Hamlet @Opéra Comique, le 15 Décembre 2018


© Vincent Pontet
Après une superbe adaptation de Festen Cyril Teste présentée aux Ateliers Berthier fin 2017, le metteur en scène s'est lancé un défi encore plus grand et totalement différent : Hamlet d'Ambroise Thomas à l'Opéra Comique. Cyril Teste montre, une fois encore, qu'il est à la hauteur des défis qu'il s'impose.

Escaliers, foyers, balcons et bien sûr plateau font office de décors. L'arrivée du fond de la salle en grandes pompes de Claudius - interprété par Laurent Alvaro - donne le ton du spectacle : monumental. Résolument contemporaine, cette adaptation d'Hamlet s'ancre dans une époque très proche de la nôtre.
© Vincent Pontet 

Cyril Teste a, pour ce spectacle, collaboré avec le scénographe belge Ramy Fischler pour exploiter au mieux la vidéo qui lui est chère : jeux de rideaux, juxtaposition de voiles en tulle, écrans. Tirant profit d'une scénographie allégée, ils parviennent à créer intégralement des espaces en tout genre : nature, intérieurs, cimetière, profondeurs aquatiques... uniquement par la vidéo. Cette dernière se rapprocherait du travail de Bill Viola notamment dans la scène de noyade d'Ophélie. A noter également l'habile jeu entre les moments pré-enregistrés et les directs purs.

En ce soir de générale, les spectateurs sont prévenus : les artistes ne sont pas amenés à chanter à pleine voix. De plus, Sylvie Brunet-Grupposo interprète de Gertrude est annoncée comme souffrante. Mais merveilleuse surprise : la représentation n'a guère été interrompue et l'ensemble des artistes a donné de la voix en toutes circonstances. Stéphane Degout campe le rôle titre avec brio, profondeur. Sabine Devieilhe brille par son timbre de voix si clair et bouleverse dans sa noyade. Jérôme Varnier surprend ; assis parmi les spectateurs, il incarne son personnage de Spectre avec force. Sans oublier tous les autres personnages, l'ensemble impressionne aussi par la clarté des chants. Composant essentiel, L'Orchestre des Champs-Elysées dirigé par Louis Langrée joue tout en subtilité en marquant les moments dramatiques avec justesse. 

Antigone @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 09 Décembre 2018


© Adel Keil
L'imposant décor de Jean-Baptiste Bellon a pris pour résidence l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet qui a accueilli pendant une semaine de décembre la création de Lucie Berlowitsch et sa troupe Les 3 sentiers ; Antigone. La metteur en scène s'entoure de comédiens ukrainiens et français pour l'occasion et fait revivre le mythe en l'ancrant dans un cadre spatio-temporel très proche du nôtre. 

Les spectateurs font face à une immense devanture de château comme dessinée à la craie sur une paroi en ardoise. En retrait côté jardin, les instruments du groupe cabaret-punk sont installés. Au bord du plateau, le public des premiers rangs sont à proximité d'un objet inattendu : un jeu de force. Côté cour, la dépouille de Polynice est posée à même le sol.
Dakh Daughters
© Maxim Dondyuk
Dans une ambiance brutale, violente et électrique ponctuée par les chants des Dakh Daughters, le mythe d'Antigone revisité en langue slave - avec quelque passages en français - et dans une esthétique contemporaine par Lucie Berlowitsch est une grande réussite. Les comédiens portent un jeu qui gagne en puissance à mesure que l'intrigue progresse. Mentions spéciales aux premiers rôles portés par Chrystyna Fedorak - aux allures d'une Antigone punk - et Roman Yasinovskiy - tyrannique - qui, au-delà de leurs magnifiques vociférations, soutiennent des regards intenses.





Macadam Animal @MC93, le 08 Décembre 2018


Il est difficile d'expliquer la nature de Macadam Animal. La création s'apparente tantôt à la conférence, à l'exposé scientifique mais aussi à un véritable objet créatif indéfinissable ou peut-être de manière réductrice : performance sonore et expérimentation vidéo. L'auteure Olivia Rosenthal accompagnée du compositeur-vidéaste Eryck Abecassis interrogent ensemble la présence animale dans nos villes.

Chien sauvage, corbeau, termite, rat ou encore crabe bleu sont ici questionnés. Au Havre, à Bobigny ou encore à Casablanca, on explore notre environnement par le prisme des animaux qu'ils soient repoussants ou attirants. La création sonore d'Eryck Abecassis plonge les spectateurs dans une ambiance industrielle pendant qu'Olivia Rosenthal nous invite à la réflexion avec des questionnements tels que pour qui est-ce que les espèces nuisibles sont-elles nuisibles, dit-on un ou une termite ? Dans ses intonations l'auteure semble parfois improviser.

Le duo offre aux spectateurs de la MC93 une parenthèse totalement à part dans laquelle on entrerait comme un cabinet de curiosités sonore. Les thèmes biologiques, ethnologiques et environnementaux se croisent pour nous transporter dans une sorte de traversée poétique finalement.





Le Misanthrope @Théâtre 12, le 07 Décembre 2018


Depuis sa création la compagnie Etincelle sillonne l'hexagone avec son même mot d'ordre : faire revivre les grands textes.
Pendant la saison estivale, elle proposait au Lucernaire la première mise en scène de Légende d'une vie qui a valu à son comédien Lennie Coindeaux le titre de Meilleur comédien pour un premier rôle aux P'tits Molières 2017. En cette saison hivernale, la compagnie s'est affairée autour du Misanthrope de Molière pour une série de dates au Théâtre Douze. 

Comme la plupart des pièces du dramaturge, Le Misanthrope n'échappe pas à l'universalité et intemporalité.
C'est pourquoi Caroline Rainette a choisi de le transposer de nos jours. Tantôt dans les couloirs d'un tribunal, à la cour ou en boîte, elle casse le code d'unité de lieu voulu par le théâtre. Pari réussi. La metteure en scène originaire de Chartres prend également le parti de retirer quelques personnages pour se recentrer sur l'essentiel. Leurs absences ne généreront aucun impact et rendent la pièce encore plus accessible, plus fluide.

Avec la même exigence que Légende d'une vie, la compagnie livre une prestation convaincante. Lennie Coindeaux campe un Alceste terrible, impitoyable avec ses semblables. En lui confiant le rôle d'Alceste, Caroline Rainette casse l'image d'un personnage plutôt vieux jeu à la limite du réactionnaire. Autour de lui s'activent Jérémie Hamon, Bruno Aumand, Camille Cieutat et Caroline Rainette qui manient les alexandrins non sans talent. Cette dernière s'est réservé le rôle d'une Célimène indépendante, légère et élégante. Tous ensemble, ils portent et parviennent à faire résonner un texte qui se peut résolument contemporain. 

Ionesco Suite @Espace Pierre Cardin - Théâtre de la Ville, le 02 Décembre 2018



Après une longue tournée la troupe du Théâtre de la Ville revient à la maison, en terres parisiennes. La joyeuse troupe livre un spectacle "laboratoire" qui fait le tour de l'oeuvre d'Eugène Ionesco en mettant à la suite des extraits choisis de Jacques ou la soumission, Délire à deux, La cantatrice chauve, Exercices de conversation et de diction françaises pour étudiants américains et de La leçon. Le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota propose un voyage d'un peu plus d'une heure en "absurdie".

La pièce d'ouverture met dans le bain avec des comédiens transformés en famille monstrueuse - le doux mélange d'une enfant cul-de-jatte et d'humains génétiquement modifiés - réunie autour d'une grande table pour un repas plus que tendu. Les échanges absurdes fusent dans tous les sens. Toute les thématiques de la réflexion de l'auteur roumano-français sont ici développées : la complexité d'être, la domination sous toutes ses formes, l'absurdité, le langage...

Pour le plus grand plaisir des spectateurs s'enchaînent de nombreuses perles d'humour et ça voltige : pièce montée, liquides, bougies, extincteur... Les sept comédiens dynamitent l'Espace Pierre Cardin avec une énergie flamboyante et épatent par leur talent pour jongler avec les mots d'Eugène Ionesco. Ionesco Suite est un spectacle véritablement familial, totalement déjanté. 

La petite sirène @Comédie Française - Le Studio, le 01 Décembre 2018


Plongée sous les mers au Studio de la Comédie Française.
Des sortes de lianes dorées peuplent le plateau, la douce petite sirène interprétée ici par Adeline d'Hermy est assise sur une balançoire et discute avec sa grand-mère jouée par Danièle Lebrun. Leurs jambes croisées recouvertes de gris symbolisent ici les queues de poisson. Toutes deux s'entretiennent à l'approche de l'anniversaire de la petite sirène à qui l'on n'a pas attribué de prénom. Elle s'apprête à avoir 15 ans. Et 15 ans, dans le monde des sirènes, c'est comme une première étape de la majorité : on l'autorisera à découvrir le monde des humains. Ses soeurs dont fait partie Claire de la Rüe du Can ont connu ce grand moment mais en sont vite revenues.

Malheureusement, ce jour-là est marqué par une météo déplorable. Têtue, la jeune sirène s'aventure chez les humains. Elle sauve de la noyade un jeune prince et développe un sentiment amoureux à son égard. Elle n'a désormais plus qu'une envie : le retrouver. Pour y parvenir, elle file dans les eaux profondes, sans doute plus froides, plus troubles où vit la Sorcière des mers. Cette dernière lui promet de revoir le prince en lui proposant un échange malveillant : une paire de jambes contre sa voix qui avait séduit le terrien.
La jeune sirène accepte, la voilà muette et échouée sur la plage sans avoir idée du fonctionnement des jambes.

A la surface, les spectateurs partent à la rencontre d'un autre duo ; celui formé par le prince touchant - joué par Julien Frison - et son père drôlement joyeux - campé par Jérôme Pouly -.  Tous deux s'affairent pour décorer leur palais. Le prince découvre l'héroïne inconsciente. Il lui fait reprendre ses esprits mais la voilà qui ne peut exprimer sa gratitude, son amour. Elle trébuche, glisse, improvise des pas de danse et très vite, elle apprend à se servir de ses nouveaux membres. Mais la malheureuse ne pourra pas lutter face à sa rivale venue d'un palais voisin avec une voix qui enchante le jeune prince. Face à l'impossibilité d'une victoire, la petite sirène se sacrifie.

Géraldine Martineau signe une mise en scène poétique qui séduira petits et grands enfants. Sa lecture est loin de l'imaginaire merveilleux que suggérait Disney il y a maintenant quelques années, elle s'ancre plus dans le réel sans pour autant brusquer son public. Le duo d'Hermy/Frison séduit par la douce naïveté de leurs personnages, très enfantine.


Soeurs (Marina & Audrey) @Bouffes du Nord, le 26 Novembre 2018


© Pauline Roussille 
Audrey Bonnet débarque dans la salle des Bouffes du Nord comme on entre dans l'arène. Elle a besoin de se faire entendre par celle qui est sa soeur le temps du spectacle Marina Hands. Mais pourquoi cette agressivité d'entrée de jeu ? Il semblerait que Marina ait oublié de prévenir Audrey que leur mère est décédée. Un oubli ? Un acte manqué ? En tout cas c'est l'élément déclencheur qui ravive une jalousie qui n'a jamais cessé de croître. Elle est née il y a trente ans et n'a jamais disparu. Aucune insulte n'est proférée. Le calme n'existe pas. Les rancœurs d'hier alimentent celles d'aujourd'hui. C'est la confrontation de modes de vie si différents, de névroses. Pendant qu'Audrey Bonnet s'époumone, Marina Hands est à cheval entre la raison et la colère.

Le plateau est presque vide ; des chaises multicolores de type salle des fêtes sont empilées en retrait et un pupitre. On apprend que Marina s'apprête à prendre la parole, mener une conférence sur l'accueil des migrants. Cet altruisme, elle le revendiquera sans cesse en rappelant qu'Audrey dénigre l'altérité avec sa situation de critique. Lorsqu'elles évoquent l'enfance, ces sœurs semblent avoir été élevées dans leur détestation réciproque. Avec notamment, un père ethnologue qui les encourage à s'affronter, à se concurrencer ; la figure paternelle les a habitué à triompher individuellement. La natation comme point de départ.

Puis, les chaises finissent par envahir l'espace, comme si les souvenirs étaient désormais exposés à la vue de tous. Au milieu, elles se retrouvent le temps d'une chanson : Wonderful life. "No need to run and hide. It's a wonderful, wonderful life" (Pas besoin de courir et se cacher. C'est une vie merveilleuse, une vie merveilleuse) entend-on. On les surprend à danser en symétrie : leurs cheveux s'emmêlent, elles ne font qu'une. Pour à nouveau mieux se diviser.

Pascal Rambert met en scène un duel sans merci duquel aucune ne sortira victorieuse. Jamais elles ne se pardonneront, mais les liens du sang sont indéfectibles. Toute la force de ce texte repose sur l'alternance des petites phrases qui peuvent être prises de travers et des gros blocs massifs bien lourds que sont les souvenirs familiaux envenimés. 

La route du levant - la spirale de la haine @Maison des Métallos, le 22 Novembre 2018


© Leslie Artamonow
Les spectateurs sont placés de part et d'autre du plateau où est placé un bureau. Jean-Pierre Baudson c'est le vieux flic, en fin de carrière sans doute. Face à lui, Grégory Carnoli campera le rôle du jeune soupçonné de vouloir rejoindre la Syrie. 

Si d'entrée de jeu les deux hommes se parlent calmement, les échanges deviennent de plus en plus tendus. 
C'est la confrontation de deux visions du monde : l'un dresse le portrait d'une société où tous les citoyens ont une chance, l'autre tente d'expliquer que cette société l'a bercé dans les déceptions. Chacun place stratégiquement ses arguments. L'un sait jouer la carte de la complicité inattendue, le sens de la ruse pendant que l'autre manipule, clame son innocence tout en se faisant, par moment, insolent. Et parfois, l'un déstabilise l'autre. 

Les deux êtres se livrent à un match rhétorique puissant. Les arguments sont audibles des deux côtés, on se surprendrait à prendre position des deux côtés, en alternance. L'action n'est pas visible, elle est même prononcée : le duo partage les didascalies aux spectateurs. La tension monte toujours plus jusqu'à atteindre des sommets : qui l'emportera sur l'autre ? L’ambiguïté plane jusqu'à la fin. 

L'auteur, Dominique Ziegler  parvient dans cette pièce à relever le défi de poser les bonnes questions notamment celle du choix de l'extrémisme islamiste pour certains jeunes qui n'avaient jusqu'alors aucun lien avec la foi et d'y apportant des réponses cohérentes. Dans une mise en scène sobre, Jean-Michel Van Den Eeyden fait porter le spectacle par son duo de comédiens. 

Joueurs - Mao II - Les Noms @Théâtre Odéon - Ateliers Berthier, le 18 Novembre 2018


© Simon Gosselin 
Le travail du jeune Julien Gosselin fascine. Après ses deux spectacles fleuves Les Particules élémentaires et 2 666 le metteur en scène  trentenaire vient faire trembler les murs des Ateliers Berthier après avoir secoué ceux de la FabricA pendant le Festival d'Avignon avec son adaptation trois en un des romans de l'américain Don DeLillo : Joueurs, Mao II et Les Noms. A noter qu'il s'est autorisé un petit intermède avec un format court pendant le Festival d'Automne : Le Père à la MC93. Nouveau défi. Nouvelle plongée dans la violence pour le collectif Si vous pouviez lécher mon cœur. Durée du voyage : près de 10h. Deux options s'offrent aux spectateurs : voir l'intégralité sur une journée ou jouer la carte des épisodes. Le choix a été vite fait.

Joueurs, Mao II, Les Noms surpasse 2 666. Encore plus profond, peut-être plus dérangeant mais toujours brillant. C'est une immersion totale, tous les sens sont en éveil - à l'exception sans doute du toucher -. Fidèle à sa pratique du théâtre filmé, Julien Gosselin démontre à nouveau qu'il maîtrise en offrant toujours plus de plans magnifiques comme par exemple le fait de partager à l'écran le seul reflet des bougies dans les lunettes du comédien Adama Diop dans la pénombre.

Première étape de ce long voyage : Joueurs. Rencontre avec un couple moderne américain au bord de la rupture. Lyle Wynant (Denis Eyriey) et Pammy (Caroline Mounier) sont des cols blancs. Ils vivent dans les excès en tous genres. Jusqu'au jour où Lyle fait la connaissance d'un réseau terroriste. Le voilà séduit, il plonge aveuglément. Pendant toute cette première partie, tout est visible à l'écran. Tout se joue entre les panneaux de bois totalement opaques. Quelques rares passages laissent respirer les comédiens hors les murs.

Transition sur fond inattendu de karaoké kitsch chinois interprété par Victoria Quesnel.

Mao II c'est une autre vision du terrorisme : celui qui touche le Moyen-Orient. Les personnages ne sont pas spécialement dans les affaires. Il s'agit cette fois d'un écrivain (Frédéric Leidgens), son éditeur (Alexandre Lecroq-Lecerf), un archiviste (Antoine Ferron), une téléphage (Carine Goron) et une photographe (Noémie Gantier). Le fond est nettement plus politique tout en interrogeant la perte d'une identité. En effet, l'écrivain qui vivait caché finira par prendre la place d'un otage.
Qui était-il ? Que voulait-il ?

Nouvelle et dernière transition avec un monologue de Joseph Drouet sur un fond rouge vif.

Ultime escale : Les Noms est sans doute la partie la plus complexe, la plus sordide et la plus dérangeante - aspects qui rappellent 2 666 -. Des couples américains plutôt fortunés se retrouvent en Grèce, ils racontent leurs trains de vie confortables passés aux quatre coins du monde. Le personnage d'Adama Diop s'avère fasciné par une secte criminelle qui tue en s'appuyant sur les lettres de l'alphabet. Cette partie dérange par la présence de certaines images : un homme ensanglanté qui glisse longuement dans son propre sang et s'exprime dans un langage incompréhensible. Plus d'écran pour permettre une certaine distance, il patauge sous nos yeux.

Les trois musiciens qui jouent en direct sont toujours sur ce registre électro assourdissant parfois nerveux mais tellement entraînant. Le collectif Si vous pouviez lécher mon coeur n'a rien à prouver : le talent les habite, ils ont tous le sens de la performance pleine de rigueur et d'énergie. Julien Gosselin peut avancer dans ses projets en toute confiance : il bouscule, il surprend, il captive !

Le teaser du spectacle >> https://vimeo.com/296386341

La petite fille qui disait non @Maison des Métallos, le 16 Novembre 2018


© Thierry Laporte
La petite fille qui disait non de Carole Thibaut c'est une manière contemporaine de revisiter le conte de Charles Perrault Le petit chaperon rouge et le réécrire un peu. 

Cette petite fille qui disait non elle s'appelle Marie (Marie Rousselle-Olivier), elle est sage comme une image et vit seule avec sa mère, Jeanne (Hélène Seretti), femme active indépendante, infirmière. Comme cette dernière ne cesse de courir partout, elle la confie à sa propre mère : Louise (Yann Mercier). Et cette grand-mère offre une parenthèse fantaisiste à sa petite-fille. Elle lui partage ses souvenirs de sa gloire passée. Elle nourrit l'imaginaire de sa petite-fille. Jusqu'au jour où elle est emportée par la mort. Marie se retrouve seule. Quand elle allait chez Louise, Marie devait contourner la Cité-Forêt. Voilà qu'un jour, elle décide de désobéir à cette obligation. Elle dit non. Elle grandit. Passer par la Cité-Forêt c'est découvrir le monde et ses dangers. 

Carole Thibaut met en scène la crise d'adolescence. Se croisent également les thématiques de la transmission intergénérationnelle et du rapport à la mort. Une mère qui fait de son mieux pour éduquer sa fille mais qui se heurte aux imperfections. Ces dernières sont d'ailleurs matérialisées sous forme de petites bosses dans le décor que signe Camille Allain-Dulondel. Conçu pour un jeune public (à partir de 8 ans), La petite fille qui disait non est un spectacle qui finalement s'adresse à tous. 

Derrière un voile de tulle, la fantaisie de Louise offre des moments très poétiques. L'envol de Marie dans le monde des grands gagnerait en intensité si Lou s'avérait être plus âgé ou peut-être plus méchant car Marie n'est quasiment pas effrayée et revient à sa rencontre très facilement. 

Ivanov @Théâtre Athénée - Louis Jouvet, le 14 Novembre 2018


© Simon Gosselin
Christian Benedetti le metteur en scène spécialiste du dramaturge russe Anton Tcheckhov occupe jusque début Décembre le Théâtre Athénée - Louis Jouvet pour y proposer son adaptation d'un des premiers textes du russe : Ivanov.

Fidèle à ses habitudes, Benedetti a le sens du rythme. Le superflu n'existe pas, on met l'essence et on trace la route à vive allure. (En cette période de lutte contre la hausse du prix du carburant, c'est assez gonflé.)

Ivanov c'est ce type qui s'est marié à Anna Petovna. Elle est folle de lui. Au point qu'elle ait renoncé à sa religion : le judaïsme. Conséquence directe : elle est déshéritée par ses parents. Lui n'a plus le sou. Il est même couvert de dettes. Petrovna est souffrante. Il ne l'aime pas (ou plus). Il s'enferme dans une sorte de mal du siècle. Ce qui ne l'empêche pas de se laisser séduire par une très jeune fille ; Sacha. Autour de lui, on ne cesse de le culpabiliser car Mademoiselle semble avoir un peu d'argent. Mais peu lui importe la réputation qu'on lui prête, un second mariage doit s'inscrire dans sa vie. 

Benedetti avec sa mise en scène vive parvient à faire osciller le texte entre le drame et la comédie burlesque sans jamais balancer plus dans un genre que dans l'autre. Ivanov est ici interprété par un excellent Vincent Ozanon et la joyeuse bande mondaine non sans talent emboîte le pas. Les personnages s'activent de tous les côtés et ça ne manque pas de rigueur. Le plateau est peu chargé : quelques chaises ça et là, un piano, des portes-fenêtres et quelques cloisons mobiles suffisent à composer un décor efficace. Ivanov par Benedetti c'est le tableau d'une bourgeoisie agitée, peu bienveillante et terriblement cupide. 



Sopro @Théâtre de la Bastille, le 13 Novembre 2018



© Filipe Ferreira
Le vent souffle dans le théâtre de la Bastille, les hautes herbes parsemées sur le plateau frémissent. Le décor laisse imaginer un théâtre déserté. Les comédiens peuplent progressivement le plateau. Et, tout en discrétion, Cristina Vidal, vêtue de ses habits sombres, les accueille.

Présenté au Festival d'Avignon, Sopro est une pièce-hommage à la femme de l'ombre, la souffleuse qui travaille aux côtés du metteur en scène portugais depuis vingt-cinq ans au Teatro D. Nacional II. Un quart de siècles d'anecdotes qui, selon elle, n'auraient tenu que sur 18 minutes et 23 secondes. Durant, toutes ces années, elle a rencontré une multitude de comédiens, fait en sorte que ces derniers n'oublient pas une seule réplique. Alors pour prolonger, Tiagro Rodrigues revisite les pièces sur lesquelles celle qui murmure à l'oreille des artistes est intervenue pour éviter les catastrophes.

Les premières scènes consistent à montrer aux spectateurs comment est né ce projet : la discussion du metteur en scène avec une Cristina peu convaincue par la teneur du projet. Puis défilent Antigone, L'Avare, Bérénice... Que ça soit des trous de mémoire ou des moments beaucoup plus sensibles, Cristina Vidal a sauvé bien des situations aussi bien en répétitions qu'en représentations.

Celle qui n'a connu que l'ombre finit par être mise totalement en lumière pour prononcer les sept derniers vers de Bérénice.
Oscillant entre des instants poétiques, des fragments émouvants et des séquences comiques, Sopro est un bel hommage à l'une des professions les plus sous-estimées du monde du théâtre.

Le grand sommeil @Théâtre de la Commune, le 10 Novembre 2018


© Matthieu Bareyre
Elles devaient être deux sur le plateau. Helena de Laurens et Jeanne. La première est adulte, la seconde est une pré-adolescente. C'est bien là le problème. Une adolescente dans le monde du spectacle vivant ça suscite des complications à tous les points de vue mais surtout médicaux et juridiques. Si le processus créatif avait bien démarré entre les deux jeunes femmes, six mois de répétition au compteur ont suffi pour convaincre la médecine du travail, la psy et les parents de Jeanne que ce n'était pas bon pour elle : trop long, trop éprouvant pour une fille de son âge. L'ado est écartée de la scène, le spectacle devient un solo, un hommage à cette absence. Helena de Laurens devient Jeanne le temps de la représentation.

La danseuse vêtue de rouge arrive du fond du plateau sur Bitch better have my money de Rihanna. Comme une enfant, elle fait tourner un sac autour d'elle, façon tourniquet. Puis vient le temps des paroles crues de l'ado, elle n'est pas une enfant comme les autres. En pleine tentative de rébellion, sa façon arrogante de s'exprimer avec des silences perturbants, Helena donne son corps, l'âme est bien celle de Jeanne.

De façon presque détestable, à la limite de la méchanceté, elle questionne son rapport avec les adultes, avec ce qui s'apparente à la norme, avec la famille... Elle perturbe avec ses grimaces improbables, elle se métamorphose en véritable petite diablesse qui n'existe qu'au travers de ses provocations. SM  de Rihanna en fond sonore, Helena se livre à l'ultime provocation de Jeanne. Le corps souple de la performeuse gesticule à la manière de la chanteuse de la Barbade tout en s'enroulant avec un rouleau de scotch orange vif.

Elles n'étaient pas deux, elles ne faisaient qu'une sans rivalité ni complicité pour autant. Elles fonctionnaient à l'opposé des rôles présupposés : la parole était laissée à l'enfant, l'adulte cédait son corps et s'abandonnait.


L'Ecole des femmes @Théâtre de l'Odéon, le 09 Novembre 2018


Qui aurait pu penser un jour que le texte L'Ecole des femmes allait commencer dans une salle de sport façon Club Med ? 
© Elizabeth Carecchio
Stéphane Braunschweig l'a pensé et le fait. Si ce n'est qu'une scène introductive, elle donne le ton de cette adaptation survoltée. Arnolphe, l'homme mûr si sûr de lui se muscle, s'entretient face à la concurrence masculine qu'il craint fortement. Fidèle à la plume de Molière, il confie ses craintes et ses hantises en alexandrins à son jeune ami Chrysalde. Les deux compères pédalent sur les vélos d'appartement et échangent leurs points de vue. 

© Elizabeth Carecchio




Très vite ce décor inattendu change pour faire découvrir aux spectateurs un autre beaucoup plus sombre : une ménagerie de verre teinté dans laquelle (sur)vit la douce Agnès. Cette dernière se retrouve comme un petit animal que l'on regarderait au travers de la vitre, que l'on prendrait avec prudence. Cette cage de verre renforce la personnalité possessive et dominatrice d'Arnolphe qui finira par perdre ses moyens lorsqu'il apprendra que le jeune Horace s'est épris de sa protégée. La principale intéressée confesse que le sentiment est réciproque. La perversion est alors enclenchée ; Arnolphe devient instable, rongé par l'angoisse. 

Cette instabilité est ici formidablement interprétée par Claude Duparfait. Le comédien alternera entre les facettes d'un homme prédateur et le torturé. Cette personnalité double se retrouve à plusieurs reprises : tantôt paternaliste, tantôt malsaine. Il fait face à une Agnès redoutable et sauvage campée par Suzanne Aubert. Si L'Ecole des femmes est un texte comique, l'ambiance posée par Braunschweig est grinçante. La scène de lectures des maximes du mariage fait partie de celles qui prêtent à sourire. Les dents commencent à grincer lorsqu'Arnolphe dévoile sa folie, contrôlé par son unique désir, la main dans le slip, pantalon aux chevilles il est déterminé à faire entendre ses sentiments à Agnès. 


Le Banquet @Théâtre du Rond-Point, le 08 Novembre 2018


Quatre ans auparavant le Théâtre du Rond-Point accueillait la création de Mathilda May, Open space (mon retour ici) qui décrivait le monde de l'entreprise. Dans le même esprit, elle choisit de s'attaquer au mariage et plus particulièrement, au banquet. 

Les ingrédients de sa première création s'y retrouvent : l'absence de paroles, mimiques et postures hilarantes. Seuls les comédiens changent. : Sébastien Almar, Roxane Bret, Bernie Collins, Jérémie Covillault, Lee Delong, Stéphanie Djoudi-Guiradon, Arnaud Maillard, Françoise Miquelis, Ariane Mourier et Tristan Robin s'en donnent à cœur joie. 

L'énergie est bien au rendez-vous, les gags les plus absurdes ne manquent pas et ce,
dès le début de la représentation : banquet inaccessible, pente raide, robe tâchée, l'ivresse de chacun, tout y est et interprété impeccablement.

Au plus proche du réel, tous les convives "clichés" se retrouvent pour ce grand rituel : la mariée dépassée, le témoin beau gosse du marié quelque peu vulgaire, le père au discours soporifique, la tante au chihuahua, l'adolescente attachante, le gosse qui court partout, le photographe collant, le DJ foireux... Tout ce petit monde festoie : ça boit, ça mange, ça tombe malade, ça danse, ça s'amuse, ça s'ennuie, ça se remémore, ça s'aime... Et dans le grand ensemble on trouve également des moments de solitude, des sortes de parenthèses que s'accordent les personnages et tout se met à tourner au ralenti autour d'eux. Le burlesque atteint des sommets pour mieux verser dans le tragique final.


Comme pour Open space Mathilda May montre une fois encore son talent pour créer un univers tout à fait loufoque.
Toutefois, les gags finissent par s'épuiser et les longueurs commencent à se faire sentir, la soirée s'éternise mais est-ce encore le besoin d'être au plus près du réel ? Pas sûr... 

Acceso - Résistance d'un enfant des rues chiliennes @Maison des Métallos, le 06 Novembre 2018


© Sergio Armstrong
Il déboule dans la salle comme on entrerait dans un métro légèrement bondé. Si une partie des spectateurs sont installés dans les gradins en légère surélévation, l'autre se concentre sur deux rangées de chaises réparties côté cour et côté jardin. 

Très vite, Sandokan débite son discours de commerçant itinérant et sort toute une série de pacotilles de sa besace : trio de peignes, livres parmi lesquels la constitution chilienne de 1844 et la Bible, gadget lumineux pour faire fuir les mauvais esprits de la chambre des enfants, rouleau anti bouloche électrique, semelles en mousse... Un moyen pour lui de survivre ou encore simplement d'exister.

Sandokan c'est avant tout un adulte qui n'a pas eu accès à une enfance ordinaire, qui n'a pas eu d'enfance tout court.
Des "m'sieurs", comme il les appelle, qui n'ont rien de sain lui ont arraché l'insouciance et le peu d'innocence qu'il pouvait avoir. Commence alors le basculement dans le sordide. Sans détour, Sandokan décrit les abus sexuels dont il a été victime, comment il a entraîné sa sœur malgré lui, sa détresse, la violence des puissants, les effets de la cocaïne...
Au plus près des spectateurs, il balance crûment les faits et gestes des adultes qui l'ont tantôt gâté tantôt sali, souillé.

Roberto Farias installe une atmosphère dérangeante par sa gestuelle, par ses expressions, son regard ne tombe jamais. Ses récits sont racontés avec une certaine exaltation qui déroute les spectateurs. Quand le mal aise est palpable, soudainement, il reprend les démonstrations enthousiastes de ses marchandises improbables.

Un monologue saisissant et puissant.

  

La guerre des salamandres @Maison des Métallos, le 23 Octobre 2018


C'est à la Maison des Métallos que la joyeuse bande des Tréteaux de France s'est installée pour y jouer le conte visionnaire sombre et loufoque La guerre des salamandres du tchèque Karel Capek

© Jean-Christophe Bardot
Les spectateurs se trouvent embarqués dans une fiction politique noire à la manière d'un George Orwell mêlée à la poésie d'un Charlie Chaplin. Le fond de l'histoire est simple : les catastrophes causées par la cupidité de l'homme. Entre critique sévère des dérives du  capitalisme et dénonciation de la destruction progressive de la planète Terre, La guerre des salamandres s'inscrit dans le registre de l'épopée fantastique. 

Tout commence avec le récit d'un capitaine qui découvre des salamandres. Ces créatures sont, en apparence, très proches des humains.  De façon fascinante, les salamandres ne feront aucune apparition sur les planches - ou très brièvement et pas nettement - laissant l'imaginaire opérer. Ces dernières débusquent des perles qui suscitent immédiatement l'intérêt de l'homme. Aussitôt, le capitaine décide de tirer profit des perles et par extension, des créatures. Elles se retrouvent surexploitées par une multinationale, cotées en bourse... L'enfer ne fait que commencer aussi bien pour elles que pour l'humanité.

Dans une scénographie très ingénieuse - signée Samuel Poncet - et proche du théâtre d'objets, les sept comédiens interprètent avec une énergie débordante pas moins d'une cinquantaine de personnages et entraînent avec eux les spectateurs dans un univers presque cinématographique. Si au début le rire de bon cœur est de mise, celui-ci se fait de plus en plus grinçant à mesure que l'on sent se rapprocher l'incroyable proximité avec notre actualité. Une scène de négociations entre les différents pays - qui n'est pas sans rappeler l'accord de Paris faisant suite à la Conférence de Paris (COP21) sur le climat - prête à sourire : les grandes puissances échangent entre elles, l'incapacité pour les plus faibles de s'exprimer signifiée par un micro souffrant d'un fâcheux dysfonctionnement.

Le rythme soutenu, le petit cachet retro ne peut que séduire avec, en toile de fond, la réflexion profondément anti-autoritarisme de l'auteur.




L'Amour conjugal @Scène Thélème, le 20 Octobre 2018




Du 3 au 20 octobre 2018, la Compagnie du Veilleur - qui célèbre ses 10 ans cette année - a investi la Scène Thélème (restaurant étoilé et salle de théâtre intimiste du 17ème arrondissement parisien) pour y interpréter le spectacle adapté du roman L'Amour conjugal de l'italien Alberto Moravia

Quand le lieu du spectacle fait office de décor parfait...  La salle est divisée en deux par une longue table. Aux deux extrémités de la table sont placées deux chaises, sur les longueurs on retrouve les rangées de fauteuils pour les spectateurs. Sur chaque fauteuil, les spectateurs trouvent un casque audio. Dans le casque, on entendra tantôt les pensées intérieures du personnage principal Silvio - joué ici par Philippe Canales - que ses répliques à son épouse Léda - incarnée par Johanna Silberstein -.

La pièce s'ouvre sur la présentation de Silvio lui-même puis celle de sa fascinante et féline compagne, Léda. L'homme est élégant, il s'introduit comme un esthète. Léda est comme façonnée par son mari. Ce dernier porte en lui un projet ultime : écrire un roman ou au moins, une nouvelle qui relaterait leur union. Pour y mener à bien, il suggère à son aimée de se retirer ensemble dans une villa en Toscane. Lors des déjeuners et des dîners, ils se retrouvent à table pour échanger sur l'avancée du récit. Ils se rendent compte très vite que l'oeuvre stagne. Ils décident de mettre un terme à leurs étreintes nocturnes en s'imposant de faire chambre à part.

Progressivement, la tension s'installe dans le couple. Incapable de se raser lui-même, Silvio recrute un barbier qui intervient à domicile. Le malheureux tentera de séduire Léda, qui a résisté, fait comprendre à son mari que son barbier a eu un comportement déplacé à son égard. Silvio n'en tiendra pas rigueur. Jusqu'à la nuit où il surprendra lui-même les amants en pleine nuit dans les alentours du village. Léda n'en sait rien.

Le jeune Matthieu Roy choisit de recentrer l'intrigue sur le couple animé par une certaine passion dévorante, de façon à obtenir un huis clos où la plupart des sens sont en éveil. L'expérience sonore renforce l'intensité de leurs sentiments, les pensées de Silvio sont comme murmurées aux oreilles des spectateurs, le bruit des couverts qui laissent entendre un certain agacement, les verres qui se remplissent... Tous ces bruits qui n'ont plus un sens mais du sens. La tension devient palpable. Et la vue travaille aussi : les bouteilles de vin, la ménagère disposée sur la table avec une certaine lenteur, les échanges de regards du couple. Ne manquerait plus que le goût. Le jeu des acteurs est chargé d'exigence et l'ambiance qu'ils installent progressivement suit. Le dispositif mis en place permet une immersion totale, un prolongement de l'intime et le résultat satisfaisant. 

Mama @MC93, le 13 Octobre 2018


Mama © Mostafa Abdel Aty

Les spectateurs sont plongés dans un luxueux salon oriental : au centre un canapé doré, table basse assortie et deux fauteuils aux deux extrémités du canapé. La Mama ne tarde pas à se montrer. 

Toute la pièce du metteur en scène égyptien Ahmed El Attar va reposer sur un ensemble de scénettes de la vie quotidienne d'une famille bourgeoise cairote sous l'emprise de la grande figure maternelle. Cette dernière est ici campée par Menha El BatraouiEl Attar se fait observateur des rapports familiaux qu'entretiennent les femmes et leurs maris, leurs pères, leurs fils et le tableau est pensé comme un véritable miroir. Et le miroir est loin d'être déformant. 

La Mama est dure avec toutes les femmes de son entourage. La première à subir ses caprices n'est nul autre que sa domestique qui se doit de la servir quand Madame l'exige, sa belle-fille qui ne manquera pas de marcher dans ses pas inconsciemment, son amie qui grippée, a osé faire appel à une autre qu'elle - la Mama ira jusqu'à lui tourner le dos tant qu'elle ne se sera pas excusée -, sa petite-fille qui n'est pas assez féminine (et rebelle en herbe sur fond de Metallica)... Toutes subissent mais aucune ne se rebelle franchement. 

Puis, il y a les hommes. Ceux face à qui elles capitulent. Ils portent en eux le dernier mot. L'homme de la famille devient la menace suprême. On relèvera notamment la scène où face à son manque d'autorité sur sa fille, la belle-fille fait appel à son mari qui lui-même cherche la solution auprès de son propre père.

A peine caricatural, Mama est un spectacle qui laisse espérer au metteur en scène une amélioration des conditions de vie des femmes de son pays bousculé par les Printemps arabes de 2012. Cet espoir se manifeste notamment lors de deux interventions chantées - I believe I can fly  interprété en arabe par Heba Rifaat devenant l'hymne de la libération -. 







Proces @Théâtre de l'Odéon, le 27 Septembre 2018


Proces © Magda Hueckel
Et si d'autres procès sont attendus à travers le monde, c'est celui du polonais Krystian Lupa qui a suscité l'attention des spectateurs du Festival d'Automne - et les autres -. Une adaptation dans laquelle qui mêle le roman de Kafka et la situation du metteur en scène vis-à-vis du gouvernement de son pays. A noter également que Lupa s'est exprimé publiquement sur la nomination à la tête du Teatr Polski de Wroclaw - où devait être créée la pièce - de Cezary Morawski, comédien de séries télévisées qui ne dispose d'aucune connaissance théâtrale et n'a jamais été amené à en diriger auparavant. Cette opposition publique a valu à Lupa et sa troupe une convocation au tribunal : un procès dans le procès. 

C'est sur les planches du théâtre de l'Odéon que pas moins de dix-sept comédiens polonais vont s'échanger les répliques du roman inachevé de l'écrivain pragois et ce, pendant près de cinq heures. La pièce s'ouvre sur un poste de télévision allumé, sorte de rappel contextualisant la situation actuelle dans laquelle est plongée la Pologne.

La scénographie est une grande réussite : un savant mélange d'images filmées et juxtaposition de toiles en tulle abritant des décors d'intérieur d'époque. La troupe qui circule dans tous ces espaces est tout bonnement remarquable : justesse des émotions et rigueur semblent être les directives. Le metteur en scène septuagénaire ne manque pas de faire quelques petites interventions orales en français que l'on peut trouver caustiques. Ce qui frappe dans cette adaptation : le dédoublement des acteurs pour interpréter Franz K. L'un, très vif, qui tente désespérément de se sortir de la situation, de comprendre ce qui lui arrive et l'autre, nettement plus obscur, en proie au désespoir.

Le pessimisme kafkaïen se reflète ici avec des scènes parfois très sombres comme l'exécution de ces nombreux accusés auxquels on a collé un ruban d'adhésif noir sur la bouche. Une métaphore, sans nulle doute, de la situation que les comédiens et leur metteur en scène vivent actuellement en Pologne. Nous retiendrons également une partie étouffante où la noirceur côtoient des corps pâles : les comédiens sont totalement nus, ils partagent leurs réflexions dans un dortoir qui, très vite, prend des allures de camp.

Spectacle fleuve, fresque contemporaine et résolument politique, ce Proces est une création qui marquera les esprits.








Les Démons @Théâtre Odéon - Ateliers Berthier, le 22 Septembre 2018


Les Démons © DR Compagnie 
A peine installés, les spectateurs sont accueillis par la joyeuse troupe de Sylvain Creuzevault qui s'active dans tous les sens, jusqu'en haut des gradins et offre des flûtes - qu'ils renommeront trompettes - de champagne à quelques privilégiés. D'autres spectateurs sont conviés à s'asseoir sur des chaises en bois disposées de part et d'autre du plateau.  On se sent comme dans un studio de cinéma, le décor est en pleine finalisation. Si ce dernier pouvait s'exprimer il ne manquerait pas de déclarer un simple "Je suis à vous dans une minute".

Le jeune metteur en scène s'empare cette fois de l'oeuvre de Dostoïevski Les Démons. Face à la complexité du roman, une "feuille anti-panique" pour tenter de faire comprendre la chronologie aux spectateurs - et sans doute de s'assurer de leur bonne compréhension - s'est glissée dans la bible. 

Les Démons © DR Compagnie
La première partie se déroule dans une province de Russie. Nikolaï Stravoguine revient au pays des tsars après s'en être retiré quatre années auparavant. La jeune Maria Lébiadkina à la jambe dans le plâtre et quelque peu folle jure qu'elle est mariée à ce dernier qui nie toute alliance. Les thèmes du mariage, du pouvoir, de l'argent, du crime sont convoqués.
La seconde partie se voudra plus obscure et plus politique. On assiste à une concertation de jeunes anarchistes prêts à en découdre. C'est d'ailleurs l'un des moments où le parallèle avec la situation russe actuelle - Russe/Crimée, nationalisme grandissant - est réussi. Une fois les principales actions décidées, l'agitation reprend de plus belle sur un fond sonore de techno bruyante : les comédiens occupent toute la surface scénique avec des panneaux sur roulettes et les voilà qui dansent. Puis, la salle est plongée dans le noir et dans les fumigènes avec la voix lointaine de Nicolas Bouchaud pour guide.

Ce qui frappe dans les mises en scène de Creuzevault et son collectif d'Ores et Déjà c'est le fait de mettre de côté l'aspect linéaire d'un texte pour laisser une plus grande part d'improvisation pour que le spectacle devienne encore plus vivant, mouvant - une nouvelle fois Vincent Macaigne ne semble jamais très loin -. Et ses nombreux comédiens - Vladislav Galard, Michèle Godet, Arthur Igual, Sava Lolov, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Anne-Laure Tondu, Amandine Pudlo et Blanche Ripoche auxquels se sont ajoutés Nicolas Bouchaud et Valérie Dréville- suivent la cadence et évoluent dans les matières les plus diverses : plastique, sable, eau, fumée... Un joyeux bazar en somme.

Pendant un peu plus de quatre heures, la troupe se donne plus qu'à fond. Le tout non sans humour ; une croix de bois qui ne passe pas la porte, une autre en glace qui fond dans un seau, une cloche qui ne sonne pas... Creuzevault et sa bande parviennent une fois de plus à relever un défi de taille avec une énergie débordante, une volonté de secouer les classiques à en faire trembler les murs.  

Hate - Tentative de duo avec un cheval @Théâtre Nanterre-Amandiers, le 16 Septembre 2018


© HATE Dorothée THEBERT FILIGE

A l'heure où les individus s'échangent des messages, à l'heure des "clashes" audiovisuels, Laetitia Dosch tente un dialogue pour le moins inattendu avec un cheval au Théâtres des Amandiers, à Nanterre. Peu de choses sur le plateau : un immense rideau illustrant un paysage façon tableau romantique avec une forêt, la montagne et un lac. Parfois, c'est dans le fond du décor que Dosch va chercher des accessoires : un poste radio, une lampe, une tente Quechua et rien d'autre.



Oubliez les costumes ! Laetitia Dosch est nue - ou du moins ne porte qu'une paire de baskets pour déambuler dans l'espace terreux - et ne porte sur elle que deux accessoires : une banane contenant des carottes pour apprivoiser l'animal et une épée de bois.

C'en est presque enfantin. Ou cela s'inscrit dans la métaphore de s'exprimer franchement. Et puis, elle peut y aller sans crainte, l'animal ne la jugera pas : sa condition de femme, le célibat, les migrants de Calais, les gens, le temps qui passe... Elle se lâche. S'en suit un grand moment de tendresse avec son compagnon de jeu Corazon, elle lui déclare son amour, ils s'embrassent...
Elle émet son désir d'enfant. Mais pas l'enfant d'un homme. Non. Un enfant de l'animal.

Et là, l'animal sur ses quatre pattes se met à parler. Non, il ne hennit pas. Il a de la conversation. Dosch se fait doubleuse.Nous ne sommes plus dans la tentative d'un duo, le stade d'essai est passé, la voilà qui dialogue avec Corazon. Pendant leur échange, la jeune femme va jusqu'à improviser un rap. Une véritable complicité est en train de se créer entre ses êtres qu'absolument rien ne pouvait prédestiner à être aussi proches. Si le dispositif est poétique, le texte est volontairement naïf, léger mais ne transcende pas.
Là où on aurait voulu un engagement plus abouti, plus profond, l'utopie puérile règne.


Le Père @MC93, le 15 Septembre 2018


C'est dans une obscurité totale que sont accueillis les spectateurs. Grands ouverts ou fermés, les yeux ne perçoivent rien.
Un épais brouillard envahit la salle.

Après sa création fleuve 2 666Julien Gosselin revient au Festival d'Automne avec une adaptation du roman L'Homme Incertain de Stéphanie Chaillou. Dans un format nettement plus court et plus intime, il se recentre ici sur une performance de lecture brute en choisissant de confier le rôle titre à Laurent Sauvage.

Laurent Sauvage livre l'histoire d'un agriculteur qui a tout perdu. Les conséquences de la politique agricole commune (PAC) ont été particulièrement brutales. Crise de rage, crise de larmes d'un père à qui on a dit depuis l'enfance qu' "un homme doit savoir protéger sa famille". Mais quand tout bascule du jour au lendemain comment faire ? Comment raconter à ses enfants innocents qui posent des questions ? Est-ce qu'un homme peut planifier ses échecs ? Il ne cache pas ses émotions, se remet en question pour comprendre les raisons de son échec.

Sauvage incarne l'agriculteur avec fougue, on vibre avec lui. Les mots les plus simples dévorent les maux. Le Père est une pièce qui navigue entre les eaux troubles du doute, de la colère et de l'humiliation, le tout dans une scénographie obscure rappelant les ténèbres intérieurs dans lesquels Laurent Sauvage lutte pour retrouver la lumière. Guillaume Bachelé et Julien Feryn signent une création sonore singulière assourdissante tantôt brutale tantôt presque sacrée.

En toute fin, la lumière apparaît : la violence des néons sur une parcelle de gazon. 

Ich bin Charlotte @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 08 Septembre 2018


Des gramophones peuplent le plateau et dans le fond, un imposant buffet ancien à tiroirs fait face aux spectateurs. 
La silhouette élancée de Thierry Lopez apparaît en fondu. Charlotte von Mahlsdorf nous accueille dans un manoir qu'elle restaurera et qui deviendra le Gründerzeit Musem quelques dizaines d'années après la guerre. 

Qui était Charlotte von Mahlsdorf ? C'est cette douce femme née dans un corps d'homme - celui de Lothar Berfelde - qui a collectionné et protégé des meubles pendant les heures sombres de l'Histoire allemande. Elle a survécu sans échappé aux régimes les plus répressifs à l'égard des homosexuels. Elle a toujours assumé son identité. Plus jeune, elle a même fait de la prison pour avoir assassiné son père violent. Ich bin Charlotte va au-delà de l'appel à la tolérance. 

Steve Suissa signe ici une mise en scène toute en sobriété s'avérant efficace. Ici la performance transformiste n'est pas de mise, l'univers du cabaret n'est que faiblement évoqué. Les spectateurs partent à la rencontre de pas moins d'une trentaine de personnages qui ont tous participé à construire l'identité forte de Charlotte von Mahlsdorf. 

Thierry Lopez perché sur ses talons aiguilles livre un jeu sincère, mystérieux et particulièrement touchant. Seul en scène, toute son énergie est déployée pour offrir le meilleur dans chacun de ses personnages qu'il joue et ce, sans jamais faire appel à l'artifice ; "Il faut tout sauver, rien oublier, tout montrer".














Légende d'une vie @Lucernaire, le 08 Juillet 2018



Le théâtre noir du Lucernaire fait office de bureau, celui de Clarissa Von Wengen (Caroline Rainette), secrétaire personnelle et biographe attitrée du célèbre poète Karl Amadeus Franck. Clarissa s'agite dans tous les sens pendant que le fils de l'écrivain, Friedrich Marius Franck (Lennie Coindeaux) fait les cent pas, il commence à ressentir à ce qui s'apparenterait au trac. Il ressent sur ses épaules le poids de la gloire de son père disparu et les attentes du public. En effet, ce soir-là Friedrich s'apprête à présenter ses premiers travaux artistiques au public venu des quatre coins du monde pour les découvrir. Le fils Franck se sait donc particulièrement attendu. Tout finit par se dérouler à merveille. Toutefois, Clarissa s'enivre et craque. Elle révèle la part d'ombre de la figure paternelle.

Comme toujours dans les textes de Stefan Zweig il est question d'émotions et de psychologies. Le jeune fils Franck pensait trouver le réconfort dans le bureau de la secrétaire qu'il connait depuis son plus jeune âge. Il venait pour confier ses angoisses, il ignore que Clarissa va lui livrer la vérité sur son père. Friederich Marius Franck est alors tiraillé entre l'admiration et la répulsion pour un homme qui a consacré sa vie à son oeuvre. Sa femme et sa biographe n'ont fait qu'entretenir cette légende. Et c'est au sein même de ce duo que l'on apprend qu'une autre femme a, elle aussi, complètement été écrasée par Karl Amadeus ; Maria Folkenhoff (Anne Deruyter prête sa voix pour l'occasion). Amante de Karl Amadeus, c'est celle qui semble le connaître le mieux.

Dans l'oeuvre originale, Zweig fait intervenir huit personnages.
Pour son adaptation, Rainette n'en retient que deux. Elle incarnera Clarissa Von Wengen : mélange de la demie-soeur de Friedrich et du biographe (personnage originellement masculin) et Lennie Coindeaux le fils Franck. Avec force et justesse, le duo évolue dans un décor où quelques valises sont parsemées ça et là, un téléphone à cadran, ravivant les années 1920. Patrick Poivre d'Arvor prêtera sa voix le temps d'une conversation téléphonique, interprétant le critique Docteur Klopfer. A mesure que son personnage se libère Lennie Coindeaux gagne en maturité avec lui. Douce, Caroline Rainette captive. Elle est l'élément clé tout en complexité, la comédienne - metteure en scène lui donne ici une personnalité plus profonde.

Avoir fait le choix de se concentrer sur ces deux personnages renforce le huis clos et embarque les spectateurs dans l'intime comme s'ils observaient la scène depuis une serrure. L'intégration d'images en noir et blanc apporte une touche dramatique : entretenir le souvenir pour Clarissa et le clarifier pour Friedrich.







François d'Assise @Théâtre de Poche-Montparnasse, le 17 Juin 2018



Le plateau est plongé dans l'obscurité, quelques oiseaux chantent comme à l'aube dans une forêt, Robert Bouvier est de profil, assis,
replié sur lui-même. Progressivement, la lumière s'installe dévoilant un décor plutôt épuré : une bande représentant un champ de blé, d'immenses plaques métalliques sur lesquelles seront projetées une pleine lune poétique.

Bouvier incarne François d'Assise. L'interprétation d'un homme émerveillé en permanence, qui portait en lui l'amour de l'humanité, de la Nature et de Dieu. Tout en crescendo Bouvier emmène le public avec lui et le fait traverser le temps, naviguant entre les moments de jeunesse et les moments de sagesse de celui qui sera élevé au rang de saint.

Le texte de Delteil n'évoque que très peu la foi. C'est avant tout la volonté de partager, par le biais du récit, l'extase d'un homme qui s'est laissé transporter par la beauté de son environnement, plein de vie. Pendant plus d'une heure, Bouvier envoûte les spectateurs en les entraînant dans la plongée jouissive de son personnage dans le monde fascinant des hommes pour terminer dans sa quête spirituelle.

Le comédien déploie toute son énergie - mise à l'épreuve depuis 1994 - pour jouer ce qui a habité François d'Assise tout au long de son existence : admiration, sensualité, questionnements... Le metteur en scène disparu Adel Hakim peut se rassurer ; son comédien livre une remarquable performance. 


Tu seras un homme Papa @Théâtre de l'Oeuvre, le 04 Juin 2018



Avant de prendre la route du festival off d'Avignon, Tu seras un homme papa pose ses bagages le temps d'une première au Théâtre de l'Oeuvre. 

Tu seras un homme Papa est un spectacle personnel, très intime. 
Gaël Leiblang, seul en scène, raconte l'épreuve qu'il a été amené à surmonter avec ses proches : la mort prématurée de leur petit garçon Roman. Né en 2014, l'enfant aura expérimenté la vie 13 jours. 
Leiblang se sert de la rhétorique sportive - qu'il connait bien en qualité de journaliste sportif - pour raconter le drame. 

Le spectacle s'ouvre sur une conversation avec une boulangère qui s'émerveille devant les trois filles de Leiblang
Ce dernier s'est habitué à ce qu'on lui pose la question de savoir s'il n'a jamais voulu de garçon. Et là, façon carnet de bord, Leiblang narre sa course, son combat. 

C'est avec un astucieux dosage d'humour que le journaliste sportif parvient à faire le récit de la trop courte existence de son enfant. 
Sans la moindre chute dans l’apitoiement, Leiblang se libère. Il mêle ses rêves, ses espoirs à la réalité. Tantôt il parle à ses autres enfants tantôt aux médecins de l'hôpital Necker. Il donne de son énergie : corde à sauter, course, boxe pour faire face à la tragédie annoncée. 

Gaël Leiblang parvient à transmettre un témoignage sensible et sincère dans une expérience théâtrale unique dans ce registre complexe qu'est le théâtre de l'intime. 



L'Avare @Théâtre de l'Odéon, le 01 Juin 2018


Ah L'Avare. Durant ma scolarité je me souviens l'avoir étudié. Il nous fallait apprendre le fameux Acte I Scène 3, je lançais alors la tirade à mon camarade de classe "Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas." Premiers pas sur les planches - de l'estrade -.  Je me souviens de l'adaptation de Louis de Funès étudiée en parallèle. Et si cette adaptation était plutôt bien réalisée, je n'ai pas pris le temps d'en voir d'autres. Il m'a donc fallu attendre le vendredi 1er Juin 2018 et parcourir la programmation de l'Odéon pour en voir une nouvelle. C'est donc l'adaptation signée Ludovic Lagarde qui m'a permise de redécouvrir le classique.

Harpagon est ici interprété par un Laurent Poitrenaux débordant d'énergie. Il en fait un avare survolté, tyrannique, qui terrorise son entourage et obsédé maladif par l'argent. Pendant un peu plus de deux heures, Poitreneaux nous fait tantôt rire tantôt grincer des dents. Ses proches subissent et le public finit par se faire prendre à partie lui-aussi. Les jeunes comédiens - Tom PolitanoMyrtille BordierAlexandre PalluLouise Dupuis, Julien Storini et Marion Barché - qui l'entourent n'en sont pas moins talentueux. 

L'adaptation est contemporaine; la scène se déroule dans un entrepôt où s'accumulent les cartons. On imagine alors facilement la rétention de biens d'exception. 
Si le metteur en scène s'accorde à dire que le fond du texte est comique, sa lecture est nettement plus sombre, plus provocante et brillante. Lagarde prend soin de noircir la comédie en passant sous silence la scène de résolution des mariages. La scène finale devient un prolongement de la personnalité cruelle d'Harpagon. 




Jean-Baptiste Siaussat "La revanche du terroir" @Théâtre des Blancs Manteaux, le 08 Mai 2018


L'histoire est simple et authentique : né au fin fond du Périgord - plus exactement du Périgord noir -, Jean-Baptiste était promis à un avenir d'agriculteur. Loin de lui l'envie de rester vivre dans ce comté, de s'occuper des bestiaux. Non, Jean-Baptiste veut devenir comédien. (Cela ne vous rappelle pas quelqu'un ? Promis à un avenir de tapissier... Avec le même prénom ? Jean-Baptiste Poquelin  plus connu sous le nom de Molière !) Et l'annoncer à la famille c'est un peu faire son "coming-out".

En une heure, Jean-Baptiste Siaussat parvient à dévoiler toute une palette de personnages plus vrais que nature ! Siaussat est bourré d'énergie et montre qu'il a le sens du rythme. Son histoire pleine d'humour est aussi remplie d'amour pour ses proches qui l'ont vu s'envoler vers la capitale. Et lorsqu'il s'agit de caricaturer le monde du théâtre en passant par la case conservatoire c'est excellent. L'humoriste est mordant, attachant et, pour le moins qu'on puisse dire, sincère dans son approche.

Si l'on peut s'attendre à ce que Siaussat raconte ses origines, il n'en est rien. Il revient sur son parcours en ne cessant de montrer une seule chose : l'envie de monter sur scène et de se donner en spectacle. Bien qu'il ait quitté sa région, l'artiste la porte dans son coeur.
En concluant son spectacle en chanson, il exprime tout son attachement pour elle.

Un p'tit bout de Périgord dans Paris c'est possible dès lors qu'on passe les portes du Théâtre des Blancs Manteaux. 

Tristesses @Théâtre de l'Odéon, le 03 Mai 2018



Après un passage remarqué au Festival d'Avignon en 2016, la grande salle du Théâtre de l'Odéon accueille la création Tristesses que signe la metteure en scène belge Anne-Cécile Vandalem .

Le plateau se compose de plusieurs petites maisons.
La scène se déroule au large du Danemark sur la petite île fictive
Tristesses.
Cette dernière souffrent de la disparition progressive de ses habitants; ils étaient un peu plus d'une centaine, la fermeture progressive des abattoirs qui étaient les seuls employeurs de l'île les ont poussé à la quitter - en se donnant la mort ou en regagnant le continent - ils ne sont désormais plus que huit comme appartenant à une même famille. On trouve alors Soren Petersen, maire de Tristesses (Jean-Benoît Ugeux), son épouse Anna (Anne-Pascale Clairembourg), leurs filles Ellen et Malene (Séléné et Epona Guillaume), Joseph Larsen, pasteur et ancien comptable des abattoirs (Vincent Lécuyer), son épouse Magrete (Catherine Mestoussis), Käre Heiger, fondateur du Parti du Réveil Populaire et ancien gérant des abattoirs (Bernard Marbaix) et son épouse Ida (Françoise Vanhecke). Cette même Ida se donnera la mort en se pendant au drapeau danois. Ce suicide provoquera le retour sur l'île de sa fille Martha (Anne-Cécile Vandalem), dirigeante du parti de son père, partie faire carrière sur le continent. 

C'est dans ce contexte de deuil que la petite communauté se retrouve à s'interroger sur l'avenir de l'île et sur les raisons qui ont poussé la défunte à passer à l'acte. De plus, Martha Higer semble déterminée à vouloir rapatrier le corps de sa mère sur le continent. Et ce, contre les volontés de la disparue.

A cheval entre le théâtre et le cinéma, Anne-Cécile Vandalem parvient à transposer un univers de polar nordique. Le texte est tantôt humoristique tantôt profondément dramatique. La metteure en scène joue entre le domaine du visible sur le plateau et les scènes à l'intérieur des maisons par le biais de l'écran situé au-dessus de la scène. L'ambiance est énigmatique, froide et par moment, presque surnaturelle.Les passages chantés apportent une dimension poétique à cette tragédie politico-philosophique.

Autant être prévenu, la création n'apporte aucune solution lumineuse, elle rappelle les sombres techniques employées pour manipuler les esprits. Portée par des comédiens talentueux, c'est sans aucun doute que l'on peut affirmer que Tristesses séduira les spectateurs de cette saison 2017/2018.