Musée Duras @Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier, le 29 Novembre 2025

Mis dans la confidence de ce spectacle dès l'été 2022, nous attendions non sans impatience de découvrir ce qu'un de nos metteurs en scène contemporains préférés allait pouvoir en faire. Plusieurs œuvres c'était évident, ne restait plus qu'à savoir lesquelles. Et ainsi l'an 2025 vit naître la fresque Musée Duras. Equipés du précieux bracelet vert flashy, nous voilà prêts pour une immersion magnifique de 10 heures ! La surprise est simple : il s'est entouré d'une partie des élèves - plus d'une dizaine - du Conservatoire de Paris.  

© Simon Gosselin

Fidèle à lui-même, Julien Gosselin adore jouer avec son public. Le déstabiliser pour mieux le séduire, le titiller pour mieux l'épater deviennent ses pratiques courantes. Cette fois-ci, plutôt que donner le nom des œuvres par ordre d'apparition sur le programme de salle - qui, depuis sa prise de fonction de directeur à l'Odéon, désormais prend la forme d'un journal grand format -, se succèderont ainsi pas moins de 11 "Sans titre" avec le nom des interprètes. Le metteur en scène ne livre pas les œuvres in extenso - ça durerait clairement bien plus longtemps que 10 heures - mais leur substantifique moelle pour un résultat époustouflant. 

Vidés de leurs gradins, les Ateliers Berthier deviennent une véritable salle d'exposition modulable. Pour peu que vous ayez la bougeotte - et sur 10 heures, c'est plus que probable - vous pourrez changer de place. Si vous êtes courageux, vous commencerez allongés à même le sol dans le noir pour mieux vous retrouver debout sur ce qui fait office de plateau dévêtu.

Comme dans un musée, les œuvres sont diverses, autonomes. Nous ne reviendrons pas sur le spectacle pièce par pièce, l'exercice serait fastidieux - et peut-être un peu ennuyeux disons -. Rendons compte de la beauté générale de ce spectacle. Gosselin montre la belle facette de son esprit de synthèse qui a le don de provoquer l'envie de se (re)plonger dans les textes d'une autrice légendaire. On se réjouit que ses comparses Maxence Vandevelde et Guillaume Bachelé soient fidèles au poste pour habiller musicalement le spectacle avec leur électro puissamment poussée par l'inégalable Julien Feryn. Si on avait été surpris par l'usage du vocoder lors de sa précédente création, on est cette fois-ci embarqués sans même avoir pris le temps de l'étonnement. 

Un spectacle de Julien Gosselin sans images tournées en direct n'est pas un vrai Gosselin. Pour ce faire, les élèves ont été étroitement accompagnés par un autre fidèle de la compagnie : Pierre Martin Oriol. Tous jouent une partition intense et saisissante qu'ils soient en solo, en trio ou en duo. Tous sont vraisemblablement inspirés de leurs aînés issus de la troupe du metteur en scène - le comédien Denis Eyriey fera d'ailleurs une apparition -. La jeune génération est décidément bourrée de talents. 

En quelques mots c'est bouleversant, monumental, vivifiant, enivrant et follement contemporain.
Bravo maestro !



La luz de un lago @Théâtre de l'Odéon, le 09 Novembre 2025

Ce dimanche 9 novembre 2025 fut jour de découverte. J'assiste à mon premier spectacle du collectif El Conde de Torrefiel. Un spectacle qui ne peut être défendu comme une pièce de théâtre dans sa définition la plus basique ; une oeuvre littéraire destinée à être jouée devant un public. Avec La luz de un lago, on assiste à une performance aussi bien cinématographique que plastique. Les seuls comédiens seraient des techniciens, machinistes à l'exception peut-être d'une narratrice. 

© Mario Zamora

C'est sur le plateau de la scène de l'Odéon (Paris 6ème) que sont invités à s'asseoir les spectateurs. Pas à même le sol mais sur des gradins installés pour l'occasion. Le spectacle commence à partir du moment où nous est expliqué que nous allons voir un film d'amour. Plusieurs histoires se succèdent, sans lien les unes avec les autres, du moins, a priori. 

Finalement, se multiplieront les mises en abyme. Vraisemblablement, on assiste à un film d'images mentales. A l'écran sont projetés les dites histoires et on les lit comme dans un livre géant. On croisera les chemins amoureux de plusieurs couples, dans plusieurs époques. Et quand il ne s'agit pas de lire, c'est s'émouvoir d'images pixellisées voire des successions de "glitchs" - imperfections contrôlées - et de ressentir des vibrations intenses causées par une expérience sonore puissante sur fond d'Angel de Massive Attack puis de transe électro de boîte nuit anglaise des années 1990. 

La luz de un lago est un geste artistique non conventionnel, résolument tourné vers les sensations. Si on devait le revoir, il est possible que le ressenti ne soit pas à l'identique tant il joue avec les remous intérieurs. Une expérience vertigineuse, rare qu'il se faut vivre. Mais... ne dit-on pas la même chose de l'amour ? 

Les conséquences @Théâtre de la Ville, le 04 Novembre 2025

On pourrait dire que Pascal Rambert a une obsession pour les histoires familiales. Mais à y regarder de plus près, l'homme de théâtre éprouve une fascination pour le temps qui passe. 

© Louise Quignon

Dans sa nouvelle création Les conséquences présentée dans le cadre du Festival d'Automne à Paris, il s'est entouré de ses fidèles et de quelques nouvelles têtes. En résulte un casting pour le moins impressionnant mêlant ancienne et nouvelle génération d'acteurs : Jacques WeberAudrey Bonnet, Anne Brochet, Paul Fougère, Lena Garrel, Jisca Kalvanda, Marilú Marini, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage et Mathilde Viseux. Tout ce beau monde aux couleurs vives - pour les personnages féminins - se retrouve comme confiné dans un barnum blanc clinique aux multiples sorties de secours - exit les portes qui claquent des vaudevilles, bienvenue à la toile qui se frotte aux zips à chaque passage ! -. De longues tables et des bancs laissant entendre qu'une cérémonie a lieu.  Le spectacle s'ouvre sur la famille réunie autour d'une urne funéraire au design peu commun : bleu en forme de goutte d'eau.  

Dans cette première partie d'une trilogie qui se promet monumentale dont le dernier volet est censé arriver en 2029, Pascal Rambert interroge nos engagements sous toutes ces formes, des impacts de nos actes présents comme passés à travers le prisme d'une famille vraisemblablement bourgeoise. Ils ont tous des parcours scolaire hors norme : ENA, Ecole normale supérieure ou encore Ecole alsacienne au minimum. Chacun est peut-être un symbole de réussite mais jamais de fierté. 

Comme souvent chez Rambert, la famille a de véritables soucis de communication. Un amour-haine entretenu sur la durée. S'écouter ne vaut pas s'entendre. Deux verbes liés par l'idée même d'un respect mutuel, d'une présence véritable. Dans les familles fictives de Rambert ça n'existe tout simplement pas : on hurle, on pleure, on s'époumone mais, on réfléchit, beaucoup.

Si parfois le raisonnement politique est quelque peu convenu et attendu, le jeu y est profondément brillant. On ne peut s'empêcher de rire lorsqu'Arthur Nauzyciel sort de ses gonds sur fond d'aversion pour les magasins Desigual et Pylones, on est séduits par le magnétisme de Laurent Sauvage, touchés par le grandiose de Jacques Weber, le merveilleux duo Bonnet/Nordey - bien que les cris de la première peuvent vraiment crever nos tympans -, la tendresse juste de Marilú Marini dont on se délecte de l'accent italien qui s'invite à la fête, la sincérité d'Anne Brochet et se révèlent devant nous l'ensemble des jeunes talents que sont Paul FougèreLena GarrelJisca Kalvanda et Mathilde Viseux. S'ils courent souvent partout, c'est le moment dansé qui les réunira. Il nous tarde de découvrir la suite.