Les Sorcières de Salem @Théâtre de la Ville - Espace Pierre Cardin, le 29 Mars 2019


Le maître des lieux laisse de côté l'absurde de Ionesco et s'attaque à un tout autre registre en mettant en scène la pièce d'Arthur Miller de 1953, Les Sorcières de Salem. A l'époque, Miller se sert de son texte pour dénoncer la "chasse aux sorcières" menée par le sénateur républicain McCarthy.

Dans une ambiance presque cinématographique, Demarcy-Motta, avec l'aide d'Yves Collet, transportent les spectateurs dans un décor plutôt sombre. En un peu plus de deux heures, les quinze comédiens réunis sur le plateau parviennent à nous plonger dans une Amérique - datée - rongée par le puritanisme. Ce qui pour bon nombre de théâtreux rappellera sans doute le somptueux Democracy in America du faiseur d'images italien Romeo Castellucci  présenté dans le cadre de l'édition 2017 du Festival d'Automne.

Un élément de décor rapprochent les deux œuvres : le voile de tulle. Chez les deux hommes de théâtre ce voile permet la construction d'un univers onirique, qui tend à faire basculer dans le cauchemar chez Demarcy-Motta. Si la dynamique ne commence véritablement à s'installer que pendant la partie des accusations, tous les comédiens portent un jeu rigoureux, profond. Si Yves Montand brillait déjà dans l'adaptation cinématographique de Raymond Rouleau en 1957, en 2019 la prestation de Serge Maggiani sur les planches est excellente. Mention d'excellence à attribuer également à Elodie Bouchez, pour son jeu de remarquable sauvage.










La légende de Bornéo @Théâtre de l'Atelier, le 24 Mars 2019


Judith Davis connue pour son film Tout ce qu'il me reste de la révolution fait également partie du collectif L'Avantage du doute qui occupe actuellement les planches du Théâtre de l'Atelier pour y proposer La légende de Bornéo jusqu'au 4 mai prochain. 

La légende de Bornéo sous titrée "Il y a une légende à Bornéo qui dit que les orangs-outans savent parler mais qu'ils ne le disent pas pour ne pas avoir à travailler" est un enchaînement de petites scènes comiques sur le monde du travail et de son impact dans nos vies. Plongée dans la jungle, terrible jungle du travail par le prisme de l'humour. Imaginez comme scène d'ouverture un couple en pleine réunion, se "dispatchant" les différentes taches de la semaine et organisant sa vie sexuelle façon 5W - QQOQCPP pardon ! -... En est-on à ce stade ? Non ou, du moins, pas encore...

Avec peu d'éléments décoratifs, les cinq comédiens recréent notre époque, notre société. A l'heure de la quête perpétuelle de sens, de la surcharge mentale, de la création du poste de "chief happiness officer" - que l'on traduit par responsable du bonheur - , le collectif L'Avantage du doute démonte le travail par l'absurde le temps de cinq tableaux. Au travail, en couple, à Pôle Emploi, en famille... A chaque situation son tableau !

On rit de bon cœur, l'approche est corrosive, dynamique et terriblement efficace. Simon Bkhouche, Mélanie Bestel, Judith Davis, Claire Dumas et Nadir Legrand peuvent avancer sereinement, ils questionnent pertinemment et ce, avec le regard de chaque génération. Cette observation partagée complètement décalée du monde du travail au théâtre est, en guise de conclusion, une grande réussite.


Le Pays lointain @Théâtre de l'Odéon, le 26 Mars 2019


© Jean Louis Fernandez
"Je t'écris d'un pays pas ordinaire, où les gens ne se font plus la guerre. Je t'écris d'un pays tout petit petit. Je t'écris d'un coin de ma folie."chantaient Les Visiteurs du Soir en 1985. Quelques années - dix plus exactement - se sont écoulées, Jean-Luc Lagarce signait son ultime pièce autobiographique qui s'intitulera Le Pays lointain. Son héros, Louis - interprété ici par Loïc Corbery - revient parmi les siens avec le sombre projet de leur annoncer sa mort imminente. Louis convoque tour à tour ses amants, sa famille. Passé et présent ne font plus qu'un. Il rejoue les moments-clés de sa vie sur un parking. 


Et sur ce même parking s'entremêlent la peur, le désir, la colère, ou encore l'amour. Le jeune metteur en scène, sociétaire de la Comédie Française Clément Hervieu-Léger s'est entouré d'un casting de toute beauté : Loïc Corbery, Audrey Bonnet, Nada StancarAymeline Alix, Louis Berthélemy, Clémence Boué, Vincent Dissez, François Nambot, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro et Stanley Weber. Tous les onze portent avec puissance les mots de Lagarce. Tous nous envoûtent avec une certaine fragilité particulièrement émouvante, nous transportent dans ce "pays" - malgré quelques longueurs -. Un pays où l'on aime se souvenir, où l'on s'aime à tous les temps. Ne seraient-ce pas là les effets du désir qui, comme l'a écrit Anne Dufourmantelle, "nous arrivent au futur antérieur." ? Toute l'intensité dramatique contenue dans le texte de Lagarce résonne et vibre en chacun de nous.

L'entracte est lui-même un petit spectacle où les comédiens se laissent tenter par quelques pas de danse notamment sur le tube Take on me des norvégiens a-ha. Symptomatique d'une complicité, voire même, d'une certaine fraternité tissée entre les comédiens. La troupe c'est la famille choisie. 

A Bergman affair @Théâtre Monfort, le 21 Mars 2019


A Bergman affair est une adaptation du roman Entretiens privés du suédois Ingmar Bergman qui met en scène Anna - interprétée par Olivia Corsini - , mère de trois enfants. Elle s'aperçoit qu'elle n'aime plus son mari - Stephen Szekely - ou peut-être ne l'a-t-elle jamais véritablement aimé -. Elle décide du jour au lendemain de briser sa routine en s'engageant dans une aventure extraconjugale avec Tomas, jeune étudiant de son mari - Andrea Romano - . L'histoire se centre sur trois hommes : le pasteur confident de la famille - Gérard Hardy - à qui Anna confesse sa tromperie, son mari désemparé et Tomas, l'amant tourné vers la foi. Trois hommes pour trois moments ; la confession, la colère et le souvenir de sa première nuit avec Tomas. La pièce explore trois thématiques qui s'entremêlent : le désir, la vérité et la peur.

Si le décor est des plus basiques, c'est le recours au Bunraku (théâtre de marionnettes japonais) qui séduit. Les comédiens sont manipulés en plateau comme de véritables pantins. Ce parti pris très esthétique offre des tableaux presque cinématographiques. La chorégraphie des corps dans des jeux d'ombres et lumières est magnifiée. La compagnie The Wild Donkeys s'est concentrée sur la scénographie qui amène à réfléchir sur le conscient et l'inconscient.


Oncle Vania fait les trois huit @Théâtre de Belleville, le 14 Mars 2019


© Laurent Morteau
Dans la série des spectacles qui s'apparentent à la déclaration d'amour au théâtre on trouve désormais Oncle Vania fait les trois huit de Jacques Hadjaje

Ouvriers, cadres ou même prêtre, ils travaillent tous à l'usine Dieuleveut, spécialisée dans la robinetterie et implantée depuis des décennies dans le Limousin. En parallèle de leur activité professionnelle bien remplie, ces travailleurs se retrouvent autour d'un atelier théâtre. Les voilà qui répètent Oncle Vania de Tchekhov. Et la crise passe par là. L'usine est menacée de fermeture. Les liens presque familiaux entre la troupe s'effilochent. Les coups de colère viennent perturber le collectif. Et pourtant, les répétitions continuent. 

© Pierre Dolzani

Jacques Hadjaje signe une création qui mêle amour du théâtre et condition ouvrière. Le pari est très réussi. Il s'entoure pour l'occasion de comédiens tous d'âges différents et très attachants. Chacun des personnages a son lien particulier avec l'usine, son histoire personnelle et une réception différente de la nouvelle. Si l'usine ne sert que de contexte, le théâtre, lui, devient comme un deuxième foyer où il fait bon vivre, où l'on se sent libre, un véritable exutoire. Cette mise en abyme du théâtre dans le théâtre offre des scènes très drôles dont l'art de surjouer, l'apprentissage d'un texte... Sans s’apitoyer sur la situation ouvrière, la compagnie des Camerluches offre un spectacle réaliste, populaire au sens premier du terme et profondément humain. 

Orphée aphone @Plateaux Sauvages, le 13 Mars 2019


Après d'importants travaux, les Plateaux Sauvages ouvraient leurs portes en 2018. Nous les avons poussées en mars 2019 pour découvrir le spectacle, la performance présentée au dernier Festival d'Avignon - dans le cadre des Sujets à Vif - de l'artiste queer Vanasay Khamphommala Orphée aphone précédé par L'invocation à la muse.

Les spectateurs entrent progressivement dans la salle. Le spectacle commence à la même vitesse. Un écran projette un texte qui semble s'écrire en direct. On entend pianoter sur un clavier. L'éclairage perd graduellement son intensité. C'est parti !

L'invocation à la muse est un rite. Une entrée en matière courte et particulièrement physique. Vanasay Khamphommala incarne le poète en plein processus créatif, entre sur le plateau à l'aveugle ; un sac en tissu recouvre son visage. Progressivement dévêtue jusqu'à ne porter plus qu'une culotte rouge en dentelle, Vanasay Khamphommala reçoit quelques coups de ceinture en cuir par sa dominatrice Carita Abell et se fait transpercer avec des aiguilles. Entre incantations et pratiques sado-masochistes, le duo propose une performance des plus singulières. La performance pose-t-elle la question de vivre la quête d'inspiration comme une véritable souffrance ?

S'ouvre ensuite la création originale Orphée aphone. Orphée plonge dans les enfers à la recherche de son aimée Eurydice. Voilà que ce dernier a perdu sa voix. Quand le chanteur ne peut plus chanter, ne reste que la parole... Convaincre les dieux avec de la poésie, voilà ce qu'il lui reste à faire. Et les alexandrins s'enchaînent non sans humour. La tragédie prend alors une tournure plus légère. Orphée danse, Orphée implore, Orphée pleure, Orphée récite mais Orphée échoue et se laisse mourir. Tel un inséparable ne pouvant pas vivre sans son congénère.

Mais l'inséparable se fait phénix et se réincarne en Eurydice. Une Eurydice qui souffre terriblement. De manière presque enfantine, elle se demande quand va arriver son Orphée. L'attente se fait terriblement longue. Eurydice finit par être frappée par la narcolepsie, l'interprétation en devient drôle. Par intermittence, se croisent la poésie et le sommeil.

Khamphommala livre ici une réécriture particulièrement originale du mythe d'Orphée et révèle un véritable talent pour s'amuser avec les registres tragiques et comiques.

Moule Robert @Théâtre de Belleville, le 12 Mars 2019


"La vérité sort de la bouche des enfants" dit-on. Il est bien compliqué de la remettre en question quand le propos tenu par l'enfant est embarrassant et surtout, faux. Robert Moule avait une vie banale d'éducateur. Entouré d'enfants au quotidien, Robert Moule est sans histoire, vraisemblablement apprécié des enfants. Jusqu'au jour où tout bascule... Il attrape Justine par le bras. Ce n'est rien, peut-être qu'il n'aurait pas du mais ça n'est dans l'absolu pas gravissime. Mais qu'en est-il quand l'enfant en vient à l'accuser d'agression sexuelle ? Soutenue par son père, directeur d'un festival d'humour, elle maintient ses propos. Le doute plane, l'accusation est grave.

© Christophe Raynaud de Lage
Le texte original du québécois Martin Bellemare est ici mis en valeur dans une mise en scène créative et dynamique, les comédiens s'activent dans tous les sens. Le metteur en scène Benoit Di Marco revendique les références au très bon film d'animation de la maison Pixar sorti en 2015  Vice-Versa et au plus sombre La chasse sorti en 2012. Les émotions qui grouillent de partout, chacune personnifiée. L'humour est également de mise dans cette pièce. On oscille entre la gravité de la situation et la légèreté du personnage de Robert Moule - campé par Benoit Di Marco lui-même -  naïf, quelque peu limité. Face à lui, Robert Goule - interprété par François Macherey - père de Justine. Un homme puissant et quelque peu jouisseur. Cette confrontation fascine comme si les deux personnages ne formaient qu'un et fonctionnaient en miroir alors que tout les oppose.



La Robe Rouge @MPAA Broussais, le 09 Mars 2019


Par l'entrée du public, Lila monte sur le plateau, ravagée. Elle peine à tenir sur ses jambes comme ivre. Elle est vêtue d'une robe noire, on supposera qu'elle revient d'un enterrement. La voilà qui s'affaire devant la penderie (maternelle ?). Elle envoie tout valser et finit par enfiler l'une des robes rouges. Du fond de la salle, c'est Jo qui arrive. Elle porte la même robe. Les deux femmes se retrouvent à partager le même plateau sans jamais véritablement dialoguer ensemble mais à échanger des vers, des souffles.

Lila est-elle la fille de Jo ? Jo est-elle Lila plus grande ? La metteur en scène Sophie Knittl-Ottinger parvient à jouer sur ce flou en laissant la libre interprétation aux spectateurs. Cécile Cournelle et Nelly Jenicek-Morisson incarnent chacune des femmes fortes en miroir. L'une est jeune, sensuelle et fragile. L'autre est prise de rancoeur, submergée de souvenirs amers et remplie de colère. Toutes les deux souffrent d'un mal qu'elles se sont presque infligées elles-mêmes : la solitude. Quand on connait l'écriture de Marianne Vinégala Camara, on sait que ce sont des mots posés sur des maux, des thèmes chers qui résonnent toujours très forts.

Ce sont ces mêmes émotions très fortes que l'on ressent dans ce décor rouge vif.
Il en va à chacun de tirer la signification de ce rouge : Colère ? Passion ? Danger ? Et si tous ces sens étaient possibles ? A l'écran, la danseuse Marie Wallet offre quelques instants oniriques. La compagnie a été accueillie pour deux dates à la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs (MPAA) Broussais sans nécessairement être simple amatrice. Cécile Cournelle porte un jeu très mature en donnant la réplique à une Nelly Jenicek-Morisson grandiose.