Ranger @Bouffes du Nord, le 09 Février 2023

© Louise Quignon
Au revoir l'immense bâche bleue, bonsoir la chambre d'hôtel moderne blanche éclairée aux néons criards. Jacques Weber entre dans la pièce dans un costume complet noir fort élégant. Une valise ouverte est posée sur le lit. Il y attrape un portrait qui tourne le dos aux spectateurs durant l'intégralité du spectacle. Il le pose sur une table placée côté cour et entame une discussion avec celle qui partageait sa vie, disparue il y a tout juste un an. Depuis qu'elle n'est plus de ce monde, il n'a plus envie de vivre. 

Le dramaturge Pascal Rambert lui a conçu (à lui aussi) un texte à sa mesure. Il lui confie ainsi le rôle d'un veuf qui s'est "agité toute sa vie", qui a vibré grâce à l'écriture, à l'amour fou d'une femme et leurs voyages aux quatre coins de la planète. C'est d'ailleurs à Honk-Kong qu'il décide de finir ses jours. Médicaments, rails de cocaïne et alcool suffiront à le faire passer de l'autre côté de la vie en toute quiétude. Réflexions politiques, sociologiques et états d'âme rythmeront son monologue. Il aura aimé toute sa vie et profité de chacun des instants qu'elle lui a donné. 

Jacques Weber campe le rôle avec un naturel déconcertant qu'on ne sait plus si c'est le rôle ou l'artiste qui prend le dessus. Des sourires presque enfantins se dessinent sur son visage, Weber esquisse à son tour quelques pas de danse sur Midnight summer dream des Stranglers. Mettre de l'ordre dans sa vie avant de fermer la dernière porte. Déclaration d'amour à la vie ? Hommage à nos présences invisibles ? Pascal Rambert offre un texte touchant qui ne vire jamais dans le profondément dramatique à son comédien qu'il a saisi sous toutes ses coutures. 

Perdre son sac @Bouffes du Nord, le 09 Février 2023

Une bâche bleue étendue tel un rideau. Un carré blanc posé à même le sol. Un seau, sa serpillère et un produit d'entretien. Un caddie. Et les vieilles pierres des Bouffes du Nord. La jeune actrice révélée par le film Papicha - qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin - Lyna Khoudri, vêtue d'une salopette couleur crème et d'une veste en jean, pénètre dans l'arène d'un pas décidé, le balai-raclette tenu fermement dans les mains, lampes blafardes en contre-plongée. 

© Louise Quignon
Elle déverse sa colère face aux spectateurs. Porte-voix d'une génération sacrifiée, elle s'en prend aux adultes - ceux qui ont vécu les lendemains qui chantaient et laissé les lents demains qui déchantent aux suivants -. Tel l'anti-héros de Koltès de La nuit juste avant les forêts, Pascal Rambert lui offre un texte où elle apostrophe le public, pris à partie. Elle raconte sa chienne de vie. Bac +5 et obligée de cumuler les petits jobs dont un de laveuse de vitres dans une onglerie. Un mot qui l'horripile au plus haut point. Mais c'est dans ce cadre qu'elle a rencontré Sandrine. Sandrine, femme de sa vie fantasmée.  

Voilà qu'elle bascule de la colère à la déclaration d'un amour ardent, d'une passion qui la brûle. Autant de colère que d'amour en elle, finalement. Une quarantaine de minutes durant, la petite brune à la mèche bleue - qui n'est pas sans rappeler le roman graphique Le bleu est une couleur chaude qui donnera son inspiration au film La vie d'Adèle d'un certain Abdellatif Kechiche défendu par l'actrice - débite un monologue, comme un rap, chargé, acéré. Elle s'offrira deux moments dansés ; le premier sur Anarchy in the UK des punks britanniques Sex Pistols, le second sur le silence, elle esquissera un numéro de claquettes russes. L'amertume au cœur, Lyna Khoudri convainc. Perdre son sac pour mieux le vider.

Dévaste-moi @IVT-International Visual Theatre, le 07 Février 2023

Cinq ans de tournée auront permis de figer l'ultime version de Dévaste-moi. Un spectacle à mi-chemin entre le cabaret, le concert et le théâtre, né de la triple rencontre entre Johanny Bert, Emmanuelle Laborit et Yann Raballand. La partie musicale du projet est assurée par les musiciens du Delano Orchestra

© Jean-Louis Fernandez

Dévaste-moi s'avère un spectacle plein de poésie du fait qu'il soit entièrement "chansigné" - néologisme élégant qui comprend l'idée de chanter en langue des signes donc signant - et plein de sensualité puisqu'il concentre la thématique du désir féminin sous toutes ses formes et en l'occurrence toutes ses mélodies ; Alain Bashung, Georges Bizet, Donna Summer ou encore Serge Gainsbourg, Amy Winehouse et Brigitte Fontaine s'y retrouvent pour célébrer la femme et sa sensualité. 

La comédienne Emmanuelle Laborit signe entièrement le spectacle. Seule une voix off et des sous-titres projetés l'accompagnent. Quand elle signe, c'est avec grâce, comme une nouvelle danse. Avec les nombreux de jeux de mots en sous-texte, la comédienne est allée au plus près de l'esprit des auteurs. Elle pleure, elle rit, elle danse, elle jouit et pour sûr, elle emporte avec elle les spectateurs réjouis. Elle envoûte comme elle émeut. On écoute avec le cœur et l'âme marquera la mesure.