Quand j'avais cinq ans je m'ai tué @Cresco Saint-Mandé, le 18 Janvier 2022

© Charlène Brun

Pendant le confinement de l'automne 2020, Ronan Ynard - le youtuber théâtre entre temps devenu Secrétaire Général du Théâtre du Nord aux côtés du metteur en scène David Bobée - a eu la brillante idée de donner la parole aux jeunes créateurs et plus largement aux théâtreux de tous poils pour partager, échanger autour de notre passion commune : le théâtre. Ce soir-là, je me suis décidée à participer et je rencontrais le jeune metteur en scène Barthélémy Fortier qui présentait son travail en cours : Quand j'avais cinq je m'ai tué. Les conditions pour le spectacle vivant à ce moment-là ne garantissaient absolument pas une représentation de si tôt. C'est finalement en Janvier 2022 que nous avons pu enfin découvrir cette création. 

Et quelle bonne surprise ! Barthélémy Fortier et sa compagnie Ce soir-là, c'était la neige se sont emparés avec brio du roman d'Howard Buten. Pluridisciplinaire, proche de la comédie musicale, la pièce pensée par le collectif embarque le public dans un mélange des genres parfaitement fonctionnel. Le jeune collectif s'est appliqué à multiplier les effets et installations pour proposer un spectacle complet où la musique est jouée en direct. 

La petite histoire : Gil est un petit garçon qui semble avoir fait l'insupportable aux yeux des adultes. Ces mêmes adultes décident de le placer en établissement spécialisé - la Résidence Home d'enfants Les Pâquerettes - dirigé par le docteur Nevele afin qu’il revienne dans le droit chemin. Voyage permanent entre présent et passé, Gil nous emmène dans ses pensées en essayant de comprendre le pourquoi du comment est-ce qu'il s'est retrouvé dans cet établissement si strict. Le tout n'est pas de trouver l'acte mais de naviguer dans ses angoisses, ses rêves, ses réflexions d'enfant.

Tous les comédiens - Marie Augeai, Nina Ballester, Nina Cruveiller, Romain Grard, Tommy Haullard, Alexandre Prince et Hugo Randrianatoavina -  évolueront tour à tour dans le rôle de Gil tout au long de la pièce. Le tout est porté avec une véritable énergie communicative - bien que le spectacle souffre de quelques légères lenteurs -, la musique dynamise l'ensemble - les reprises détonantes d'I'm still standing d'Elton John et I need a hero de Bonnie Tyler font mouche -. Du fait du placement de Gil, il fallait imaginer un espace scénique qui traduise cet enfermement. La scénographe Lola Seiler a donc imaginé un espace modulable. Un immense tableau noir se transforme en un instant en panneaux mobiles. Dans la première partie, l'ambiance est froide et particulièrement austère. C'est en glissant dans les parties suivantes que les couleurs s'installent et réchauffent l'atmosphère générale. Le spectacle réussit le pari de convaincre adultes et plus jeunes.  


Le jour où j'ai compris que le ciel était bleu @Théâtre de Belleville, le 16 janvier 2022

 

Il ne lui manque rien, c'est nous qui sommes perdus 

Laura Mariani - 

© Clémence Demesme

Quelle jolie découverte que Le jour où j'ai compris que le ciel était bleu 

"To be a star" rythme ses journées, ses nuits, sa vie. Claire ne voit rien d'autre. Claire a tout d'une jeune de son âge. A peu de choses près... Claire est autiste. Et un jour, elle commet l'irréparable qui lui vaudra d'être internée en hôpital psychiatrique. Son frère veille sur elle avec beaucoup d'affection qu'il sait qu'il n'aura pas en retour. Il est seul pour s'occuper d'elle ; leur père est parti, leur mère est décédée. Le garçon a gardé la ligne téléphonique active pour que sa jeune sœur puisse joindre à sa manière sa mère. Claire lui laisse de nombreux messages dans lesquels elle se confie comme à un journal intime. Elle comprendra bien assez vite que son frère les écoute. 

De sa chambre à l'hôpital au commissariat, en passant par les cabinets des différents médecins Claire subit les jugements extérieurs en toute impuissance. On conservera le dernier lieu secret. Le changement de décor s'opère de façon fluide.  

Le jour où j'ai compris que le ciel était bleu est un travail magnifiquement abouti, porté par des comédiens tous brillants. En premier lieu, Pauline Cassan qui nous embarque complètement dans le rôle de Claire, dans ses angoisses, dans ses mondes, ou du moins, sa réalité. Non loin derrière, Anthony Binet, Sylvain Porcher, Odile Lavie, Alice Suquet et Vincent Remoissenet. Laura Mariani qui signe à la fois la mise en scène et le texte maîtrise parfaitement son sujet et ne se laisse pas tomber dans le pathos en se mettant à la plus juste distance ; c'est parfois grave, drôle par à-coups et particulièrement lumineux. 


Andy's gone (intégrale) @Théâtre Dunois, le 15 Janvier 2022

© Marc Ginot

C'est avec un casque vissé sur les oreilles que nous entrons dans la grande salle du théâtre Dunois pour l'intégrale d'Andy's gone, une adaptation libre d'Antigone que signe la québécoise Marie-Claude Verdier. Mettons de côté le cadre antique de Sophocle ou celui de la Résistance de Jean Anouilh pour un monde en proie à une catastrophe climatique. L'état d'urgence est déclaré. 

Les spectateurs se font citoyens. Ils sont accueillis sur le plateau, où le décor est particulièrement minimaliste. Ils ne font pas face aux gradins. Libres à eux de regarder dans le sens qu'ils souhaitent. Seuls des néons blancs positionnés en H éclairent le plateau. Régine, la reine du royaume - Vanessa Liautey, en alternance avec Marilyne Fontaine - a réuni ses sujets pour les informer des dispositions pour faire face à la situation dramatique qui secoue le royaume et pleurer la disparition de son fils promis au pouvoir, Henri. Sa nièce, Alison - Manon Petipretz - choisit l'engagement dans le sens de la liberté tout en s'inquiétant de la disparition mystérieuse d'Andy. 

Une première partie sous le signe du conflit. Les comédiennes investissent l'espace scénique en se livrant à des joutes verbales particulièrement fortes, des chorégraphies de luttes millimétrées. Les spectateurs sont comme pris à partie. Ils entendent également ce qui se passe hors plateau, les pensées des personnages leur deviennent familières. 

La seconde partie plus sentimentale, plus mobilisatrice pour le public, se concentre sur le retour d'Andy - Enzo Oulion en alternance avec Maxime Lélue - qui surprend sa propre mère. Andy se met à la recherche d'Alison et appelle le public à l'aide. Si la création musicale dans la première partie n'était pas aussi présente, elle est plus forte ici. Heroes de David Bowie résonne à juste titre.

La compagnie Adesso e Sempre réunie autour du metteur en scène Julien Bouffier livre un spectacle résolument contemporain de par l'ingéniosité de son dispositif. Le minimalisme scénique pour laisser plus de place au public dans sa compréhension, dans son engagement. Aucun doute pour la réussite d'un pari tourné vers l'adhésion du public adolescent. Au-delà de la jeunesse des comédiens, le thème de la rébellion aux couleurs actuelles - migrants, crise climatique - font revivre l'œuvre d'Antigone pour mieux les sensibiliser au monde qui nous entoure. Le message passe. 

La pierre @Théâtre de Belleville, le 10 Janvier 2022

© Jérémy Breut

Tout au fond du plateau trônent des graviers. Au premier plan, une table carrée, des chaises sont disposées tout autour. Légèrement plus loin, côté jardin, une balançoire. Les années sont projetées sur le mur noir, nous commencerons en 1993 pour mieux faire des va-et-vient entre présent et plusieurs moments décisifs du passé allemand : 1935, 1953,1978 et enfin, 1993. Trois générations de femmes sont réunies autour de la table. La plus âgée se garde une place curieuse sous le carré. 

Tout le charme de cette pièce que signe l'allemand Marius van Mayenburg réside dans son fonctionnement en puzzle. Alors que le dramaturge nous habituait à une écriture cynique, La pierre est plus énigmatique mais toute aussi puissante que son Visage de feu. La pierre est l'histoire d'un passé familial malléable, l'histoire des "petits" mensonges arrangeants, l'imbrication des histoires dans l'Histoire. Préfère-t-on une vérité qui blesse à un mensonge qui fait du bien ? Toute vérité est-elle bonne à dire ? Vous n'en aurez jamais vraiment la réponse. On assiste à une valse en deux temps ; celle des fantômes et celle de mensonges. Le lourd héritage d'un passé complexe. 

Blanche Rérolle s'entoure de comédiennes particulièrement brillantes, au jeu profondément sincère : Anne Burger, Sophie Deforge, Garance Morel avec une mention particulière pour la grande sensibilité de Christabel Desbordes qui nous a beaucoup touchés. La figure masculine idéalisée n'est pas laissée sans reste, Marc Stojanovic excelle (en alternance avec Hugo Tejero). La scénographie que signe Clarisse Delile est particulièrement habile. Le glissement entre les années s'opère en lumière grâce aux projections au mur et à d'astucieux fondus au noir pensés par Samy Azzabi. Mais aussi, c'est au subtil retrait d'un accessoire que porte Christabel Desbordes que l'on se resitue dans le temps. 


L'image @Lucernaire, le 09 Janvier 2022

 

© Pierre Grosbois

Après Cap au pire et La dernière bande, le duo Lavant - Osinski reprend son aventure Beckettienne dans les murs du Lucernaire pour L'image. L'image ce sont en vérité quatre textes : L’imageUn soir,  Au loinun oiseau et Plafond que l'on retrouve dans un recueil beckettement intitulé Pour finir encore et autres foirades

Dans cette même mise en scène minimaliste, Denis Lavant est plongé dans l'obscurité totale. Les mots naviguent dans l'espace, ils percutent les murs et reviennent au visage. Toujours impeccable, la diction de Lavant se savoure. Il incarne les mots, plus qu'il ne les dit. Son corps immobile pour la majeure partie du temps s'accorde quelque déplacements, toujours dans la pénombre. Le théâtre à nouveau réduit au dire, au langage à ce qu'il offre de plus fort. Le son et L'image.

Un moment planant, suspendu où seuls les mots et la voix vous accompagne. Le hasard a poétiquement voulu que le duo pose ses bagages dans la plus haute salle du théâtre ; la salle Paradis. Mais les mots de l'auteur ne décrivent pas le prétendu paradis, ils dépeignent l'existence dans ce qu'elle a de plus absurde. 

J'attends que mes larmes viennent @Monfort Théâtre, le 07 Janvier 2022



Le plateau de la cabane du Monfort théâtre est presque nu. Lumière sur une plante verte. Qui parle ! Une prise de parole assez importante : les accessoires de théâtre ont des revendications et elle a décidé de les porter pour tous. Elle nous parle aussi de sa complicité avec une table basse scandinave. Puis, épuisée par les émotions, elle reprend son rôle. Le comédien Kamel Abdessadok fait son entrée en cowboy. 

Puis le décor change. Une cabine téléphonique côté jardin, le comédien revient sur une mobylette côté cour. Un dialogue s'installe entre les deux, du moins Abdessadok la comprend. Il passe un coup de fil à un cousin, à le mère d'un ami, à l'ami, à la sœur de l'ami pour finir par échanger avec le nouvel acquéreur de sa mob. Il s'apprête à monter à Lyon pour La marche des beurs. L'action se situe donc dans les années 1980. Il finira tabassé par une marionnette skinhead. 

Abdessadok ouvre un nouveau chapitre. On le voit en sosie d'Etienne Daho - marinière et perfecto sur le dos - entonnant le tube du chanteur "Le grand sommeil". Il se prête au jeu de l'interview sur lui, les raisons qui le font se sentir proche de l'artiste pop français. L'interview se poursuit hors champs. 

Voilà pour les deux premières saynètes. Pour ne pas en dire trop, nous ne rentrerons pas dans le détail de la suite qui se poursuit dans le même esprit. Dévoilons juste le final ; un mélange de monologue et performance dansée. 

J'attends que mes larmes viennent est un spectacle qui mélange one-man-show intime - sans pour autant être dans le 100% vrai - et théâtre d'objets. Le spectacle d'une rencontre aussi entre un comédien - Kamel Abdessadok - et lui-même vu par une metteuse en scène qu'il ne connait pas plus que ça - Anne-Elodie Sorlin -. Les deux sont habitués au travail collectif - 26 000 couverts pour lui, Les Chiens de Navarre pour elle -, ils ont composé à 4 mains. On (sou)rit, on apprivoise la chaleur véhiculée par Abdessadok. Et on pense à Niagara. C'est intime et rigolo, intimorigolo en somme !


Comédie / Wry smile Dry sob @Centre Pompidou, le 06 Janvier 2022

© Simon Gosselin

Curieux objet théâtral que cette création de la metteuse en scène italienne Silvia Costa. Initialement présentée en 2020, le spectacle aura souffert de deux reports. 2022 a fini par lui laisser sa chance. L'artiste plasticienne prend comme point de départ Comédie de l'irlandais Samuel Beckett pour clore avec Wry smile Dry sob - que l'on traduirait par Sourire ironique Sanglot sec - sa propre création.

La première partie s'ouvre sur des visages. Oui, des visages seuls. Le projecteur se concentre sur cette partie du corps. Comme des portraits encadrés dans un cadre ovale. Deux femmes - Clémentine Baert et Carine Goron -, un homme - . Selon le personnage qui s'exprime, le visage est mis en lumière. On imagine aisément des comédiens condamnés à être statiques - Beckett lui-même les imaginait dans des jarres -. Seuls les traits du visage s'intensifient au gré de l'exercice d'articulation. Puis les visages que l'on voyait de face passent de profil en silence. Les comédiens signent une performance complète recentrée sur le langage et l'absence de sens. 

Pour Wry smile Dry sob, on oublie le verbe pour se concentrer sur les corps jusqu'ici cachés. On retrouve le même duo de comédiennes, la figure masculine est aussi présente mais elle tourne le dos et d'autres danseuses - il est tentant de dire contorsionnistes ; Clémence BouconFlore Gaudin et Garance Silve - les rejoindront. Le décor est posé au centre : une salle à manger dans laquelle une table est garnie d'aliments laissant penser que l'action se déroule de bon matin à l'heure du petit-déjeuner, un bar boisé, une armoire côté jardin. Côté cour, une chambre à coucher. Les deux protagonistes féminines sont assises. Leurs mouvements sont presque symétriques. 

Aucune voix, de légers bruissements sonorisent l'espace. Les personnages se déplacent lentement, étrangement. Il n'y a rien de foncièrement normal ou encore particulièrement rassurant dans cet environnement si ce n'est le décor. Silvia Costa transporte les spectateurs dans un monde frôlant le cauchemardesque - la création sonore finale laisse imaginer le pire -. C'est d'ailleurs ce qui fait la force de ce spectacle qui s'inscrit dans la suite presque logique de Comédie. Sensation permanente d'illusions d'optique, le spectateur doit se concentrer sur tout ce qui peut surgir des différents éléments du plateau.   
Silvia Costa livre une création énigmatique, hautement visuelle et particulièrement brillante.