Petites joueuses @Musée du Louvre, le 07 Novembre 2024


Comment parler de la performance
Petites joueuses ? Conçue par le danseur François Chaignaud - découvert il y a quelques temps avec le superbe Gold shower aux côtés d'Akaji Maro dans ce même cadre que le Festival d'Automne -, Petites joueuses nous invite dans les profondeurs du Louvre. Selon l'heure à laquelle vous vous y rendez, vous avez la possibilité de découvrir l'exposition Figures du fou. Du Moyen âge aux romantiques avant ou après la représentation. Le fait d'y aller avant nous a permis d'inscrire la performance dans le prolongement l'exposition. Et rien que pour ça, c'est beau. 

Vous entrez par une porte très commune et voilà que vous pénétrez dans une parenthèse hors du temps. Oubliez les tableaux, les œuvres et saluez la pierre froide, sentez l'humidité. Vous voilà dans les tréfonds de l'incontournable musée parisien, dans les allées du Louvre médiéval. Vos mouvements sont libres, pas de circuit prédéfini si ce n'est celui de votre instinct. 

Sur votre chemin, laissez vous surprendre par des créatures tout de rouge vêtues. Elles jouent avec un ballon, elles courent dans des espèces de fossés, elles se suspendent, elles font des bulles ou dansent une chorégraphie médiévale - une tentative de mauresque ? - ... Légèreté et douceur s'invitent à la fête, fantaisie aussi. La créature chante parfois. Sans trop savoir laquelle pose sa voix, laissez vous porter par les regards. Tenez-les si vous y parvenez. Votre déambulation s'achève quand bon vous semblera. 


Lieux Communs @Théâtre Public de Montreuil, le 24 Septembre 2024

Avant de poser ses bagages à Montreuil, Lieux Communs de Baptiste Amman est passé par la case Avignon. La pièce pouvait être un roman tant elle mélange les genres. Thriller et poésie se côtoient, philosophie et par extension politique se mêlent - sur fond de sujets bien ancrés dans l'actualité que sont les féminicides, l'immigration, l'extrême droite, la radicalité ou encore la liberté d'expression. 

© Christophe Raynaud de Lage

Toute la difficulté de ce texte est de ne pas faire dominer un genre plus qu'un autre, l'équilibre est plutôt bien trouvé, la langue est vraiment soignée néanmoins quelques petits mécanismes ne fonctionnent pas toujours. Sur le plateau, quatre espaces : un théâtre, un atelier, un plateau télé et un commissariat. La plupart derrière des parois vitrées. Les intrigues s'entrecroisent. Parfois, elles dialoguent littéralement. 

Un point de départ : une femme retrouvée morte - fille d'un homme politique d'extrême droite - par défénestration. Suicide ou meurtre ? La pièce ne met pas en scène l'enquête mais les répercussions sur différents protagonistes : une metteuse en scène qui adapte les textes du coupable, les médias, le frère de la victime, la soeur du présumé coupable, un flic... On revient sur les origines de la violence évidemment mais on navigue dans tous les points de vue, tous parfaitement audibles. Véritable reflet de la complexité singulière dont se pare chaque "histoire #Metoo". 

Le jeu des huit comédiens est pour le moins convaincant, l'énergie collective est belle, le réalisme est saisissant. Toutefois, le propos laisse peu de place au mystère, les croisements ne fonctionnent pas toujours - on note un tableau en particulier où l'espace scénique est scindé en deux et les répliques se répondent sans véritable sens au risque de perdre les spectateurs -. 

Maistre Pierre Pathelin @Théâtre des Loges, le 23 Juin 2024

Depuis une vingtaine d'années, la Troupe du Théâtre des Loges jouit d'un lieu exceptionnel à Pantin pour héberger ses créations ; un ancien lavoir dont la partie la plus ancienne est un héritage de la fin du XIXème siècle. Quel lieu rêvé pour interpréter Maistre Pierre Pathelin - farce anonyme du XVème siècle plus connue sous le nom de La Farce de Maître Pathelin -. Aujourd'hui menacé de destruction, il est important de s'engager à ses côtés pour qu'il puisse continuer à exister.

Comme toute farce qui se respecte, elle met en scène un naïf - ici un drapier interprété par Benoit Gauthier - qui se fait avoir par son entourage - un couple composé de l'avocat Maistre Pierre Pathelin (Paul Lemonnier) et de sa femme complice Guillemette (Soledad Lida) -. 

Si le lieu est déjà magnifique, l'espace scénique l'est tout autant : une charrette à foin branlante mais suffisamment stable pour faire tenir les comédiens qui dans leurs costumes rappellent les tréteaux sur lesquels les acteurs jouaient les premières farces - voyez l'exemple de ce qui se passe dans l'inoubliable Molière d'Ariane Mnouchkine -. La Troupe du Théâtre des Loges sous la direction de son metteur en scène Michel Mourtérot nous livre un spectacle familial de grande qualité. On pourrait se croire dans un tableau de Gustave Courbet : les costumes, les lumières, tout est particulièrement réussi. 

Les cinq comédiens nous transmettent avec fougue une farce dans ce qu'elle a de plus cruellement drôle autant dans sa forme - le dialecte d'Île-de-France mâtiné de particularismes angevins impeccablement interprété en vers octosyllabiques - que dans son fond. Les grimaces, le jeu, l'art théâtral est maîtrisé de bout en bout. Reprise prévue à l'automne, nous ne pouvons que vous recommander chaudement de vous y presser. 





Un faux pas dans la vie d'Emma Picard @Essaïon Théâtre, le 27 Mai 2024

Le roman de Mathieu Belezi résonne avec L'art de perdre d'Alice Zeniter. Les deux textes ont été adaptés au théâtre en cette saison 2023-2024. 

Un faux pas dans la vie d'Emma Picard est une petite tragédie méconnue inscrite dans l'Histoire de la colonisation française. L'histoire d'une femme, Emma Picard, dans les années 1860 qui échappe à la misère française en allant en Algérie. On lui a promis des terres à cultiver. Elles lui sont octroyées par le gouvernement français ; "des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous".

C'est la comédienne Marie Moriette qui prendra les traits d'Emma Picard. Elle livre un jeu particulièrement poignant où elle dialogue avec un lit d'enfant. Elle nous narre la misère qu'elle traverse. Les tempêtes, les disparitions, les invasions de sauterelles, les visites de fonctionnaires véreux... Tout y passe. Un faux pas dans la vie d'Emma Picard est le récit d'une femme qui s'est battue courageusement tout au long de sa vie. Aussi fictive que soit la personnage, l'histoire est saisissante.  

Marie Moriette déploie une palette d'émotions intenses dans une mise en scène pensée en duo avec Emmanuel Hérault qui frappe par sa sobriété. La musique quasi absente pour mieux saisir la solitude traversée. Le seul son sera le cri du cœur d'une femme désespérée.

Les carnets du sous-sol @Essaïon Théâtre, le 13 Mai 2024

© Clément Soyer

La première partie du roman Les carnets du sous-sol de Dostoïevski résonne dans la caverne voûtée de l'Essaïon. Un lieu particulièrement adapté pour capturer un espace mental indéfini. C'est ici et en nous tournant le dos nous accueille le comédien et metteur en scène Christophe Laparra. Le voilà qui nous adresse ce texte particulièrement exigeant de l'écrivain russe. Les questionnements sont nombreux et s'envolent dans des contrées philosophiques, poétiques ou encore politiques. L'enfermement comme unique moyen de contenir sa folie à destination de messieurs fruits de l'imaginaire débordant du personnage. 

Christophe Laparra incarne ce personnage avec la plus grande justesse. Il offre une présence totale et captivante. On se souvient de la lecture de certains extraits par Patrice Chéreau dans les murs du théâtre de l'Odéon en 2002 mais ici, c'est une question d'appropriation du texte, de faire corps avec lui. Et Christophe Laparra y parvient grâce à une scénographie on ne peut plus de circonstance. Xavier Bernard-Jaoul qui signe la création lumière joue des clairs obscurs. La lumière devient métaphore de la pensée. A mesure qu'elle brille, le personnage avance dans sa réflexion jusqu'à la lucidité. 


Puisque tu pars @Essaïon Théâtre, le 28 Mars 2024

Dans ton histoire
Garde en mémoire
Notre au revoir
Puisque tu pars

Jean-Jacques Goldman

© Jacky Mercien

Quand un ado - Gaspard Martin Laprade - un brin misanthrope mais surtout en profond mal-être se décide à fuguer pour aller au Festival du Cidre au Havre pour aller voir Jean-Jacques Goldman en concert c'est qu'il va vraiment très mal. Non pas qu'on n'aime pas l'un des plus grands paroliers français mais il faut admettre qu'on pourrait avoir des rêves un peu plus ambitieux. C'est même ce que lui dit son oncle musicien - Bruno Bayeux -. Et comme ce dernier est un grand enfant, ça ne l'empêche pas de vouloir le suivre dans cette aventure. Si le premier ne voulait pas avoir le second dans les pattes, c'est raté.

Puisque tu pars est le récit de cette folle histoire. Elle n'a rien d'extraordinaire factuellement. Mais il fallait la penser, l'écrire avec des mots justes - ceux de Quentin Martin Laprade - et la jouer avec les bonnes émotions. C'est ce qu'est parvenu à faire le duo Bruno Bayeux et Gaspard Martin Laprade sous la direction du metteur en scène Joseph Laurent. Les protagonistes sont portés par des comédiens généreux, doux et parfaitement complices. Bruno Bayeux entretient son jeu clownesque sincère qu'on l'a vu exploiter pour Thomas Jolly et Gaspard Martin Laprade se révèle profondément juste - il faut dire aussi qu'il était enfant quand il a joué aux côtés de son acolyte - quand il expose ses théories appuyées par celles de ses aînés Kant et Schopenhauer. L'amour, la vie, la définition même de rock star, les sujets bons à être dissertés ne manquent pas pour deux êtres aussi différents qu'attachants. 


Il faudra que tu m'aimes le jour où j'aimerai pour la première fois sans toi @Théâtre Paris Villette, le 21 Mars 2024

Si on devait faire une compétition avec les spectacles au titre le plus long, Il faudra que tu m'aimes le jour où j'aimerai pour la première fois sans toi est en bonne position aux côtés de La très bouleversante confession de l'homme qui a abattu le plus grand fils de pute que la terre ait porté. Au-delà de la plaisanterie, ils ont se sont trouvés un autre point commun.

© Guillaume Castelot

Dans cette pièce jeune public voire adulescent, Alexandra Cismondi s'est intéressée à l'adolescence et ses bouleversements dans une époque chahutée - pas si éloignée de la nôtre finalement -. Lo - interprétée par Lou Chauvain -  s'apprête à prendre une année de plus mais ce soir-là, toute la famille - Christophe PaouAnne-Elodie SorlinAlexandra Cismondi - retient son souffle. 

Parentalité, deuil, terrorisme, premier amour, militantisme, nouvelles technologies, tous ces sujets sont présents dans cette pièce. En peu de temps, elle a réussi à tous les positionner. A l'image d'un adolescent, c'est intense, profond et peut-être parfois un peu maladroit. Tout se passe très vite. Le public n'est pas un simple public de spectateurs, certains d'entre nous sont des personnages. 

Qui nous aurait prévenu ? Pour la déflagration de l'entrée dans la vie d'adulte, qui mieux que soi-même peut l'appréhender ? C'est un spectacle à l'image du public visé, ça se vit très fort. C'est aussi audacieux, poétique que tragique. Les quatre comédiens principaux passent dans toutes les émotions, certains se glissent dans plus d'un rôle à la fois. Un spectacle en montagnes russes comme on les aime, qui nous rappellent que nous sommes vivants et peut-être profondément humains.