Les mains sales @Théâtre 12, le 12 Mars 2020

Le jeune metteur en scène Jules Lecointe et sa compagnie du Cerf-Volant ont pu investir le Théâtre 12 juste avant les grandes annonces gouvernementales relatives au confinement afin d'y proposer une adaptation de la fameuse pièce de Jean-Paul Sartre ; Les mains sales

Sur le plateau, peu d'éléments de décor suffisent notamment grâce à un savant mécanisme de panneaux mobiles pensé et conçu par Pauline Phan et Arthur Duvillaret. Les panneaux suggèrent de micros espaces dans lesquels les personnages évolueront. Les huit jeunes comédiens nous entraînent avec un bon sens du rythme dans les multiples registres qu'impose la pièce de l'existentialiste. Sans nécessairement la dater, Jules Lecointe propose une adaptation hors temporalité que l'on serait tenter de contextualiser de nos jours en 2020. 

Engagement, idéal, philosophie, politique, manipulation... Des thèmes forts qui ont su trouvé un écho particulier chez le jeune Lecointe qui signe ici sa toute première mise en scène. Il s'est entouré pour l'occasion de Simon Djaro, Aïda Hamri, Noé Pflieger, Eliot Trovero, Bastien Spiteri, Léa Marie-Saint GermainThomas Rousselot et Léo Dérumeaux qui tous ensemble livrent un jeu très dynamique. Le duo Hugo/Hoederer (Bastien Spiteri / Noé Pflieger) retient particulièrement l'attention, la fascination que peut créer Hoederer sur Hugo se transpose sur les spectateurs pour le plus grand des bonheurs. La compagnie du Cerf-Volant a du talent à exploiter, le temps jouera en sa faveur un jour ou l'autre. 

Les Innocents, Moi et l'Inconnue de la route départementale @Théâtre national de la Colline, le 06 Mars 2020


© Jean-Louis Fernandez
Quand nous avions vu le spectacle, on s'était dits qu'il fallait laisser décanter un peu. Il fallait digérer cette pièce très verbeuse. Après avoir pris le recul nécessaire, l'actualité est passée par là et a donné comme une nouvelle clé de lecture.

Les innocents, moi et l'inconnue de la route départementale est une pièce de l'autrichien Peter Handke profondément humaniste. Un homme "Moi" accueille le printemps sur une route départementale abandonnée. A la belle saison voilà que débarquent ceux que l'auteur nommera les Innocents - qu'on aurait tendance à juger comme étant les Inconscients - et l'Inconnue qui à l'arrivée de l'automne pointe le bout de son nez comme une lueur d'espoir. La départementale est à la croisée des humanités. C'est un peu notre chère planète Terre.

Jacques Gabel a reconstitué un tournant d'une route de campagne au bord de laquelle une petite cabane de fortune trouve sa place. La maison de "Moi". Ce dernier est interprété avec brio par Gilles Privat qui lui donne toute son épaisseur : plein de drôlerie et touchant. Les paroles sont belles, frôlent la poésie philosophique. Ce sont les monologues qui s'enchaînent plus que les dialogues. Quelques respirations en plus n'auraient point fait de mal. Le chef des Innocents - Pierre-François Garel - n'est pas dans l'opposition frontale avec Moi, ils débattent ensemble avec une complicité certaine. Dans la pénombre, lorsque les Innocents marchent pendant l'hiver, c'est un magnifique tableau qui s'offre aux spectateurs. Alain Françon a dicté à ses comédiens la rigueur et la justesse, ils se sont exécutés avec excellence. 


Clinamen show @Monfort Théâtre, le 03 Mars 2020


Clinamen show est un spectacle à la croisée du cirque et du théâtre. Elles sont quatre à partager le vaste plateau de la grande salle du Monfort ; Fanny Alvarez, Sarah Cosset, Océane Pelpel, Fanny Sintès - qui forment le groupe Bekkrell -. Le décor ? Une forêt d'une dizaine de perches télescopiques. Métal, cordes et câbles en tout genre cohabitent. L'histoire nous amène à faire la rencontre du Lieutenant Michel Gas et de la journaliste Dolorès Dumèse. Tous deux enquêtent sur la mystérieuse disparition de plusieurs femmes dans tout le pays. Leurs pas les amènent sous le chapiteau du Clinamen show. Un cirque itinérant qui met en scène des femmes. Chaque jour, toujours plus de numéros sont proposés. Etrange... Le nom du Clinamen show prend son origine de la théorie pataphysique selon laquelle "l'atome, tout en se dirigeant en ligne droite vers le bas en vertu de son poids et de sa pesanteur, dévie légèrement de côté" (source Universalis).

Ce spectacle frappe par son esthétique envoûtante qui recréée un espace chargé de mystères tirant son inspiration du film Stalker du réalisateur russe Andreï Tarkovski pour sa "zone". Cette dernière se divise en deux niveaux : sur et sous les perches. Le quatuor féminin offre des moments aussi poétiques qu'énigmatiques. Dans leurs moments suspendus, elles nous embarquent avec elles dans les hauteurs, vaste terrain de jeu onirique et lorsqu'elles redescendent fouler les planches, elles nous rappellent le réel. Cabaret, polar et cirque s'entremêlent pour offrir un spectacle où le mystère plane, l'ambiance s'obscurcit minute après minutes, des personnages inquiétants surgissent. Clinamen show réserve de belles surprises visuelles. Sensualité et poésie font souvent bon ménage, Clinamen show peut être pris pour preuve.   

Mon fils marche juste un peu plus lentement @Manufacture des Abbesses, le 1er Mars 2020


La compagnie franco-argentine El Vaïven pose ses valises à la Manufacture des Abbesses pour y jouer la pièce du dramaturge contemporain croate Ivor Martinić Mon fils marche juste un peu plus lentement. Pas besoin d'un décor ostentatoire : une table, quelques chaises et un bouquet de ballons suffisent à resituer la demeure familiale et plus particulièrement le salon dans lequel tous les comédiens passeront au moins une fois. 

C'est jour de fête pour Branko - Florent Mousset -. Il fête ses 25 ans. Mais il faut bien l'admettre, il n'est pas d'humeur festive. 25 ans c'est un bel âge, sans doute. Quand on est sur fauteuil roulant, on a des aspirations différentes. Lui, il s'en est accommodé. Et toute la famille s'agite dans tous les sens pour les festivités. A commencer par sa mère - Teresa Ovidio - qui s'efforce de garder le sourire alors qu'elle est au bord de la déprime, sa grand-mère - Maria Verdi - perd la boule, son père et son grand-père s'affichent comme les grands fuyants - Laurent Czerniak / Ivan Toulouse -, sa jeune sœur qui sourit à la vie - Eva Carmen Jarriau - avec son amie loin d'être effarouchée Sara - Elena Durant -, son oncle - Chap Rodriguez - et sa tante Astrid Albiso accro aux médicaments / antidépresseurs.  Alors que les ballons sont noirs, chaque membre de la famille porte des couleurs vives. Comme porteuses d'un espoir de jours meilleurs pour Branko. Même si véritablement, chacun ne sait pas trop comment s'y prendre. Chaque personnage est porteur d'une maladresse toujours touchante.   

Martinić dresse ainsi le portrait d'une famille comme il en existe mille aux membres très attachants. On appréciera ici la légèreté de cette pièce à l'écriture simple et efficace. Le jeune metteur en scène Juan Miranda a fait naître chez ses comédiens une belle complicité intergénérationnelle. Loin des discours s'apitoyant sur le handicap, Mon fils marche juste un peu plus lentement interroge très justement nos propres comportements par l'humour. Un divertissement familial à la portée de tous ! 



L'Eveil du printemps @Théâtre de la Tempête, le 1er Mars 2020


Quel immense plaisir que d'assister à la représentation de L'Eveil du printemps de Frank Wedekind mis en scène par l'homme de théâtre belge Armel Roussel. Ecrite en 1881, crée en 1891, la pièce a été interdite. Elle était considérée comme pornographique. Il n'en est plus rien. L'époque évolue, les moeurs avec. 

 © Pascal Gely
Sur le grand vaste plateau, les spectateurs gagnent les gradins pour faire face un terrain vague jonché de terre fraîche, sur laquelle reposent une petite botte de foin et un vieux canapé en pleine décrépitude. Et, celle qu'on attend, la jeunesse qui occupe les lieux avec ses jeux. Côté cour, dans le fond sous une lumière bleutée, le duo belge Juicy s'agite sur les platines et les claviers en offrant quelques sons hip-hopOn célèbre les 14 printemps de la petite Wendla Bergmann - Judith Williquet -. Une adorable adolescente en fleurs qui pose plein de questions existentielles. Dont la fameuse "comment on fait les enfants ?". Un peu tardivement ? A l'époque en tout cas, c'était jugé comme trop tôt. Dans le genre crédule, perturbé et anxieux y a Moritz Stiefel - Nicolas Luçon -. Et puis, il y a celui qui connait à peu près la vie - il l'a lue dans les livres, c'est Melchior Gabor - Julien Frégé -. On pourrait s'arrêter là tant les personnages convoqués sont nombreux. Ils sont tous adolescents. Ils découvrent leurs corps, la sensualité, l'homosexualité mais aussi la violence, l'avortement, le suicide... Les printemps nouveaux à l'aube d'un automne pluvieux. 

 © Hubert Amiel
A prime abord, tous ces jeunes adultes qui jouent des ados nous troublent. Mais progressivement, on est emportés avec eux dans un tourbillon nostalgique des jeunes années. Les pas moins de douze comédiens sont animés par une énergie furieuse par laquelle les émotions débordent. C'est intense, c'est beau - le travail sur les lumières d'Amélie Gehin est un régal pour les yeux -. Proches de l'univers d'un Roberto Zucco du regretté Bernard-Marie Koltès, Armel Roussel et ses comédiens offrent un spectacle total, où la jeunesse et son pétillement sont sublimés. Alors oui, ils sont douze et jouent de nombreux rôles où ils excellent tous mais le trio Luçon / Frégé / Williquet tire son épingle du jeu, tantôt attachant, tantôt bouleversant.