Le Dragon @Théâtre Nanterre-Amandiers, le 26 Mars 2023

© Nicolas Joubard

Prolifique garçon que Thomas Jolly ! Les Amandiers de Nanterre ont hébergé pendant un peu moins de deux semaines son Dragon, créée dans son ancienne maison angevine Le Quai. Le jeune metteur en scène s'est attaqué à la fable noire du dramaturge russe Evgueni Schwartz.

Le Dragon à prime abord, ça évoque cet animal qui crache du feu, qui terrorise le peuple. Et c'est bien ce dernier élément qu'il faut retenir. L'animal à la rigueur c'est secondaire - l'homme n'est-il pas un animal doué de raison ? -. Celui de Schwartz a trois têtes, il terrorise une ville depuis des siècles. La population lui vouerait presque un culte comme un peuple en dictature se soumettrait à tous les caprices de son chef suprême... Oh. On tient quelque chose... A l'époque, comme aujourd'hui, la question de la servitude volontaire se pose...

Dans une ambiance en noir et blanc qui rappelle autant le cinéma expressionniste allemand que la série originale La famille Addams, Thomas Jolly embarque ses plus fidèles compagnons dans un conte aussi drôle qu'effrayant. Agrémenté de quelques éléments d'actualités bien sentis totalement improvisés, le texte résonne encore plus fortement. 

Toute en flamboyance dans un bain de sons tonitruants - conçus par le fidèle Clément Mirguet -, la troupe de Jolly est résolument généreuse dans son jeu. Si Damien Avice campe un brave Lancelot, on retiendra le sommet de drôleries interprété par le savoureux duo Bruno Bayeux / Damien Gabriac - respectivement le bourgmestre et son fils -. La grosse dizaine d'acteurs se donnent à coeur joie pour le plus grand bonheur d'un public conquis en ce soir de dernière - à l'exception de deux individus, visiblement passé à côté du propos final -.  

Une pièce sous influence @Monfort Théâtre, le 25 Mars 2023

On ne peut malheureusement pas toujours tout voir... Le collectif normand La Cohue a procédé à la création d'Anna-Fatima et d'Orphelins depuis notre dernière rencontre autour du puissant Oussama, ce héros. On le retrouve, à nouveau au Monfort, autour d'Une pièce sous influence

© Virginie Meigne

Des confettis en masse jonchent le plateau de la grande scène, en retrait, côté cour un piano. Les deux personnages principaux Anna et Mathias débarquent, joviaux et probablement un peu ivres, par le côté jardin hors plateau. Ils reviennent du carnaval. Mathias est déguisé en chevalier et Anna, en princesse, une hache dans le crâne. Leurs discussions n'ont pas toujours de sens, les idées fusent dans tous les sens et Mathias rebondit sur chacune d'entre elles. Jusqu'à ce qu'Anna lui explique qu'elle a invité les nouveaux propriétaires de leur maison à prendre un dernier verre. Les deux couples se retrouvent et ça déraille. Pour mieux signifier cette montée en tension, un batteur - Nicolas Tritschler - rythme les échanges, les mouvements. 

© Virginie Meigne
Alors, oui, au fond, il y a la question du deuil. Il y a aussi celle de ce qu'on pense être la norme et ce qu'on prend pour de la folie. Le tout se mélange sans ménagement dans la confrontation improbable des deux couples qui n'est pas loin de  faire penser à celle des Démons du suédois Lars Norén, avec cette même montée en puissance, quitte à virer à l'explosion permanente. 

Sophie Lebrun - qui cosigne la mise en scène -  donne à Anna toute sa sensibilité, sa fragilité qui fait d'elle une marginale tout en étant bien intégrée, Martin Legros - second auteur et metteur en scène - confère à Mathias l'esprit rationnel, pondéré au bord de l'épuisement qui bascule. Le jeune couple de propriétaires incarné par Baptiste Legros et Inès Camesella ne passe absolument pas au second plan, c'est justement leur apparence de couple ordinaire partagé entre l'arrogance et la béni oui-oui qui fait encore plus grincer des dents, une apparente naïveté qu'on voudrait bousculer, chahuter. 

Ravissement que de retrouver le collectif dans une création aussi intense qu'Une pièce sous influence. Un huis clos aussi grinçant que fort. Il vous happe par sa montée en tension. Passer du rire à la pitié sans avoir été préparés s'avère étrangement savoureux. 


Tom na Fazenda @Théâtre Paris Villette, le 09 Mars 2023

Sûrement l'un des spectacles les plus saisissants de cette saison 2022/2023. Tom na Fazenda est une adaptation de Tom à la ferme du québécois Michel Marc Bouchard. Loin de l'évocation de la simple évocation de l'homophobie, Tom à la ferme est une pièce sur les mensonges et les rapports de domination. Porté à l'écran dans les années 2010 par le jeune cinéaste Xavier Dolan, le texte prend une dimension universelle encore plus forte sur les planches. On s'éloigne du Canada rural pour se retrouver dans les terres profondes brésiliennes. Difficile de ne pas penser aux nombreux meurtres homophobes à l'arrivée au pouvoir de l'ex Président Jair Bolsonaro

Au décès de son amant, sans prévenir personne, Tom, jeune publicitaire décide de se rendre aux funérailles de l'être aimé. La famille ne savait rien de son orientation sexuelle. A l'exception de Francis, le frère aîné du disparu. "Avant d'apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir" écrit le dramaturge Michel Marc Bouchard. Il a suffit d'un premier mensonge pour en nourrir d'autres... 

Tom na Fazenda

Le plateau de la grande salle du Paris Villette est recouvert d'une bâche noire, des seaux aux contenances diverses et des tas de terre ici et là suffisent à créer l'ambiance agricole. Lorsqu'il débarque à la ferme, Tom - incarné par Armando Babaioff - de la cumbia retentit dans tout l'espace. Très vite, il rencontre la mère accablée de son amant disparu - portée par Soraya Ravenle -. Elle indiquera sa présence à son fils aîné, plus ténébreux et inquiétant Francis - Gustavo Rodrigues -. Le metteur en scène Rodrigo Portella parvient à créer un huis clos parfait à la tension électrique dans une esthétique faite de clair obscur orangé magnifique que signe Tomás Ribas

Le sang se mêle à la boue, les larmes à la sueur. Tout au long du spectacle se mélangent des tableaux d'une immense beauté et d'une brutalité extrême - mention spéciale à la scène de danse entre Francis et Tom -, les rapports ambivalents des corps pris entre fascination et révulsion. Le duo Babaioff/Rodrigues transporte, brille par leurs puissantes performances  respectives. Soraya Ravenle et Camila Nhary ne sont pas pour autant à écarter, elles sont parfaitement justes dans leurs rôles. 

Il est urgent de courir voir ce spectacle exceptionnel dont le Théâtre Paris Villette ne peut qu'être fier d'en être l'hôte. 

Et si on s'aimait ? @A La Folie Théâtre, le 05 Mars 2023

© Matthieu Camille Collin

Trois garçons (Mathieu Cassagnes, Gauthier Germain, Cyprien Pertzing). Trois jeunes femmes (Clara Basset, Clémence Baudoin, Camille Cointe). Un seul lieu : le Café de la Gare. Un lieu où les couples se font et se défont. Toute l'ambition de cette pièce intitulée Et si on s'aimait ?. Tout l'art du "dating" à l'heure des applications toujours plus nombreuses qui à grand renfort d'algorithmes vous mettent en relation avec multiples prétendant(e)s dans l'espoir de vous faire rencontrer le grand amour de votre vie. 

Ainsi s'enchaînent des rencards foireux ou miraculeux, hasardeux, mystérieux ou malheureux. Toute la compagnie de La Nuit d'Après déploie son énergie pétillante pour offrir un très bon moment de divertissement sincère. C'est ce qu'ici nous qualifierons de "spectacle bonbon", c'est court, frais et savoureux. Camille Cointe et Marie Iasci signent une pièce dynamique, au rythme soutenu et inventive de par toutes les situations choisies - on s'interrogera sur la répartition des expériences vécues -. 

Un spectacle à voir en couple ou entre amis voire même pourquoi pas avec son "date" ?