The Confessions ou l'itinéraire d'une femme en quête d'émancipation. Celui de la mère d'Alexander Zeldin qu'il présente plus poétiquement comme "le portrait d’un cœur alors qu’il va cesser de battre". Tout démarre en Australie pour se finir à Londres. Une fresque intime dévoilée au grand jour. 

Amelda Brown entre sur le plateau comme une spectatrice pourrait s'aventurer vers lui sans quiétude particulière. Elle ouvre le spectacle devant un rideau qui lui-même renferme un décor d'une autre époque. Trois jeunes filles sont sur le point de célébrer une espèce de gala de fin d'année. Elles sont euphoriques. 

Un point de départ de toute une histoire marquée par les obstacles sociétaux qui n'ont jamais cessé d'exister à travers le temps. La jeune Alice Zeldin en quête de savoirs, de curiosités a connu l'amour obligé, la violence physique - celle qu'on ne verra pas mais qui marque toujours plus fort - et d'autres épreuves mais rien ne l'a réellement stoppé dans sa recherche de liberté. Alice est une battante. Alexander Zedin reconstitue un voyage particulièrement émouvant dans les époques. 

Ce qui nous a frappé c'est cette maîtrise des couleurs sur le plateau, laissant voir le vintage comme le plus récent de manière presque cinématographique dans un décor mouvant toujours plus réaliste. On traverse les époques avec une aisance très agréable. Amelda Brown sans être pour autant narratrice omnisciente, se fait porteuse garante de l'histoire. Avec elle, une troupe merveilleuse, lumineuse - avec en miroir Eryn Jean NorvillJoe Bannister, Jerry Killick, Lilit Lesser, Brian Lipson,  Pamela Rabe, Gabrielle Scawthorn et Yasser Zadeh - transmet, incarne avec toute la justesse son entourage. Il ne sera jamais question de s'apitoyer mais bien d'entrer en résilience avec Alice. 

  


L'Etang @Théâtre National de Chaillot, le 24 Septembre 2023

"Pour les parents, il est plus facile d'élever la voix que d'élever ses enfants."
Marc Favreau 

© Estelle Hanania

La pièce est blanche. Comme une espèce de boîte blanche clinique. Un lit. Huit mannequins sont placés ça et là. Des bonbons aux couleurs acidulées jonchent le sol. Le véritable bazar orchestré par un adolescent. Un petit poste de radio au pied du lit crache un morceau techno à pleine puissance. Les mannequins sont retirés un à un avec soin, en douceur. 

Quelques minutes passent, par le fond du plateau, pénètre d'un pas lent le duo de femmes. Adèle Haenel entre la première. Julie Shanahan la suit. Adèle Haenel incarne le jeune Fritz, sa fratrie et ses amis. Julie Shanahan prend corps dans les figures parentales le père et la mère de Fritz mais aussi la mère d'un des amis de l'adolescent. Fritz ne va pas bien. On va sonder et identifier les racines du mal avec lui. Le mal est profond. 

L'ambiance malsaine nous happe tout du long, grâce à un jeu de lumière très soigné d'Yves Godin qui bascule entre les couleurs vives rappelant les bonbons et le blanc clinique, cruel pour un enchaînement de tableaux . Le duo féminin secoue par la folie qui les dévore. Adèle Haenel impressionne dans ses multiples identités, toutes identifiables - grâce à une dissociation vocale - dans un même corps qui se métamorphose toujours plus sous nos yeux. Que ça soit dans ses mouvements, ses replis ou ses pulsations. Elle livre jeu puissant au service d'une pièce intense, dérangeante. Julie Shanahan donne tout dans les autorités parentales, elle déstabilise autant que sa partenaire, rappelant parfois la scandaleuse mère du roman de Georges Bataille porté à l'écran par Christophe Honoré en 2004 avec dans le rôle titre Isabelle Huppert.

L'ambiguïté exerce son magnifique pouvoir de fascination, les tableaux s'enchaînent en laissant planer un doute : et si Fritz était en train d'halluciner après sa tentative de suicide avortée ? Gisèle Vienne signe une mise en scène radicale et puissante, nous a convaincu d'une chose : l'eau trouble de L'étang n'a rien de tiède.




















Ca faisait déjà deux fois coup sur coup que je ratais le spectacle.
J'ai brisé la malédiction.
Je l'ai enfin vu.

Les yeux grands ouverts @Théâtre de Belleville, le 15 Septembre 2023

Tout ce qu'on croit c'est ce qu'on ne sait pas

Quand j'ai pris connaissance de la programmation du Théâtre de Belleville, je me suis arrêtée un moment sur Les yeux grands ouverts. Une pièce qui trouve une résonnance particulière en nous tous. En tout cas, elle a parlé à mon intimité, à mes peurs enfouies, à l'enfant qui m'habite encore, des thèmes qui m'ont traversée très récemment. 

© Sébastien Bonnabel

Sur un plateau complètement nu, la pièce s'ouvre sur une citation de la pédiatre Françoise Dolto projetée au mur "Les enfants sont les symptômes des parents". Les titres des quatre chapitres qui rythment le spectacle seront à leur tour projetés sur ce même mur. L'histoire est simple : Constance est une jeune fille récemment installée au Canada revient avec son compagnon Jérémian dans sa maison d'enfance pour organiser les 30 ans de mariage de ses parents. Elle a l'air enthousiaste pour 2 voire même 4. Ses parents, eux, ne s'en préoccupent pas tellement. La météo ? Le repas ? Les convives ? Non, vraiment, ça leur passe au-dessus. La pièce alterne entre les moments vécus et les moments inconscients de Constance atteinte de somnambulisme. La frontière entre réel et rêverie est si fine. 

On a découvert Pauline Cassan dans le très beau spectacle sur l'autisme Le jour où j'ai compris que le ciel était bleu, elle était déjà pleine de justesse et d'émotions. La retrouver ici c'est partager le même constat. Avec Philippe de Monts, elle forme deux duos impeccables. Tout en clair obscur, jouant entre les mises en lumière et les zones d'ombre sur les sentiments, les doutes, la complexité de la relation parents/enfants, les deux comédiens donnent corps et verbe - notons une belle écriture - avec brio. Les scènes de somnambulisme sont d'une grande poésie - certaines sont véritablement dansées -. Les yeux grands ouverts est une pièce pleine de délicatesse, finement tissée.


One song - Histoire(s) du Théâtre IV @Théâtre du Rond-Point, le 12 Septembre 2023

Des gradins. Une poutre. Un espalier. Un tapis de course. La grande salle du Rond-Point devient une espèce de complexe sportif le temps des représentations du spectacle d'ouverture de saison, la création de la belge Miet Warlop : One song - Histoire(s) du Théâtre IV

Run for your life
'till you die
'till I die
'till we all die

© Michiel Devijver


Knock knock
Who's there ?
It's your grief from the past

Quand on entre dans les lieux, une femme qu'on pourrait qualifiée d'âgée aux trois jambes, détient un mégaphone un peu foireux. Perchée dans les hauteurs des gradins, elle se fait arbitre ET commentatrice sportif dans une langue complètement incompréhensible - ou inaudible -. Elle laisse échapper des rires communicatifs. Un groupe de supporters écharpés la rejoindront dans les gradins. Un pompom boy plus à même d'être un derviche tourneur s'impose de temps en temps. Progressivement, les athlètes-artistes prennent leur place ; chanteur sur le tapis roulant, violoniste sur la poutre, claviériste à l'espalier, contrebassiste couché sur le tapis et percussionniste entre ses éléments. Au centre du plateau, l'élément perturbateur au sens propre : le métronome ! 

Une heure durant c'est une performance transdisciplinaire (sportive, musicale et profondément artistique) qui se joue devant nous, simples spectateurs confortablement installés. Une performance qui répète en boucle la chanson unique sur des variations rythmiques toujours plus complexes. Ca sonnait rock, ça vire au ska, ça en deviendrait punk. Les corps sont mis à rude épreuve. Le deuil - qui est l'origine de la pièce - est une épreuve sur le temps long. Et cette performance, on en sort encore plus forts. Et nos athlètes vont se donner à fond ils vont suer, subir, chuter, courir et ce, sans jamais abandonner !

One song est un objet fascinant. Il fait rire, chanter - quand on finit par comprendre les paroles - voire même hurler intérieurement. Le deuil est une performance humaine. One song nous le rappelle.



Wasted @Théâtre de Belleville, le 04 Septembre 2023

"Dis-leur que moi j'ai de la peine
Et que ton ombre se promène
Dis leur, dis leur
Comme c'est injuste la trentaine
Et que ton ombre se promène

Baden Baden - Dis leur

© Gulliver Hecq

On n'est jamais vraiment prêts à faire le deuil d'un ami. Jamais prêts à faire face à un départ qu'on n'a pas voulu. Et si ce départ c'était la promesse d'un nouveau lendemain ? Est-ce qu'on peut affronter des lendemains promis aux banalités quand les hier ne sont remplis de rien, du vide ? Est-ce qu'on peut ne jamais être prêts à devenir adultes ? Tant d'interrogations soulevées avec le verbe cru et poétique de l'anglais Kae Tempest dans Wasted - Défoncés en français mais aussi perdus, gâchés, fracassés, décharnés… -. Martin Jobert et ses comédiens lui donnent corps dans une scénographie épurée mais hautement symbolique. 

© Gulliver Hecq

Ted (Tristan Pellegrino), Dany (Simon Cohen) et Charlotte (Kim Verschueren) se retrouvent dix ans après la disparition prématurée de leur ami Tony, pour célébrer sa mort. "Célébrer" dans leur bouche n'est pas synonyme de triste rassemblement, non. Une occasion de plus de se mettre minables. Et soudainement c'est l'épiphanie : que sont-ils devenus en 10 ans ? La culpabilité les ronge progressivement, qu'ils n'ont pas su profiter des jours où tout était encore possible. Ils sont désormais enfermés dans des routines peu enthousiasmantes. 

Sur le centre du plateau, un monolithe lumineux - aux couleurs variées - sur un socle sur lequel les comédiens peuvent s'asseoir entre deux répliques. Une évocation de la pierre tombale mais pas seulement, il devient un café, un hangar où se tiendrait la rave party, un kebab. Pour la drogue, les comédiens soufflent doucement une poignée de paillettes dans un faisceau de lumière. Le tout s'agrémente d'une musique discrète mais bien présente, inspirée - composée par Raphaël Mars - et personnifiée par Fabien Chapeira - également assistant à la mise en scène - qui incarnerait le fantôme de Tony. 

Le trio offre un spectacle doux, sans intensité exagérée. Les comédiens sont sensiblement du même âge que leurs personnages, ils avancent dans la dramaturgie avec un naturel engageant. Ils nous touchent parce qu'ils jouent avec une grande justesse. Et quand ils se mettent à réciter les vers de Tempest en anglais, c'est l'imperfection dans la prononciation de la langue qui n'est pas maternelle qui embellit le propos d'une jeunesse désenchantée, désaccordée.



Digne @Le Point Virgule, le 22 Juillet 2023

Digne est un one woman show détonnant. Avec Francisco E Cunha, co-auteur et metteur en scène Julie Danlébac lève le voile sur certains aléas de la vraie vie de comédienne mais pas seulement. L'occasion de revenir sur la notion de dignité. Et ce, dans tous les cas de figure ! 

Dans ce spectacle fortement caustique, l'actrice convoque une multitude de personnages improbables de la figure populaire Virginie Ledoyen à l'ingénieur informatique russe devenu sdf - faute au conflit russo-ukrainien ? - en passant par un ex moine boudhiste allemand répondant au prénom de Günther dans des situations tout aussi rocambolesques : une maraude en Kangoo, un casting à l'ambassade de Chine qui tourne mal, une fête d'anniversaire d'enfants... 

Julie Danlébac et Francisco E Cunha signent texte grinçant, mordant et ravageur où les tableaux s'enchaînent de manière fluide et sont toujours bien rythmés. Julie Danlébac que nous avions découverte il y a quelques années dans un registre beaucoup moins drôle - 4.48 Pyschose de Sarah Kane mis en scène par Ulysse Di Gregorio - montre une nouvelle facette de son jeu pluriel, irrévérencieux et parfaitement mesuré. 


Daddy @Théâtre de l'Odéon, le 23 Mai 2023

Après _jeanne_dark_, objet théâtral inédit qui se déroulait simultanément en salle et sur Instagram, Marion Siéfert choisit l'univers du jeu vidéo pour Daddy. La pièce qui explore la question de l'emprise qu'elle soit interpersonnelle ou bien entre un système et les individus.

© Matthieu Bareyre

Le spectacle s'ouvre sur un - immense - écran de jeu. Les comédiens ne sont pas sur le plateau, seules leurs voix sont audibles, ils jouent ensemble dans un univers complètement futuriste. Mara, 13 ans, l'héroïne centrale, perd brutalement sa connexion internet, elle s'est faite "daronner" comme ils disent. Ses parents lui demandent ainsi qu'à ses sœurs de faire un effort de sociabilisation, un ami de la famille est de passage pour un apéro. Entre des parents quasiment absents - la mère est infirmière en réanimation et le père, vigile sollicité à toute heure - et des sœurs en pleine adolescence, Mara se réfugie dans les jeux vidéos et se rêve actrice. 

Son partenaire de jeu, Julien, 27 ans, lui propose un échange en visio sur la plateforme Discord. Pour la première fois, les deux jeunes gens se voient. Julien a les traits d'un beau gosse, jeune entrepreneur, qui voit en Mara un potentiel énorme. Il l'invite à le rejoindre dans son jeu "Daddy" où tout est possible, sans limite. Elle pourra montrer son talent à tous. Julien sera son "Daddy" virtuel, un mentor et bien plus... Il lui offre des robes, perruques et autres accessoires pour qu'elle offre le meilleur d'elle-même à sa "fan base". Et le piège de l'emprise s'installe...  La magie noire du virtuel exhibée dans la magie du théâtre. 

Le spectacle s'étend sur 3h30 - avec quelques moments longuets ; la neige qui tombe et les moments chantés/dansés -. Il offre un gros mélange des genres qui peut déstabiliser. La metteure en scène fait le choix de multiplier les références empruntées essentiellement à la pop culture mais aussi plus anciennes tant dans l'univers musical que cinématographique. C'est déroutant à souhait.Daddy c'est la descente dans les enfers de la toile. Le duo de jeunes comédiens Lila Houel et Louis Peres est particulièrement convaincant.


La vie est une fête @Bouffes du Nord, le 20 Mai 2023

Les Chiens de Navarre n'ont rien perdu de leur mordant. Aussi irrévérencieux, insolents qu'au dernier souvenir sur les écrans (Oranges sanguines), c'est non sans plaisir qu'on les retrouve pour un grand barnum pour célébrer la vie dans ce qu'elle a de plus cynique. 

© Philippe Lebruman

Les spectateurs prennent tranquillement place dans les gradins des Bouffes du Nord transformées en Assemblée Nationale éphémère. Les comédiens-députés s'invectivent dans tous les sens. Le débat porte sur la réforme des retraites (tiens donc...), âge légal de départ souhaité à... 72 ans ! Arguments démentiels et références improbables se croisent, noms d'oiseaux proférés dans tous les sens. Comment ne pas penser aux derniers débats de nos chers élus ? 

Le rideau rouge s'ouvre sur l'élu RN envoyé dans un hôpital psychiatrique qui tombe en ruine. A peine arrivé, il balance toutes les pires horreurs lors de son entretien d'accueil. La jeune infirmière qui le reçoit finira par lui tirer une balle en pleine tête. S'enchaînent des saynètes symptomatiques de notre époque, à la rencontre de patients aux profils variés : une jeune femme passée par la case tentative de suicide après la disparition du chanteur Christophe, une quarantenaire désespérée de ne pas rencontrer l'homme de sa vie, un schizophrène en rencontre avec un homme politique visiblement en campagne qui le répètera à tout va que rien ne le dérange jusque dans le plus graveleux, un pré-retraité remercié par ses supérieurs jeunes startuppers qui circulent en hoverboard et qui s'expriment qu'avec des anglicismes managériaux...  A l'image de la violence de notre société contemporaine, les joyeux comparses n'ont pas pu s'empêcher d'imaginer une scène de violence entre CRS et gilets jaunes. CRS en sous-effectif se retrouvent éborgnés ou perdent leurs mains voire... leurs têtes. 

Toute la force des Chiens de Navarre c'est de n'avoir aucune limite avec l'humour, toujours plus outrancier, d'acérer toujours plus la plume et de faire grincer les dents. Pendant presque deux heures, le collectif fait voler en éclats l'époque, s'offre un gros délire marqué par des moments d'improvisation. C'est parfois sale mais c'est follement ravageur.  


Fin de partie @Théâtre de l'Atelier, le 15 Avril 2023

© Théâtre de l'Atelier

On retrouve le duo Osinski / Lavant dans une dernière (vraiment ?) aventure beckettienne : Fin de partie au Théâtre de l'Atelier. Et une nouvelle fois, c'est une réussite de toute beauté ! Dès lors que le génial Denis Lavant campe Clov, il fallait trouver le parfait binôme pour incarner son bourreau Hamm. Et le choix fut à la hauteur : Frédéric Leidgens, rodé lui aussi au verbe de l'auteur irlandais. 

Comme bloqué dans un film muet, Lavant s'active dans le décor grisâtre, une sorte de cabanon fait de panneaux aux fenêtres factices qui ne donnent sur rien. Denis Lavant maîtrise parfaitement son corps et ses grimaces pour au-delà se transposer dans un Clov, porter l'âme de ce curieux personnage : la démarche clownesque, les interjections délirantes, il fait mouche. Tout aussi brillant, Leidgens maîtrise le phrasé de son personnage détestable qui attend non sans une certaine impatience la mort. A eux deux, ils embarquent les spectateurs dans un désespoir pesant mais ô combien envoûtant. Au duo s'ajoute les deux autres perles Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg). Tristes géniteurs, ils n'en perdent pas leur mordant. Les interactions entre les deux couples sont pleines de tendresse amère et elles sont savoureuses.

Le quatuor de comédiens déploie un grand moment de théâtre de l'absurde comme on les aime. Jacques Osinski est parvenu à créer une mise en scène à la hauteur de sa passion pour l'écriture du dramaturge qui n'a cessé d'interrogé brillamment l'absurdité de l'existence. 

En quête @Le Local, le 14 Avril 2023


Dans la petite salle du Local - discrète salle de spectacles du 11ème arrondissement parisien - s'affaire une fratrie au milieu des cartons. Ils sont à la recherche de la paire de lunettes de leur père. Le public tente une participation tant bien que mal. Soulagement collectif quand la petite dernière finit par les trouver. 

© Rémi Poureyron
Ils n'ont pas de prénom, ils sont juste des êtres humains d'une même famille qui apprend la maladie de leur père. Un - Sarah Battistella -, Deux - Quentin Kelberine - et Trois - Elsa Goulley - , comme les appelle l'auteur-metteur en scène Sarah Battistella, sont de générations différentes mais unis face à la maladie. Chacun s'y confronte, s'adapte... Sans le savoir véritablement, ils sont accompagnés par Calavera, une figure de la Mort - Simon Quintana - qui rode avec humour et philosophie à l'apparence à mi-chemin entre la figure drag queen et la tête de mort du dia de los muertos mexicaine. 

La pièce de Sarah Battistella est une grande réussite tant au niveau de l'écriture que dans le jeu. En quête est un texte dont on ressent toute la sincérité du témoignage qui veille à ne jamais basculer dans l'apitoiement et il est servi avec toute la générosité d'un quatuor qui aime partager le plateau. Des scènes drôles, touchantes sont parsemées de moments poético-philosophiques interactifs qui rendent le spectacle très dynamique. Une énergie douce au service de l'émotion qui fonctionne à merveille sur une création sonore pour le moins originale de Coeur Qui Bat.

Un sacre @Théâtre Gérard Philippe, le 01 Avril 2023

A prime abord, Un sacre ça ne présage rien de particulièrement drôle. Et pourtant... 


Dans ce spectacle total, Lorraine de Sagazan s'est attaquée à la désacralisation de la mort en questionnant la construction du deuil et de ses rites. Pour y parvenir, elle a mené un véritable travail de terrain sur plusieurs mois : près de 300 entretiens avec des personnes d'horizons variées en 2021 (année 1 après la crise sanitaire), menés avec l'écrivain Guillaume Poix autour de la notion de réparation. Neuf récits de vie émergeront sur un plateau et autant de cérémonies avec comme point d'entrée la grand-mère de Benjamin Tholozan - dont il assure l'interprétation - et son témoignage de pleureuse corse.  

Spectacle vivant, vivifiant, Un sacre regorge de beauté : que ça soit par ses mots ou sa scénographie, le plateau de théâtre devient un gigantesque autel d'un nouveau genre - sans aucune trace religieuse - regorgeant d'objets à valeur affective immesurable. Sous les planches, la flore. 

Neuf comédiens donnent vie aux témoignages, tous consumés, dévastés par la perte d'un être aimé (ou non d'ailleurs) - seul le personnage de George fait figure d'exception dès lors qu'il orchestre sa propre disparition et se laisse aller à quelques petites folies pour sa cérémonie fantasmée -. Neuf qui inconsciemment fait penser au temps de fécondation, célébrer la mort en lui donnant la ponctuation d'une vie. Subtil. 

Le collectif de corps et âmes est porté par Andréa El Azan, Jeanne Favre, Nama Keita, Antonin Meyer–Esquerré, Louise Orry Diquero, Mathieu Perotto, Benjamin Tholozan, Eric Verdin, et Majida Ghomari tous étincelants. On sort du spectacle parfaitement vivants et prêts à se confronter à la mort. 


A tous nos morts.

Le Dragon @Théâtre Nanterre-Amandiers, le 26 Mars 2023

© Nicolas Joubard

Prolifique garçon que Thomas Jolly ! Les Amandiers de Nanterre ont hébergé pendant un peu moins de deux semaines son Dragon, créée dans son ancienne maison angevine Le Quai. Le jeune metteur en scène s'est attaqué à la fable noire du dramaturge russe Evgueni Schwartz.

Le Dragon à prime abord, ça évoque cet animal qui crache du feu, qui terrorise le peuple. Et c'est bien ce dernier élément qu'il faut retenir. L'animal à la rigueur c'est secondaire - l'homme n'est-il pas un animal doué de raison ? -. Celui de Schwartz a trois têtes, il terrorise une ville depuis des siècles. La population lui vouerait presque un culte comme un peuple en dictature se soumettrait à tous les caprices de son chef suprême... Oh. On tient quelque chose... A l'époque, comme aujourd'hui, la question de la servitude volontaire se pose...

Dans une ambiance en noir et blanc qui rappelle autant le cinéma expressionniste allemand que la série originale La famille Addams, Thomas Jolly embarque ses plus fidèles compagnons dans un conte aussi drôle qu'effrayant. Agrémenté de quelques éléments d'actualités bien sentis totalement improvisés, le texte résonne encore plus fortement. 

Toute en flamboyance dans un bain de sons tonitruants - conçus par le fidèle Clément Mirguet -, la troupe de Jolly est résolument généreuse dans son jeu. Si Damien Avice campe un brave Lancelot, on retiendra le sommet de drôleries interprété par le savoureux duo Bruno Bayeux / Damien Gabriac - respectivement le bourgmestre et son fils -. La grosse dizaine d'acteurs se donnent à coeur joie pour le plus grand bonheur d'un public conquis en ce soir de dernière - à l'exception de deux individus, visiblement passé à côté du propos final -.  

Une pièce sous influence @Monfort Théâtre, le 25 Mars 2023

On ne peut malheureusement pas toujours tout voir... Le collectif normand La Cohue a procédé à la création d'Anna-Fatima et d'Orphelins depuis notre dernière rencontre autour du puissant Oussama, ce héros. On le retrouve, à nouveau au Monfort, autour d'Une pièce sous influence

© Virginie Meigne

Des confettis en masse jonchent le plateau de la grande scène, en retrait, côté cour un piano. Les deux personnages principaux Anna et Mathias débarquent, joviaux et probablement un peu ivres, par le côté jardin hors plateau. Ils reviennent du carnaval. Mathias est déguisé en chevalier et Anna, en princesse, une hache dans le crâne. Leurs discussions n'ont pas toujours de sens, les idées fusent dans tous les sens et Mathias rebondit sur chacune d'entre elles. Jusqu'à ce qu'Anna lui explique qu'elle a invité les nouveaux propriétaires de leur maison à prendre un dernier verre. Les deux couples se retrouvent et ça déraille. Pour mieux signifier cette montée en tension, un batteur - Nicolas Tritschler - rythme les échanges, les mouvements. 

© Virginie Meigne
Alors, oui, au fond, il y a la question du deuil. Il y a aussi celle de ce qu'on pense être la norme et ce qu'on prend pour de la folie. Le tout se mélange sans ménagement dans la confrontation improbable des deux couples qui n'est pas loin de  faire penser à celle des Démons du suédois Lars Norén, avec cette même montée en puissance, quitte à virer à l'explosion permanente. 

Sophie Lebrun - qui cosigne la mise en scène -  donne à Anna toute sa sensibilité, sa fragilité qui fait d'elle une marginale tout en étant bien intégrée, Martin Legros - second auteur et metteur en scène - confère à Mathias l'esprit rationnel, pondéré au bord de l'épuisement qui bascule. Le jeune couple de propriétaires incarné par Baptiste Legros et Inès Camesella ne passe absolument pas au second plan, c'est justement leur apparence de couple ordinaire partagé entre l'arrogance et la béni oui-oui qui fait encore plus grincer des dents, une apparente naïveté qu'on voudrait bousculer, chahuter. 

Ravissement que de retrouver le collectif dans une création aussi intense qu'Une pièce sous influence. Un huis clos aussi grinçant que fort. Il vous happe par sa montée en tension. Passer du rire à la pitié sans avoir été préparés s'avère étrangement savoureux. 


Tom na Fazenda @Théâtre Paris Villette, le 09 Mars 2023

Sûrement l'un des spectacles les plus saisissants de cette saison 2022/2023. Tom na Fazenda est une adaptation de Tom à la ferme du québécois Michel Marc Bouchard. Loin de l'évocation de la simple évocation de l'homophobie, Tom à la ferme est une pièce sur les mensonges et les rapports de domination. Porté à l'écran dans les années 2010 par le jeune cinéaste Xavier Dolan, le texte prend une dimension universelle encore plus forte sur les planches. On s'éloigne du Canada rural pour se retrouver dans les terres profondes brésiliennes. Difficile de ne pas penser aux nombreux meurtres homophobes à l'arrivée au pouvoir de l'ex Président Jair Bolsonaro

Au décès de son amant, sans prévenir personne, Tom, jeune publicitaire décide de se rendre aux funérailles de l'être aimé. La famille ne savait rien de son orientation sexuelle. A l'exception de Francis, le frère aîné du disparu. "Avant d'apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir" écrit le dramaturge Michel Marc Bouchard. Il a suffit d'un premier mensonge pour en nourrir d'autres... 

Tom na Fazenda

Le plateau de la grande salle du Paris Villette est recouvert d'une bâche noire, des seaux aux contenances diverses et des tas de terre ici et là suffisent à créer l'ambiance agricole. Lorsqu'il débarque à la ferme, Tom - incarné par Armando Babaioff - de la cumbia retentit dans tout l'espace. Très vite, il rencontre la mère accablée de son amant disparu - portée par Soraya Ravenle -. Elle indiquera sa présence à son fils aîné, plus ténébreux et inquiétant Francis - Gustavo Rodrigues -. Le metteur en scène Rodrigo Portella parvient à créer un huis clos parfait à la tension électrique dans une esthétique faite de clair obscur orangé magnifique que signe Tomás Ribas

Le sang se mêle à la boue, les larmes à la sueur. Tout au long du spectacle se mélangent des tableaux d'une immense beauté et d'une brutalité extrême - mention spéciale à la scène de danse entre Francis et Tom -, les rapports ambivalents des corps pris entre fascination et révulsion. Le duo Babaioff/Rodrigues transporte, brille par leurs puissantes performances  respectives. Soraya Ravenle et Camila Nhary ne sont pas pour autant à écarter, elles sont parfaitement justes dans leurs rôles. 

Il est urgent de courir voir ce spectacle exceptionnel dont le Théâtre Paris Villette ne peut qu'être fier d'en être l'hôte. 

Et si on s'aimait ? @A La Folie Théâtre, le 05 Mars 2023

© Matthieu Camille Collin

Trois garçons (Mathieu Cassagnes, Gauthier Germain, Cyprien Pertzing). Trois jeunes femmes (Clara Basset, Clémence Baudoin, Camille Cointe). Un seul lieu : le Café de la Gare. Un lieu où les couples se font et se défont. Toute l'ambition de cette pièce intitulée Et si on s'aimait ?. Tout l'art du "dating" à l'heure des applications toujours plus nombreuses qui à grand renfort d'algorithmes vous mettent en relation avec multiples prétendant(e)s dans l'espoir de vous faire rencontrer le grand amour de votre vie. 

Ainsi s'enchaînent des rencards foireux ou miraculeux, hasardeux, mystérieux ou malheureux. Toute la compagnie de La Nuit d'Après déploie son énergie pétillante pour offrir un très bon moment de divertissement sincère. C'est ce qu'ici nous qualifierons de "spectacle bonbon", c'est court, frais et savoureux. Camille Cointe et Marie Iasci signent une pièce dynamique, au rythme soutenu et inventive de par toutes les situations choisies - on s'interrogera sur la répartition des expériences vécues -. 

Un spectacle à voir en couple ou entre amis voire même pourquoi pas avec son "date" ? 

Ranger @Bouffes du Nord, le 09 Février 2023

© Louise Quignon
Au revoir l'immense bâche bleue, bonsoir la chambre d'hôtel moderne blanche éclairée aux néons criards. Jacques Weber entre dans la pièce dans un costume complet noir fort élégant. Une valise ouverte est posée sur le lit. Il y attrape un portrait qui tourne le dos aux spectateurs durant l'intégralité du spectacle. Il le pose sur une table placée côté cour et entame une discussion avec celle qui partageait sa vie, disparue il y a tout juste un an. Depuis qu'elle n'est plus de ce monde, il n'a plus envie de vivre. 

Le dramaturge Pascal Rambert lui a conçu (à lui aussi) un texte à sa mesure. Il lui confie ainsi le rôle d'un veuf qui s'est "agité toute sa vie", qui a vibré grâce à l'écriture, à l'amour fou d'une femme et leurs voyages aux quatre coins de la planète. C'est d'ailleurs à Honk-Kong qu'il décide de finir ses jours. Médicaments, rails de cocaïne et alcool suffiront à le faire passer de l'autre côté de la vie en toute quiétude. Réflexions politiques, sociologiques et états d'âme rythmeront son monologue. Il aura aimé toute sa vie et profité de chacun des instants qu'elle lui a donné. 

Jacques Weber campe le rôle avec un naturel déconcertant qu'on ne sait plus si c'est le rôle ou l'artiste qui prend le dessus. Des sourires presque enfantins se dessinent sur son visage, Weber esquisse à son tour quelques pas de danse sur Midnight summer dream des Stranglers. Mettre de l'ordre dans sa vie avant de fermer la dernière porte. Déclaration d'amour à la vie ? Hommage à nos présences invisibles ? Pascal Rambert offre un texte touchant qui ne vire jamais dans le profondément dramatique à son comédien qu'il a saisi sous toutes ses coutures. 

Perdre son sac @Bouffes du Nord, le 09 Février 2023

Une bâche bleue étendue tel un rideau. Un carré blanc posé à même le sol. Un seau, sa serpillère et un produit d'entretien. Un caddie. Et les vieilles pierres des Bouffes du Nord. La jeune actrice révélée par le film Papicha - qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin - Lyna Khoudri, vêtue d'une salopette couleur crème et d'une veste en jean, pénètre dans l'arène d'un pas décidé, le balai-raclette tenu fermement dans les mains, lampes blafardes en contre-plongée. 

© Louise Quignon
Elle déverse sa colère face aux spectateurs. Porte-voix d'une génération sacrifiée, elle s'en prend aux adultes - ceux qui ont vécu les lendemains qui chantaient et laissé les lents demains qui déchantent aux suivants -. Tel l'anti-héros de Koltès de La nuit juste avant les forêts, Pascal Rambert lui offre un texte où elle apostrophe le public, pris à partie. Elle raconte sa chienne de vie. Bac +5 et obligée de cumuler les petits jobs dont un de laveuse de vitres dans une onglerie. Un mot qui l'horripile au plus haut point. Mais c'est dans ce cadre qu'elle a rencontré Sandrine. Sandrine, femme de sa vie fantasmée.  

Voilà qu'elle bascule de la colère à la déclaration d'un amour ardent, d'une passion qui la brûle. Autant de colère que d'amour en elle, finalement. Une quarantaine de minutes durant, la petite brune à la mèche bleue - qui n'est pas sans rappeler le roman graphique Le bleu est une couleur chaude qui donnera son inspiration au film La vie d'Adèle d'un certain Abdellatif Kechiche défendu par l'actrice - débite un monologue, comme un rap, chargé, acéré. Elle s'offrira deux moments dansés ; le premier sur Anarchy in the UK des punks britanniques Sex Pistols, le second sur le silence, elle esquissera un numéro de claquettes russes. L'amertume au cœur, Lyna Khoudri convainc. Perdre son sac pour mieux le vider.

Dévaste-moi @IVT-International Visual Theatre, le 07 Février 2023

Cinq ans de tournée auront permis de figer l'ultime version de Dévaste-moi. Un spectacle à mi-chemin entre le cabaret, le concert et le théâtre, né de la triple rencontre entre Johanny Bert, Emmanuelle Laborit et Yann Raballand. La partie musicale du projet est assurée par les musiciens du Delano Orchestra

© Jean-Louis Fernandez

Dévaste-moi s'avère un spectacle plein de poésie du fait qu'il soit entièrement "chansigné" - néologisme élégant qui comprend l'idée de chanter en langue des signes donc signant - et plein de sensualité puisqu'il concentre la thématique du désir féminin sous toutes ses formes et en l'occurrence toutes ses mélodies ; Alain Bashung, Georges Bizet, Donna Summer ou encore Serge Gainsbourg, Amy Winehouse et Brigitte Fontaine s'y retrouvent pour célébrer la femme et sa sensualité. 

La comédienne Emmanuelle Laborit signe entièrement le spectacle. Seule une voix off et des sous-titres projetés l'accompagnent. Quand elle signe, c'est avec grâce, comme une nouvelle danse. Avec les nombreux de jeux de mots en sous-texte, la comédienne est allée au plus près de l'esprit des auteurs. Elle pleure, elle rit, elle danse, elle jouit et pour sûr, elle emporte avec elle les spectateurs réjouis. Elle envoûte comme elle émeut. On écoute avec le cœur et l'âme marquera la mesure. 


Pour ne pas finir comme Roméo et Juliette @Monfort Théâtre, le 24 Janvier 2023

Baptême du feu avec la compagnie La Cordonnerie et quelle réussite ! Attention création à classer comme un Objet Théâtral Non Identifié. Un atypique objet plein de poésie, à mi-chemin entre le théâtre et le cinéma. La création rappelle, proportion gardée, le bijou cinématographique Her de Spike Jonze

© La Cordonnerie

C'est l'histoire de Romy et Pierre. Ils vivent dans deux villes très différentes. Oubliez l'Italie et Vérone. Oubliez aussi les Capulet et les Montaigus. Pensez juste à deux villes séparées par un pont. Chacun vit à chaque extrémité. Pierre vit dans un monde en apparence normal, peuplé d'humains. Il écrit pour la radio des horoscopes dits shakespeariens, inspirés des textes du dramaturge britannique. Il vit seul en colocation avec son chat, Othello. Romy, passe ses journées dans un monde étrange où les habitants possèdent des visages invisibles, portent des espèces de cagoules en mousse qui leur donnent un visage hors du commun. Championne de ping-pong, quand elle n'est pas en entraînement, elle s'occupe de son père mourant. Celui-ci succombe des suites d'une maladie. Il ne l'a jamais caché à sa fille ; il veut voir la mer. C'est en allant disperser ses cendres qu'elle traverse le pont et qu'elle fait la rencontre "fantastique" de Pierre. Nous ne dévoilerons rien de plus de leur histoire extraordinaire. 

La Cordonnerie donne à voir la fabrique d'un véritable conte métaphysique qui réjouira petits et grands en passant par le partage de toute la magie autour de la scénographie et du bruitage ; un travail minutieux de grande originalité qui invite au voyage. Timothée JollyMathieu Ogier, Samuel Hercule et Métilde Weyergans investissent la grande salle du Monfort autour de la table de ping-pong pour y jouer les sons, les voix ou encore la musique et ainsi livrer une partition d'un nouveau genre en constante fabrication en dialogue permanent avec la vidéo. La Cordonnerie a créé un lien entre nous et de près, les prochaines créations nous suivrons. 




Ombre (Eurydice parle) @Plateaux Sauvages, le 23 Janvier 2023

© Pauline Le Goff

Les images de son mariage avec Orphée sont projetées : un beau mariage champêtre, des invités ravis, un bois, une baignade de nymphes… Mais les mauvais présages s'accumulent entre bris de verres et regards voilés. La cérémonie s'achève lorsqu'Eurydice se fait mordre par le mythologique serpent et succombe. Tel le personnage Ophelia dans le tableau éponyme de John Everett Millais, Eurydice est couchée sur un autel, où les fleurs en tous genres, vases vides et autres bougies l'entourent. Une véritable héroïne romantique qui se révèle. 

Sous la direction de Marie FortuitVirgile L. Leclerc déballe le soliloque d'Elfriede Jelinek dans une scénographie sans surplus d'artifice, entre antichambre derrière un voile noir translucide au-dessus du quel on peut lire "Exit" et un bureau où s'entreposent bobines, ordinateur et vêtements achetés compulsivement. Le texte de Jelinek résonne avec toute sa puissance. Virgile L. Leclerc saisit le texte et le porte sans en faire trop, jamais elle ne crie, elle berce avec un trait d'humour ponctuel pour échapper à la lourdeur. Eurydice se libère des injonctions pour mieux se réveiller, c'est tout l'intérêt du texte de l'autrichienne. Romain Dutheil apparait de temps à autre pour donner corps à un Orphée chanteur pour midinettes, vêtu de tenues extravagantes aux sequins brillants. Il joue de la batterie, pianote sur un clavier, sans jamais se soucier de son aimée. Elle se libèrera de lui comme du reste. Ombre parmi les ombres, elle trouve enfin la place qu'elle aurait tant préféré occuper. 




78.2 @Théâtre Paris Villette, le 13 Janvier 2023

 "Les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :

-qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
-ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
-ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit ;
-ou qu'elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'une mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique, d'une peine ou d'une mesure suivie par le juge de l'application des peines ;
-ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire."

Article 78.2
Code de procédure pénale

© Léa Neuville

78.2 est une pièce qui prend son point de départ sur l'article du code de procédure pénale sus-cité mais qui  élargit le débat sur l'institution, l'exercice du maintien de l'ordre établi et le respect des lois. Et c'est une franche belle réussite. Que ça soit le texte, l'interprétation ou plus simplement l'ambiance générale, tout est cohérent. Loin d'imposer un point de vue caricatural qui basculerait dans une charge simpliste contre la profession, Bryan Polach et sa compagnie Alaska proposent une pièce qui arrive à apporter la légèreté et le recul suffisant sur ce sujet peu aisé.

La pièce démarre dans une soirée entre amis comme il en existe tant. Tout ce petit monde est enjoué, légèrement enivré. Thom (Thomas Badinot) s'entiche de Yasmine (Juliette Navis). A l'entendre parler, Thom semble complètement saoul mais il n'en est rien. C'est un ancien policier qui présente des séquelles neurologiques suite à un incident dont le souvenir n'est pas si clair pour lui. Le fond de l'affaire est bien plus complexe. Les deux autres amis de Thom - Émilie Chertier et Laurent Evuort-Orlandi - commencent à s'interroger sur l'identité de Yasmine. Elle tient un discours sur la sécurité qui est loin de les laisser indifférents. Elle prend la défense de l'institution policière en évoquant les territoires abandonnés. Eux répondent en parlant discriminations permanentes, violence non négligeable d'une partie des forces de l'ordre, l'influence de l'Histoire et la face sombre de la colonisation. La conversation se prolonge dans un ton plus mesuré.

Le quatuor évolue dans une scénographie est minimaliste : un tapis central en forme de rond - métaphore d'une arène dans lesquels s'affronteraient les deux parties irréconciliables -, un téléphone filaire au loin et des chaises. C'est dans ce décor épuré qu'une scène nous frappe par sa beauté : le quatuor de comédiens qui courent mais les mouvements sont comme une danse autour du rond sur un fond musical de Vivaldi. Flics, accusés, familles, victimes, toutes les parties prenantes sont représentées et toutes portent en elles un drame. Polach parvient à transposer les thèmes sans surcharger la gravité, il parsème les propos avec un humour parfaitement dosé. 

Vu d'ici @Théâtre de Belleville, le 12 Janvier 2023

© Romain Tiriakian

Lorsqu'il nous accueille dans la salle intimiste du Théâtre de Belleville, le metteur en scène Alexis Armengol nous invite à nous asseoir sur les fauteuils équipés d'un casque. Avec lui, on s'y plie et le temps d'une micro phase de test on s'habitue, le fil sur la gauche. Prêts ? C'est parti ! 

Embarquement immédiat dans ce qui semble être l'appartement de Frédérick (Laurent Seron-Keller). Celui-ci est très vite rejoint par son jeune frère Stéphane (Alexandre Le Nours). Ils se retrouvent pour enregistrer un podcast dans lequel ils apporteront leur témoignage de la pathologie de Frédérick. Vingt ans plus tôt, ce dernier a été hospitalisé à la demande de son frère. Il a été diagnostiqué schizophrène. Raconter l'histoire, le vécu de chacun, leur rapport à la pathologie : tel est l'objectif qu'ils se sont fixés ensemble. 

Les sessions d'enregistrement se succèdent, les émotions se bousculent : grands moments d'une  fraternité retrouvée, déchirements, angoisses ponctuent Vu d'ici qui s'avère une pièce particulièrement bien documentée, bien écrite et très bien interprétée. Le duo de comédiens offre une dynamique de jeu complémentaire de grande qualité. Le casque posé sur les oreilles c'est faire acte d'isolement et s'offrir une réalité altérée ; se mettre dans la peau de Frédérick ? Peut-être... Vu d'ici est aussi intéressant pour sa mise en lumière de cette curieuse pathologie que représente la schizophrénie et ce qu'elle implique dans l'intime.