La Gioia @Théâtre du Rond-Point, le 17 Octobre 2019


© Luca Del Pia 
La Gioa est un spectacle hommage pour le moins coloré et fleuri. Pippo Delbono opère une déclaration d'amour fraternelle à celui qui l'a accompagné pendant plus de vingt ans ; Bobò. Bobò était un homme sans âge, ni voix, ni ouïe mais qui a durant toutes ces années de collaboration avec le metteur en scène dégagé une véritable poésie. Delbono saute à pieds joints sur ce dernier univers : la poésie.

Il s'ouvre sur "Don't worry, be happy" et la lente pousse de fleurs sur un petit tronçon de pelouse. Puis, progressivement, Pippo Delbono convoque toutes les figures avec qui il a été amené à travailler ces dernières années. Ambiance circassienne, carnavalesque, music-hall, tous ces univers se mélangent pour offrir un spectacle de toute beauté. Une parenthèse un peu plus obscure s'offre aux spectateurs lorsque Delbono se retrouve enfermé derrière des barreaux et que les corps de ses compagnons s'articulent autour de lui sous les stroboscopes et la célèbre valse du compositeur russe Chostakovitch

Cette parenthèse ténébreuse se ferme pour laisser place à nouvel univers plus gai, plus bariolé, plus fantaisiste. La cage métallique se voit remplacée par une nouvelle prison en fleurs. Avant le paradis floral, Delbono propose une évocation de la tragédie des migrants : des petits bateaux de papier peuplent le plateau, les tonnes de vêtements parsemées ici et là rappelant que la Méditerranée est devenue un cimetière des temps modernes. "Dove è la gioia ?" (Où est la joie ?) demande Pippo Delbono. Elle est là, devant nos yeux. Elle est éphémère mais elle revient comme les vagues sur la plage, elle vient de loin mais aussi comme le printemps. 

La Gioia est un spectacle riche de par les univers qu'il mélange mais aussi par toutes les émotions qu'il véhicule. Bobò peut se réjouir, ses amis l'aiment et l'aimeront toujours. 



Jungle Book @Théâtre Le 13eme art, le 06 Octobre 2019


© Lucie Jansch
"Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir." chantait Henri Salvador. Celle du metteur en scène texan Robert Wilson n'a rien de terrible, bien au contraire, elle est enchanteresse. La libre adaptation du recueil de nouvelles de Rudyard Kipling de l'américain est un régal pour les enfants, les plus petits comme les plus grands.

C'est dans un univers particulièrement sucré que choisit de nous transporter Wilson. Oubliez donc le blanc clinique de Mary said what she said ! Place aux couleurs vives de la jungle, pleine de merveilles aux sonorités si variées que signe et joue en direct le groupe psychédélique CocoRosie . Acteurs deviennent chanteurs et danseurs, tous revêtissent leurs bien jolis costumes d'animaux - à l'exception du "petit homme" interprété par le jeune comédien Yuming Hey qui, de par sa situation d'humain, ne portera qu'une petite combinaison rouge non moins jolie -. Le casting est composé de comédiens que le metteur en scène n'a jamais vu jouer par le passé. Sur le plateau, une complicité évidente est née entre eux et c'est réjouissant.

Le récit est conté en français, quant aux chansons, elles sont interprétées en anglais. Energie, pétillement et fantaisie sont les maîtres mots de cette comédie musicale où l'on retrouve tous les personnages du récit original terriblement attachants. Pas de doute, Wilson réussira haut la main son défi de plaire aux enfants les plus jeunes et ceux qui sommeillent dans les âmes des plus grands.






Le Crépuscule @Théâtre de l'Epée de Bois, le 03 Octobre 2019


Présentée au Festival OFF d'Avignon, l'adaptation de l'ouvrage Les chênes qu'on abat...  d'André Malraux que Lionel Courtot renommera Le Crépuscule a pris la route vers l'Île de France et pose son décor au Théâtre de l'Epée de Bois pour une durée d'un mois.
Les chênes qu'on abat...est un essai dans lequel Malraux relate sa dernière rencontre avec le général De Gaulle lorsque celui-ci s'est retiré à Colombey-les-Deux-Eglises suite au résultat négatif du référendum du "projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat" en 1969. Lionel Courtot s'est donc penché sur leurs échanges de la nuit du 11 décembre de la même année durant laquelle Charles de Gaulle prévoyait d'écrire ses mémoires.

Le spectacle s'ouvre sur un Philippe Girard immobile, tournant le dos au public. Sébastien Rajon s'apprête à entrer dans le bureau du Général qui ne veut a priori recevoir personne. Un cartel "Don't disturb" devant le pas de la porte vaudra la plaisanterie des deux hommes. Ainsi commencent les réflexions profondes des deux immenses figures politiques. Evidemment, les sujets résonnent encore particulièrement aujourd'hui :  l'art et la manière de gouverner la France,la définition même du gaullisme, l'avenir de l'Union Européenne...

© François Vila
Le Crépuscule c'est la petite histoire dans l'Histoire, des conversations entre parenthèses. Non sans humour, Philippe Girard et Sébastien Rajon livrent un jeu puissant sans basculer dans la pâle imitation. Philippe Girard interprète un Général plein de droiture qui s'offre quelques moments de légèreté sans nécessairement afficher un grand sourire et Sébastien Rajon porte avec lui toute la justesse requise pour manier le sens de la formule chère à André Malraux. Il faut mettre de côté l'aspect purement idéologique et se laisser transporter dans cet excellent combat oratoire. Le temps d'une nuit bleue, tantôt dans le bureau, tantôt dans une bibliothèque - le décor change sous les yeux du public avec une sorte d'effet arrêt sur images des comédiens -, les deux hommes refont le monde à l'heure où tout est en train de basculer.