Moins que rien @Théâtre 14, le 04 Décembre 2024

Pour l'avant dernier spectacle de 2024, c'était cap au sud de Paris, pour le Théâtre 14 et voir Moins que rien mis en scène par l'artiste pluridisciplinaire Karelle Prugnaud. Son complice de longue date Eugène Durif construit une pièce d'après l'oeuvre inachevée de Georg Büchner Woyzeck.

© Vahid Amanpour

Si trois comédiens occupent l'espace dans un premier mouvement, sur fond sonore de métal, l'attention - tout comme la tension - se concentre sur Bertrand de Roffignac. Jeune comédien au jeu presque animal ici, il fait corps avec le malheureux Woyzeck soumis à la torture. Déshumanisé, Woyzeck est soumis aux aveux d'un meurtre dont on ne saura jamais vraiment s'il en a été véritablement coupable. 

Moins que rien est une épreuve physique autant que mentale. De Roffignac incarne au sens premier, il est dans la chair, dans la peau de Woyzeck. Dans une scénographie où les éléments de décor se font presque minimaliste : un mur d'écrans projetant des images de caméras de surveillance, une cabine-cuve qui se remplit toujours plus et des silhouettes militaires, le comédien est totalement aliéné, intranquille. Son personnage passe par tous les états de la folie et le jeu est pour le moins qu'on puisse dire saisissant. La mise en danger contrôlée nous effraie comme elle nous fascine, un espoir caché qu'il s'en sorte demeure à chaque fois qu'il s'élève un peu plus. Karelle Prugnaud montre ici une direction d'acteur remarquable. 

Skinless @Grande Halle de la Villette, le 24 Novembre 2024

Parler de la performance Skinless me semblait important. Bien que j'aie peu de recul sur le travail de Théo Mercier, je tenais à partager mon billet "critique". 

© Erwan Fichou

La Grande Halle de la Villette est peuplée de détritus, un "eden inversé" qualifie le plasticien. Pas n'importe lesquels. Des canettes et des amas de cartons positionnés de telle sorte qu'on croirait voir un ring. Théo Mercier explique qu'il a récupéré plusieurs dizaines de tonnes de déchets compactés. On vous laisse imaginer ce que ça peut représenter dans l'espace. Ajoutez à cela des moucherons qui ont trouvé refuge et les odeurs terribles qui en sortent. Qu'on se le dise, heureusement que le spectacle dure une cinquantaine de minutes. Ces éléments scénographiques mis de côté, place à la poésie du contenu. 

"Traiter la question du déchet et du reste amoureux, créer une sorte de parallèle entre ces objets abandonnés. Je les qualifie de peaux mortes du désir, c'est des résidus de choses qu'on a voulu très fort et qu'on veut voir aujourd'hui disparaître" explique Théo Mercier Et si on se fie à cette explication, ce qui se déroule sous nos yeux devient une séquence de l'amour naissant sous les yeux d'une divinité nouvelle. Un Shiva qui observe ce mécanisme en légère surélévation. Pas même à la hauteur des spectateurs, simples mortels. Attirance, rejet, découverte, appréciation, évolution, tentative de reproduction : tout y passe. Et se dégage une forme de sensualité. Les corps totalement "latexés" s'imprègnent des émotions brutes sans un mot. Seuls les corps en mouvement s'expriment en se perdant, se rattrapant. Et nous, on sort conquis. 



Inconditionnelles @Bouffes du Nord, le 22 Novembre 2024

 

© Christophe Raynaud de Lage

L'espace scénique est quadrillé. Les corps occupent l'espace de façon très géométrique. C'est physique, et contraignant, c'est Inconditionnelles de Kae Tempest mis en scène par Dorothée Munyanez

Tout tourne autour de Chess - incarnée par Grace Seri - purge une longue peine pour homicide et Serena - portée par Bwanga Pilipili - s'apprête à sortir, elle a obtenu sa libération conditionnelle. Le problème : elles se sont attachées l'une à l'autre. La première se réfugie dans le chant en étant accompagnée par la tendre professeur Silver - Sondos Belhassen -, la seconde gère de son mieux sa vie en dehors des murs. Face à face, côte à côte puis brutalement de l'autre côté du mur. 

La langue de Kae Tempest est connue pour être franche, sans détour. Grace Seri rayonne. Elle parvient à porter toute la fragilité de son personnage, son mal être. Sur les murs, sur les pavés, à toute heure du jour et de la nuit, Chess griffonne des textes. Partagée entre colère et tristesse, elle est désemparée. Son ancienne codétenue ne sait plus comment faire, comment s'y prendre avec elle. Maintenant qu'elle est dehors, rien ne lui semble simple. Comme si la vie dedans lui rendait finalement service. 

Se libérer physiquement et psychiquement ne sont pas incompatibles mais peuvent être entretenus dans deux corps. Une vie comme en symétrie. La géométrie de l'espace toujours là. Sans pour autant que Chess ne soit lié à la notion du jeu d'échecs, ses déplacements sont tour à tour celui d'un pion malléable, de folle ou encore de reine. Seule Silver pourrait faire office de cavalière. Et la tour serait la brute de gardienne - discrète Davide-Christelle Sanve -. 

Si la première partie est faite de quelques faiblesses, le jeu gagne en puissance dans la seconde. Les actrices se révèlent plus confiantes et peu à peu, elles s'impliquent plus intensément. Le décor unique des Bouffes du Nord gagnerait à être davantage exploité physiquement. 


Sur l'autre rive @Théâtre du Rond-Point, le 10 Novembre 2024

Une petite année plus tôt, nous découvrions l'adaptation de La Mouette par le Collectif MxM dirigé par le metteur en scène Cyril Teste. Le presque cinquantenaire poursuit son voyage dans la littérature du russe Tchekhov en adaptant cette fois-ci Platonov en l'intitulant Sur l'autre rive. Créé aux Amandiers et repris au Théâtre du Rond-Point, nous avons eu l'occasion de la découvrir à sa reprise. 

© Simon Gosselin

Les soirées d'été ont toujours quelque chose de beau au-delà du soleil agréable qui vient se poser sur la peau. Ce sont des occasions pour organiser des grands banquets jusqu'au bout de la nuit, s'entourer de ses proches et célébrer la vie. 

L'organisatrice de celui de ce soir c'est Anna Petrovna - incarnée par la magnétique Olivia Corsini terrible dans La Mouette -. Valsent autour d'elles de nombreux convives de tous les bords plus ou moins fortunés - portés par des figurants amateurs invités à prendre part à la fête -. Si la fête se veut belle, le fond est triste. S'il n'est point question d'un bal masqué, les masques tombent à mesure que les verres se remplissent et que s'écoulent les heures. Les faiblesses humaines se voient, les jalousies se révèlent, le décor craquèle, l'argent règne. 

Notre sensibilité au travail de Cyril Teste est ravie. Les dialogues sont inscrits dans un registre contemporain faisant de l'oeuvre slave un récit intemporel. Les comédiens sont tous saisissants, chargés d'une intensité dramatique voire burlesques à certains moments pour Vincent Berger dans le rôle titre - les spectateurs comprendront de quoi il s'agit si nous parlons ici d'enroulement de tapis - et Haini Wang touche par sa justesse, la sensibilité de son personnage. 



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Petites joueuses @Musée du Louvre, le 07 Novembre 2024


Comment parler de la performance
Petites joueuses ? Conçue par le danseur François Chaignaud - découvert il y a quelques temps avec le superbe Gold shower aux côtés d'Akaji Maro dans ce même cadre que le Festival d'Automne -, Petites joueuses nous invite dans les profondeurs du Louvre. Selon l'heure à laquelle vous vous y rendez, vous avez la possibilité de découvrir l'exposition Figures du fou. Du Moyen âge aux romantiques avant ou après la représentation. Le fait d'y aller avant nous a permis d'inscrire la performance dans le prolongement l'exposition. Et rien que pour ça, c'est beau. 

Vous entrez par une porte très commune et voilà que vous pénétrez dans une parenthèse hors du temps. Oubliez les tableaux, les œuvres et saluez la pierre froide, sentez l'humidité. Vous voilà dans les tréfonds de l'incontournable musée parisien, dans les allées du Louvre médiéval. Vos mouvements sont libres, pas de circuit prédéfini si ce n'est celui de votre instinct. 

Sur votre chemin, laissez vous surprendre par des créatures tout de rouge vêtues. Elles jouent avec un ballon, elles courent dans des espèces de fossés, elles se suspendent, elles font des bulles ou dansent une chorégraphie médiévale - une tentative de mauresque ? - ... Légèreté et douceur s'invitent à la fête, fantaisie aussi. La créature chante parfois. Sans trop savoir laquelle pose sa voix, laissez vous porter par les regards. Tenez-les si vous y parvenez. Votre déambulation s'achève quand bon vous semblera. 


Lieux Communs @Théâtre Public de Montreuil, le 24 Septembre 2024

Avant de poser ses bagages à Montreuil, Lieux Communs de Baptiste Amman est passé par la case Avignon. La pièce pouvait être un roman tant elle mélange les genres. Thriller et poésie se côtoient, philosophie et par extension politique se mêlent - sur fond de sujets bien ancrés dans l'actualité que sont les féminicides, l'immigration, l'extrême droite, la radicalité ou encore la liberté d'expression. 

© Christophe Raynaud de Lage

Toute la difficulté de ce texte est de ne pas faire dominer un genre plus qu'un autre, l'équilibre est plutôt bien trouvé, la langue est vraiment soignée néanmoins quelques petits mécanismes ne fonctionnent pas toujours. Sur le plateau, quatre espaces : un théâtre, un atelier, un plateau télé et un commissariat. La plupart derrière des parois vitrées. Les intrigues s'entrecroisent. Parfois, elles dialoguent littéralement. 

Un point de départ : une femme retrouvée morte - fille d'un homme politique d'extrême droite - par défénestration. Suicide ou meurtre ? La pièce ne met pas en scène l'enquête mais les répercussions sur différents protagonistes : une metteuse en scène qui adapte les textes du coupable, les médias, le frère de la victime, la soeur du présumé coupable, un flic... On revient sur les origines de la violence évidemment mais on navigue dans tous les points de vue, tous parfaitement audibles. Véritable reflet de la complexité singulière dont se pare chaque "histoire #Metoo". 

Le jeu des huit comédiens est pour le moins convaincant, l'énergie collective est belle, le réalisme est saisissant. Toutefois, le propos laisse peu de place au mystère, les croisements ne fonctionnent pas toujours - on note un tableau en particulier où l'espace scénique est scindé en deux et les répliques se répondent sans véritable sens au risque de perdre les spectateurs -. 

Maistre Pierre Pathelin @Théâtre des Loges, le 23 Juin 2024

Depuis une vingtaine d'années, la Troupe du Théâtre des Loges jouit d'un lieu exceptionnel à Pantin pour héberger ses créations ; un ancien lavoir dont la partie la plus ancienne est un héritage de la fin du XIXème siècle. Quel lieu rêvé pour interpréter Maistre Pierre Pathelin - farce anonyme du XVème siècle plus connue sous le nom de La Farce de Maître Pathelin -. Aujourd'hui menacé de destruction, il est important de s'engager à ses côtés pour qu'il puisse continuer à exister.

Comme toute farce qui se respecte, elle met en scène un naïf - ici un drapier interprété par Benoit Gauthier - qui se fait avoir par son entourage - un couple composé de l'avocat Maistre Pierre Pathelin (Paul Lemonnier) et de sa femme complice Guillemette (Soledad Lida) -. 

Si le lieu est déjà magnifique, l'espace scénique l'est tout autant : une charrette à foin branlante mais suffisamment stable pour faire tenir les comédiens qui dans leurs costumes rappellent les tréteaux sur lesquels les acteurs jouaient les premières farces - voyez l'exemple de ce qui se passe dans l'inoubliable Molière d'Ariane Mnouchkine -. La Troupe du Théâtre des Loges sous la direction de son metteur en scène Michel Mourtérot nous livre un spectacle familial de grande qualité. On pourrait se croire dans un tableau de Gustave Courbet : les costumes, les lumières, tout est particulièrement réussi. 

Les cinq comédiens nous transmettent avec fougue une farce dans ce qu'elle a de plus cruellement drôle autant dans sa forme - le dialecte d'Île-de-France mâtiné de particularismes angevins impeccablement interprété en vers octosyllabiques - que dans son fond. Les grimaces, le jeu, l'art théâtral est maîtrisé de bout en bout. Reprise prévue à l'automne, nous ne pouvons que vous recommander chaudement de vous y presser.