Fin de partie @Théâtre de l'Atelier, le 15 Avril 2023

© Théâtre de l'Atelier

On retrouve le duo Osinski / Lavant dans une dernière (vraiment ?) aventure beckettienne : Fin de partie au Théâtre de l'Atelier. Et une nouvelle fois, c'est une réussite de toute beauté ! Dès lors que le génial Denis Lavant campe Clov, il fallait trouver le parfait binôme pour incarner son bourreau Hamm. Et le choix fut à la hauteur : Frédéric Leidgens, rodé lui aussi au verbe de l'auteur irlandais. 

Comme bloqué dans un film muet, Lavant s'active dans le décor grisâtre, une sorte de cabanon fait de panneaux aux fenêtres factices qui ne donnent sur rien. Denis Lavant maîtrise parfaitement son corps et ses grimaces pour au-delà se transposer dans un Clov, porter l'âme de ce curieux personnage : la démarche clownesque, les interjections délirantes, il fait mouche. Tout aussi brillant, Leidgens maîtrise le phrasé de son personnage détestable qui attend non sans une certaine impatience la mort. A eux deux, ils embarquent les spectateurs dans un désespoir pesant mais ô combien envoûtant. Au duo s'ajoute les deux autres perles Claudine Delvaux (Nell) et Peter Bonke (Nagg). Tristes géniteurs, ils n'en perdent pas leur mordant. Les interactions entre les deux couples sont pleines de tendresse amère et elles sont savoureuses.

Le quatuor de comédiens déploie un grand moment de théâtre de l'absurde comme on les aime. Jacques Osinski est parvenu à créer une mise en scène à la hauteur de sa passion pour l'écriture du dramaturge qui n'a cessé d'interrogé brillamment l'absurdité de l'existence. 

En quête @Le Local, le 14 Avril 2023


Dans la petite salle du Local - discrète salle de spectacles du 11ème arrondissement parisien - s'affaire une fratrie au milieu des cartons. Ils sont à la recherche de la paire de lunettes de leur père. Le public tente une participation tant bien que mal. Soulagement collectif quand la petite dernière finit par les trouver. 

© Rémi Poureyron
Ils n'ont pas de prénom, ils sont juste des êtres humains d'une même famille qui apprend la maladie de leur père. Un - Sarah Battistella -, Deux - Quentin Kelberine - et Trois - Elsa Goulley - , comme les appelle l'auteur-metteur en scène Sarah Battistella, sont de générations différentes mais unis face à la maladie. Chacun s'y confronte, s'adapte... Sans le savoir véritablement, ils sont accompagnés par Calavera, une figure de la Mort - Simon Quintana - qui rode avec humour et philosophie à l'apparence à mi-chemin entre la figure drag queen et la tête de mort du dia de los muertos mexicaine. 

La pièce de Sarah Battistella est une grande réussite tant au niveau de l'écriture que dans le jeu. En quête est un texte dont on ressent toute la sincérité du témoignage qui veille à ne jamais basculer dans l'apitoiement et il est servi avec toute la générosité d'un quatuor qui aime partager le plateau. Des scènes drôles, touchantes sont parsemées de moments poético-philosophiques interactifs qui rendent le spectacle très dynamique. Une énergie douce au service de l'émotion qui fonctionne à merveille sur une création sonore pour le moins originale de Coeur Qui Bat.

Un sacre @Théâtre Gérard Philippe, le 01 Avril 2023

A prime abord, Un sacre ça ne présage rien de particulièrement drôle. Et pourtant... 


Dans ce spectacle total, Lorraine de Sagazan s'est attaquée à la désacralisation de la mort en questionnant la construction du deuil et de ses rites. Pour y parvenir, elle a mené un véritable travail de terrain sur plusieurs mois : près de 300 entretiens avec des personnes d'horizons variées en 2021 (année 1 après la crise sanitaire), menés avec l'écrivain Guillaume Poix autour de la notion de réparation. Neuf récits de vie émergeront sur un plateau et autant de cérémonies avec comme point d'entrée la grand-mère de Benjamin Tholozan - dont il assure l'interprétation - et son témoignage de pleureuse corse.  

Spectacle vivant, vivifiant, Un sacre regorge de beauté : que ça soit par ses mots ou sa scénographie, le plateau de théâtre devient un gigantesque autel d'un nouveau genre - sans aucune trace religieuse - regorgeant d'objets à valeur affective immesurable. Sous les planches, la flore. 

Neuf comédiens donnent vie aux témoignages, tous consumés, dévastés par la perte d'un être aimé (ou non d'ailleurs) - seul le personnage de George fait figure d'exception dès lors qu'il orchestre sa propre disparition et se laisse aller à quelques petites folies pour sa cérémonie fantasmée -. Neuf qui inconsciemment fait penser au temps de fécondation, célébrer la mort en lui donnant la ponctuation d'une vie. Subtil. 

Le collectif de corps et âmes est porté par Andréa El Azan, Jeanne Favre, Nama Keita, Antonin Meyer–Esquerré, Louise Orry Diquero, Mathieu Perotto, Benjamin Tholozan, Eric Verdin, et Majida Ghomari tous étincelants. On sort du spectacle parfaitement vivants et prêts à se confronter à la mort. 


A tous nos morts.