La duchesse d'Amalfi @Maison des Arts de Créteil, le 19 Février 2019


© Christophe Raynaud de Lage
Il y a tout juste un an, le collectif Eudaimonia présentait son adaptation réussie de Richard II à la Maison des Arts de Créteil. Les planches val-de-marnaises l'accueillent de nouveau pour un autre spectacle dans cette même veine élisabéthaine : La duchesse d'Amalfi de John Webster. Cette grande tragédie macabre a été très peu jouée. Le jeune metteur en scène Guillaume Séverac-Schmittz poursuit ainsi son travail sur la chute et les forts contrastes dans la psychologie des personnages.

Comme pour Richard II  le collectif Eudaimonia mise sur un décor minimaliste mais toujours aussi efficace. Cette fois, place à des panneaux mobiles et des néons que techniciens et comédiens orientent, plient au besoin.
Ces jeux de lumières signés Kelig Le Bars donnent du sens à l'opposition ombre et lumière qui habite les personnages.
© Christophe Raynaud de Lage 

La duchesse d'Amalfi c'est une histoire de pouvoir, de domination, d'amour, de souffrance et évidemment, de mort. Tout commence par une interdiction formelle posée à la duchesse d'Amalfi, jeune veuve - Eléonore Joncquez - par ses frères Ferdinand - Thibault Perrenoud - et le Cardinal - Nicolas Pirson - , celle de ne pas se remarier pour préserver la pureté du sang de son rang et de sa famille. Profitant de leur absence du royaume, la jeune duchesse avoue ses sentiments pour son intendant, Antonio - François de Brauer -. Malheur, les voilà dénoncés par Bosola - Jean Alibert - espion payé par Ferdinand. Leur union donne lieu à deux naissances qu'il leur faudra cacher. La tragédie aurait pu s'arrêter là mais le macabre prend le dessus. Ferdinand, fou de jalousie, fait enfermer sa sœur lui faisant subir les pires sévices jusqu'à la rendre folle.

On avait trouvé Thibault Perrenoud excellent en Richard II, le voilà qui brille à nouveau en Ferdinand, cruel à souhait. Jean Alibert le suit de près, en livrant une interprétation saisissante d'un Bosola pris au piège de la dualité, corrompu par l'argent. Le duo Eléonore Joncquez / François de Brauer touche par leur douceur et leurs moments de complicité. Toute la troupe - à laquelle il faut ajouter Baptiste Dezerces, Lola Felouzis et Nicolas Pirson - excelle et montre une fois de plus qu'elle a tout d'une grande dans ses adaptations des classiques. En un peu plus de deux heures, elle s'impose avec un style exigeant. 

Paradoxal @Théâtre de Belleville, le 05 Février 2019


© Samuel Poncet
Paradoxal voilà un titre de spectacle qui prend son origine des différentes phases de sommeil; l'éveil, le sommeil lent (lui-même subdivisé en 3 temps : l'endormissement, le sommeil lent léger et le sommeil lent profond) et le sommeil paradoxal qui s'explique par l'activité cérébrale intense mêlée à des signes de sommeil très profond. Au-delà de ces éléments, il est principalement question de rêve lucide, cette fascinante aptitude à maîtriser son inconscient.


L'homme multi-casquettes - auteur, metteur en scène, interprète - Marien Tillet prend plaisir à expliquer aux spectateurs ces petits éléments introductifs qui, une fois expliqués scientifiquement, n'ont rien de simple pour mieux déstabiliser. Le voilà narrateur d'une drôle d'histoire : Marylin est une jeune journaliste qui a un petit problème. Elle souffre d'insomnie. Jusque là, ça va. Disons que ça se complique à partir du moment où elle va rejoindre un groupe de rêveurs lucides. Marien Tillet devient tour à tour les personnages du groupe, le docteur qui supervise les études et la complication intervient à partir de cet instant : il agit aussi bien dans le réel que dans l'inconscient de ses patients. Si un bureau en coin rappelle dans quel univers nous nous trouvons, la démultiplication des bouteilles d'eau, posées sur celui-ci, perturbe les spectateurs qui perdent progressivement tous leurs repères.

Astucieux, mystérieux, intelligent, Paradoxal est un spectacle qui interroge sur sa nature même : est-ce véritablement un thriller scientifique ? Ou un numéro d'illusionnisme étalé sur la durée ? Une chose est certaine, Tillet captive à la limite de l'hypnose son public. Il parvient à créer une confusion réjouissante et ce, jusqu'au bout. L'expérience étourdit et invite le spectateur à s'interroger sur ce qu'il vient de vivre.



Qui va garder les enfants ? @Théâtre de Belleville, le 03 Février 2019


© Richard Volante
"Mais qui va garder les enfants ?" Telle était la question qu'avait ironiquement posé Laurent Fabius à Ségolène Royal suite à l'annonce de sa candidature à la présidentielle de 2007. C'est cette petite phrase qui inspirera le titre du spectacle de Nicolas Bonneau co-écrit avec Fanny Chériaux. Les femmes et la politique. Le politique et les femmes. Vaste et fascinant sujet. 

Pendant plus de deux ans, le duo est allé à la rencontre de ces femmes qui à leur manière ont marqué la vie politique française - et étrangère à quelques exceptions près : Angela Merkel et Margaret Thatcher font partie du spectacle -. De droite comme de gauche,  les portraits d'Yvette Roudy, d'Edith Cresson, de Simone Veil, de Ségolène Royal, de Christiane Taubira ou encore d'Olympe de Gouges se croisent. On croise aussi Virginie, maire d'une petite commune du Limousin qui entre plusieurs inaugurations, conseils municipaux, trouve un petit moment à accorder à ses enfants. Chacune des figures font part de leur témoignage, de leur engagement politique dans un environnement plutôt masculin et dur. Les femmes ne sont-elles pas des hommes comme les autres ?

Le spectacle est un mélange de fiction et de réalité très documenté, joué avec un dosage malin d'humour et pertinent. Le décor est simple mais très efficace : un empilement de chaises en fond comme un totem érigé de grandes figures. Des chaises ? Oui, mais finalement les femmes représentées seront la plupart debout - n'est-ce pas là une habile image d'être "vent debout" ? - .

Seul sur scène, Nicolas Bonneau se fait conteur de leurs parcours, rend justice à ces femmes qui ont leur importance dans notre société encore aujourd'hui sans pour autant faire la morale. Que l'on soit d'accord avec leurs positions ou non, là n'est pas la question, la posture est plutôt celle de l'hommage à leurs combats qu'elles ont porté en tant que femmes. La difficulté de se faire une place, tirer de leurs faiblesses la plus grande force ou encore se faire entendre, telles sont les contraintes d'une femme qui se lance en politique.








Les Idoles @Théâtre de l'Odéon, le 02 Février 2019


© Jean-Louis Fernandez 

Ainsi Christophe Honoré convoquait ses idoles de toujours sur les planches de l'Odéon...

Ses idoles ce sont aussi celles de bon nombre d'âmes qui ont grandi avec elles. Ces idoles disparaissaient au début des années 1990, emportées par la maladie qui sévit encore aujourd'hui : le SIDA.

Ils répondaient au nom de Bernard-Marie Koltès, de Jacques Demy, de Jean-Luc Lagarce, d'Hervé Guibert, de Serge Daney ou encore de Cyril Collard

When the music's over des Doors ouvre le spectacle. Les corps de Youssouf Abi-Ayad, d'Harrison Arévalo, de Jean-Charles Clichet, de Julien Honoré, de Marina Foïs et de Marlène Saldana s'animent. Les comédiens battent des ailes tels des anges qui se posent sur le plateau. Et Honoré les fait se retrouver trente ans après. Entre les sessions de drague, les discussions vives et les rires, ce sont aussi des monologues qui reviennent sur leurs rapports à la maladie. Chacun d'entre eux l'ayant vécu différemment et dans leurs processus créatifs chacun l'a exploité à sa manière ; Demy l'avait gardé pour lui - jusqu'à sa révélation en 2008 par Agnès Varda -, Collard l'a exposé dans ses Nuits fauves, Koltès n'a jamais laissé la maladie transparaître dans son oeuvre, Guibert le révèle sur le tard, Lagarce ne le cachait pas mais ne voulait pas en faire un sujet à part entière dans son travail et Daney luttera contre la banalisation de la maladie.

Dans ce vibrant hommage, Marina Foïs touche par son jeu particulièrement rigoureux, émeut au plus haut point lorsqu'elle évoque la disparition progressive de Michel Foucault, Harrison Arévalo campe un Cyril Collard chaleureux, séducteur, rieur, Marlène Saldana nous embarque dans une ambiance digne de celle d'un cabaret en un claquement de doigt, Youssouf Abi-Ayad livre un Koltès sauvage, ténébreux, Jean-Charles Clichet interprète un Serge Daney au plus juste et le frère du metteur en scène Julien Honoré - blessé ce soir-là - est comme un maître de maison qui recevrait ses invités dans la bonne humeur. 

Les Idoles sont bien vivants. On ne s’apitoie pas, on rit, on est touchés. Deux heures et demi plus tard, on aurait encore envie de les entendre, de prendre part à la discussion, de les serrer dans nos bras, de danser et célébrer la vie, l'amour avec eux. 

Si l'époque ne nous est pas si lointaine, le chemin à parcourir pour en finir avec  la maladie et lutter contre l'homophobie est, pour sa part, malheureusement encore long.